Lagherta

Lui réapprendre à vivre...

La nuit fut loin d'être calme pour moi. Mon sommeil était agité, tourmenté par l'état de Keiss et la façon d'y remédier. Mon cerveau turbinait à fond malgré le fait que je dormais. Comment faire en sorte qu'il retrouve ses émotions et qu'il réapprenne à être heureux... En fait, son état ne résumait pas seulement à apprendre à être heureux, non, en y réfléchissant, il devait réapprendre à vivre, complètement, depuis le début, presque comme un louveteau... bien entendu les bases primaires restaient acquises, la parole, marcher, courir, chasser, se battre... Mais pour tout ce qui se rapportait aux émotions à sa conscience, tout était à refaire. J'avais presque envie de me décourager et d'abandonner devant une tâche si énorme, mais je refusais de le laisser tomber. Il avait perdu tellement de ceux qu'il aimait, et avec son état d'esprit actuel, si je l'abandonnait maintenant, cela ne ferait que confirmer ses pensées moroses sur le fait qu'il ne méritait rien d'autre que la mort et la solitude. Mais ce qui me faisait encore plus soucis, c'était les paroles de Gaor qui avaient eu une atteinte bien plus fondamentale que prévue à la base. Je soupçonnait P'pa d'avoir utilisé des mots si cru dans le seul but de faire réagir Keiss, de le "réveiller". Je ne pensais pas que le fait d'avoir une machine à ses ordres soit ce que je recherchais P'pa, et j'espérais tellement avoir raison... J’espérais le connaître encore assez bien pour que mes déductions soient confirmées...

Lorsque je me réveillais, il me semblait n'avoir dormi que quelques minutes tant j'étais encore fatiguée... Mon cerveau avait trop fonctionner pour me permettre d'avoir un sommeil réparateur et bénéfique. Je levais délicatement la tête de la nuque de Keiss. J'étais étonnée qu'il n'ait pas chercher à se dégager lorsque je m'étais installée ainsi, sans vraiment le vouloir d'ailleurs. J'étais juste si fatiguée que j'avais posé ma tête et fermé les yeux... Je le regardais plus attentivement... Sa blessure, ces trois jours à pleurer, refuser la nourriture et les soins l'avait affaibli plus que je ne le pensais. Il était maigre et cela faisait peur. Il n'était déjà pas bien épais après avoir intégré le clan, mais après trois jours de jeune, c'était déplorable. Il devait reprendre du poids, impérativement, et une fois que cela serait fait, il devrait transformer ce poids en muscles ! Le plus délicatement possible, pour ne pas le réveiller, je me levais. Puis j'approchais ma gueule de son oreille et d'un chuchotement, qui je l’espérais, atteindrait son subconscient, sans le réveiller pour autant, je murmurais :



Malgré la coupure de ses émotions, j'avais remarqué que ma présence semblait lui faire un certain bien, enfin, du moins il me semblait que c'était ça, ou alors je l'espérais peut-être ? Sur la pointe des pattes, je quittais notre alcôve pour me rendre à la réserve de nourriture. Sur le chemin, j'entendis quelques fois le nom de Trinity, alors j'avais tenté laisser traîner un peu mes oreilles, mais sur mon passage, la plupart des conversation se taisaient. Était-ce parce que je m'occupait de Keiss ? Ou peut-être parce que j'étais la fille de l'alpha ? Je crus, néanmoins, entendre les mots honte, déshonneur, déchéance et moins que rien. Ces mots associés au nom de Trinity, je pensais cela inconcevable. Dès que possible, il faudrait que j'aille la voir, et le dès que le possible devait se trouver rapidement !

Arrivée au garde-manger de la meute, je choisi un généreux morceau de viande que Keiss et moi pourrions nous partager. Pour reprendre le poids qu'il lui manquait, j’estimais qu'il lui faudrait minimum deux repas copieux par jour. Une fois mon morceau en gueule, je quittais la réserve et m'en retournais à notre alcôve.

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Lorsque je revins dans notre alcôve, Keiss était réveiller et me regarda arrivé. Je m'approchais de lui et déposais le morceau de viande devant lui.



Mais à peine avais-je terminé qu'il enchaîna :



Sa voix était dure et son ton presque agressif me firent mal. Après ce qu'il s'était passé hier et la façon dont j'avais pris soin de lui, je pensais qu'il serait un minimum plus reconnaissant. Moi qui pensait que ma présence semblait lui faire du bien, peut-être n'étais-ce finalement qu'un espoir de ma part, vain... Une certaine colère monta en moi, mais je n'en montrait strictement rien et je me contentais de le regarder. Après quelques secondes de silence, il ajouta un "Bonjour". Cela me fit sourire, mais nuellement dans un esprit moqueur, non simplement parce que je savais qu'il n'avait pas l'habitude de vivre avec d'autre, mais au moins, il essayait... Je finis par me décider à lui répondre :



Je lui offrit un sourire ironique, presque charmeur avant d'enchainer :



Je me couchais en face de lui et poussais le morceau de viande dans sa direction, du bout du museau pour lui signifier de se servir le premier.

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Il n'exprima pas de regret ou d'excuses vis-à-vis de son comportement, néanmoins, il baissa la tête, honteux et je ressentis également en lui une trace de honte. Cela me soulagea de ressentir à nouveau ses émotions, même si elles étaient un peu moins fortes que ces derniers jours. Il y avait une incompréhension qui émanait également de ses émotions, mais j'en ignorais l'origine. Lorsque je lui parlais d'un ton légèrement charmeur, pour le faire réagir un peu, il sourit. C'était au moins ça, et je ne me plaignais pas. Il avait réagit, ma réflexion lui avait arraché un sourire. Il me semblait que cela faisait une éternité que je n'avais pas vu un sourire sur son visage. Lorsque je poussais le morceau de viande dans sa direction en m'installant près de lui pour manger, il ne lâcha qu'un seul et unique mot et se mit à manger. Le repas se fit en silence, que je ne rompis pas. Néanmoins, les regards que me jetais parfois Keiss ne m'échappèrent pas, et ne manquèrent pas d'attiser ma curiosité. Le morceau de viande ne fit pas de vieux jours.

Puis j'observais Keiss qui ferma les yeux un instant tout en commençant à se déplacer. Une détermination et un douleur passèrent par mon pouvoir et je fus vraiment tenté de lui proposé de s'allonger. Mais je savais qu'il fallait le laisser faire, il était déterminé à se lever, et il ne fallait pas que j'entame cette détermination, alors je le laissais faire. Néanmoins, lorsqu'il retomba, vive comme l'éclair, je vins me placer à coté de lui, pour ralentir sa chute et ainsi éviter qu'il ne se fasse mal. Il émit un grognement et je sus ce qu'il ressentait sans même faire appel à mon pouvoir. J'avais passé des semaines ainsi, dans la tanière de Gaor, lorsqu'il m'avait trouvée. Des semaines à tenté de me mouvoir sans succès, trop faible et les tentatives trop douloureuses.

Il me lança un regard, mais je fus bien incapable de comprendre ce qu'il signifiait... J'aurais tellement voulu pouvoir faire plus pour lui, qu'il ne souffre plus. Mais je ne pouvais pas, et la douleur faisait partie du processus de guérison. Il ferma à nouveau les yeux, soupira et recommença. Cette fois, il alla plus doucement pour se lever et parvins à tenir debout. Il me jeta un regard et lança dans un marmonnement que ça irait. Je savais que c'était faux, et lui aussi. Alors je vins l'aider à se maintenant debout, lui offrant mon propre corps pour appui.



Prête à le suivre au rythme auquel il pourrait tenté de marcher, même s'il lui faudrait des minutes entières pour ne faire qu'un pas, je serais là en soutien, tant qu'il en aurait besoin.

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Avec mon aide, il fit un pas, puis un autre et ils s’enchainèrent, lentement et difficilement, mais il faisait l’effort d’essayer au moins, et c’était tout à son honneur, de ne pas simplement baisser les pattes et abandonner. Je savais à quel point se battre pour continuer d’avancer était difficile, alors que juste abandonner étais si facile. Je restais tout le long en appui. Il fit quelques pas, puis je le sentis s’écrouler. J’attrapais son col de fourrure si dense, soupçonnant que vu l’épaisseur de la fourrure, je ne lui ferais pas mal, et l’aidais à ne pas chuter trop durement sur le sol. Il émit un grognement que je ne connaissais que trop bien pour l’avoir si souvent fais moi-même. Il était en colère et frustré d’être si faible, de ne même plus savoir marcher. Je n’avais nul besoin de ressentir ses émotions pour savoir ce qu’il ressentait à ce moment précis. Mais c’était un soulagement de sentir quelque chose émaner de lui. Lorsqu’il tenta de se lever, je lui donnais un coup de main, constatant que ses muscles épuisés tremblaient, criant au supplice. Attrapant à nouveau la fourrure dense de sa nuque pour le hisser sur ses pattes, et je l’aidais à se rendre sur sa couche. Il s’y effondra, pas durement, grâce à mon aide, et je m’installais près de lui en murmurant d’une voix encourageante :



Il me détailla quelques instants, et je le laissais faire, sans rien dire, faisant même semblant de ne pas voir son regard sur moi, regardant une pierre, sur le sol, près de la paroi de notre alcôve. Puis je tournais la tête pour le regarder lorsqu’il prononça mon nom, attendant la suite. Mais elle ne semblait pas venir. Néanmoins, me doutant qu’après ses années d’errances solitaires, il ne devait pas être facile pour lui d’engager la conversation. Je me doutais qu’agir comme un loup normal faisant parti d’une meute prendrait du temps pour lui, mais je l’encourageai du regard à continuer, attentive, et la suite vint, accompagnée d’une nouvelle combativité dans ses émotions, ce qui me donna de l’espoir la suite :



Combien de fois m’avait-on posé cette question. Combien de fois avais-je raconté cette histoire qui me retournait l’estomac. Au début, j’avais honte, mais ce n’était plus le cas. J’avais prouvé depuis longtemps que je n’étais pas la victime que mes cicatrices laissaient voir de moi. Non, je m’étais battue de façon acharnée pour survivre, guérir, et m’offrir une véritable vie. A présent, lorsque j’évoquais cette histoire, c’était la rage qui me retournait l’estomac, une rage aveugle envers mes parents biologiques qui avait tués mes deux frères et avaient bien failli réussir à me tuer également. Mes deux frères me manquaient tous les jours, et je m’en voulais encore de ne pas avoir pu sauver au moins Ragnar… Et même si je n’avais pas envie d’aborder ce sujet, Keiss se montrait participatif et souhaitait avoir une conversation, alors s’il fallait que ce soit ce sujet, ça le serait, pour ne pas briser son élan si bienvenu :



Mon regard était franc, il ne se défilait pas. Certes, je n’aimais pas parler de ce sujet, mais je ne me défilais plus, ayant compris que je n’étais en rien fautive de ce qu’il m’était arrivé, contrairement à ce que j’avais pensé longtemps. Lorsque j’en parlais, je ne ressentais qu’une rage immense envers mes géniteurs et une infinie gratitude envers Gaor qui m’avait trouvée, adoptée, puis élevée et aimée comme sa propre fille…



Je décidais d’aller jusqu’au bout, essayant de le convaincre que se relever est toujours possible, qu’il question que de volonté. Lui prouvant que j’avais vécu l’enfer dès mon plus jeune âge, mais que malgré tout, j’étais là aujourd’hui, pour tenir cette conversation et l’aider. Alors je me levais, défit la sangle de mon armure et déposait la pièce de métal sur le sol. Puis, je lui tournais le dos, m’asseyant devant lui quelques secondes, pour qu’il puisse voir la longue cicatrice, dénuée de poils, qui parcourait ma colonne vertébrale sur 20 bons centimètres, exposant la partie la plus vulnérable de mon corps.



Je décidais de ne pas remettre mon armure tout de suite, me tournant simplement pour me remettre face à lui et me coucher à nouveau.

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Alors que je lui faisais mon récit, répondant à sa question avec plus de précision que nécessaire, probablement, il ne m’interrompit par une seule fois, écoutant patiemment. Je ne me rendais compte qu’à présent que mon passé me hantais encore beaucoup trop, pour qu’un tel flot de paroles sorte ainsi de ma gueule. Certes, je n’avais plus honte d’en parler, les regards sur moi avaient fini depuis longtemps de me mettre mal à l’aise. Mais je réalisais que mon deuil n’était pas terminé. J’étais si en colère encore contre mes géniteurs… Petit à petit, je sentis les émotions de Keiss me traverser, d’abord la honte de ne pas avoir pu soupçonner une seule seconde ce par quoi j’étais passée, l’enfer. Vint ensuite l’admiration qui me fit chaud au cœur, même si je n’en montrais rien. Puis, lorsque je parlais de Gaor, qui m’avait sauvée par son geste autant que par son amour, une certaine fierté l’envahi. Je ne me posais pas plus de question. Mais dans son ressenti, il y avait également de la colère. Je soupçonnais que c’était contre mes géniteurs qu’elle était dirigée. Puis ensuite, lorsqu’il prit la parole à la fin, presque en me coupant, c’était de la détermination que je sentais en lui. Cela me fit plaisir, ça voulait dire qu’il allait mieux :



Keiss n’était pas fan de grandes paroles et grands discours. Il ne disait que ce qui avait besoin d’être dit, sans en faire des tonnes. Au début, je pensais que c’était parce qu’il ne savait pas comment avoir une vraie conversation à cause de sa longue période de sollitude, mais j’avais fini par comprendre que c’était simplement sa manière d’être. Et il est vrai que parfois, je parlais trop, probablement même très souvent. Néanmoins, sa détermination à m’aider à obtenir ma vengeance me toucha, je posais délicatement ma patte sur la sienne et répondit :



Je m’approchai encore un peu plus de lui, et lui offrit un coup de langue sur le museau en remerciement.



J’ancrais mon regard au sien, un regard doux, compatissant, mais tout à la fois ferme avant d’ajouter :

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Comme d'habitude, le contact que je lui offris le surpris et il eut un léger mouvement de recul, mais il ne me repoussa néanmoins pas. Son regard se planta dans le miens et je lus en lui l'incompréhension face à mon désir que mon éventuelle vengeance ne gâche pas ma vie. Je me doutais bien que ça n'aurait pas été sa manière d'agir s'il avait été dans ma situation. Mais j'avais envie de le voir aller mieux, et plus que tous, j'avais envie de lui montrer qu'il existait autre chose, une autre manière de voir les choses, de penser et d'agir. J'étais consciente que c'était très probablement un travail de très longue haleine, mais j'étais prête pour ça. Je ferais tout ce était en mon pouvoir pour qu'il puisse voir qu'un autre chemin était possible.

Après un moment, même si je sentais l'incompréhension qui le tenait, il me sourit et me remercia, simplement. J'aurais pu me vexer que mon investissement lui procure si peu d'effet, mais je savais que ce qu'il venait de faire, était déjà un bon pas en avant pour lui. Alors je ne dis rien de plus que :



Je me doutais qu'il avait probablement besoin de repos après cet effort qu'il avait fourni pour ne faire que quelques pas. Je revins près de lui, laissant mon armure posée sur le sol, près de nous, je n'en avais pas besoin pour le moment, et elle était vite enfilée en cas de besoin. Je vins m'installer contre son flanc et murmurait doucement :



Je posais ma tête sur le sol et fermais les yeux pour somnoler un peu, néanmoins attentive à tout ce qui pouvait arriver dans notre alcôve.