Ragnar était en boule dans la tanière. Quand il était venu s'y installer, il avait au fond de lui prié pour que son père n'y soient pas. De toute façon, à cette heure, il était certainement parti faire sa ronde quotidienne. Le petit loup était donc allé se laver après l'entrainement, puis avait rejoint la tanière familiale pour s'allonger dans le trou qu'il occupait étant petit.

Abby était partie depuis quelques temps avec sa meute de chasse, aussi le loup était seul. Quand il fut installé, il regarda un peu partout. Elle était si grande, si vide... Il regarda l'endroit où son père dormait quand il était là, puis soupira. Un pétale séché vola devant lui, projeté par son soupir. Il le regarda. Ragnar ne se souvenait pas de son père sans ce petit trou où des pétales de roses sèches étaient. Elles y étaient depuis toujours, du moins c'est ce qui semblait à Ragnar. Son père en prenait le plus grand soin, aussi quand le pétale s'envola, il alla la ramasser délicatement pour la reposer dans le trou.

Il resta morfondu, en boule dans son trou longtemps, il ne se rendait pas compte que le soir tombait. Une petite brise agréable faisant danser ses poils le fit sortir de sa rêverie. Il leva la tête, le ciel prenait déjà des teintes foncées. On était à ce moment de la journée où le soleil et la lune se croisaient dans le ciel, où la lumière baissait juste assez pour encore distinguer les feuilles dans les arbres sans pour autant y voir aussi bien qu'en plein jour.

Puis Abby entra calmement, elle sembla remarquer que Ragnar était tourmenté. Elle s'approcha lentement et lui donna un petit coup devant l'oreille. Ragnar ne tressaillit pas. Il n'aimait pas qu'on le touche, il ne le supportait pas, Abby le savait, mais Abby était douce comme un ange, il savait que jamais elle ne lui ferait de mal intentionnellement, aussi il savait que si elle venait à le toucher, c'était qu'elle était vraiment inquiète.

Il leva la tête vers elle, soupira et se recacha le museau dans les pattes en fermant les yeux, les oreilles tombantes. Il n’avait pas pour habitude de montrer ouvertement dans quel état sentimental il était.

C’est papa….

Il se tut, il ne savait pas par où commencer. Abby connaissait l’histoire, du moins la version du cerf, car Ragnar n’avait parlé à personne depuis l’accident, dans ces moments où il faisait la gueule à son père, il ne parlait qu’à Verd, à Ystrelle et parfois aux petits, qui le regardaient, les yeux pleins d’innocence. Mais à son père ? Nada. Pas même un grognement, pas même un signe, rien. Il gémit, il avait été si horrible… Il n’avait pas été éduqué comme ça. Tanyxoth était plein de justesse, il respirait la politesse, c’était un gentleman. Il n’avait pas mérité tout ce qu’il avait reçu, que ça soit de la part d’Ystrelle, de Verd, ou même de lui-même Autant ce que les autres lui avaient fait, Ragnar ne pouvait pas y faire grand-chose, autant ce que lui avait fait, il s’en voulait énormément.

Il n'avait pas prévu que sa réponse soit prise de la mauvaise manière. Pendant un cours instant, il la sentit paniquer, croyant que père était blessé, ou mort.

Si père mourrait avant même qu'il n'aie le temps de demander pardon, ça serait catastrophique. Il ne s'en remettrai jamais. Fort heureusement, ce n'était pas le cas. Il le savait. Lorsqu'Abby repris ses esprits et se dit que c'était peu probable, il sentit son regard peser sur lui. Il lui jeta un oeil quand elle s'installa près de lui à sa hauteur.

Lui parler? comment faire! Il devait tout à ce loup et il avait été odieux, et puis, Ragnar n'était pas doué pour ça. Il était déjà maladroit de base, alors quand il était sur les nerfs, c'était encore pire.

Il savait que son père l'aimait. Il l'avait toujours su mais avait osé le remettre en doute, selon lui c'était impardonnable. Il lui avait fallu tout ce temps pour comprendre que lui aussi aimait son père. Tout ce que Abby lui disait, il le savait déjà, et ystrelle le lui avait également dit quelques heures plus tôt. Mais tout comme Ystrelle, Abby avait raison. Cependant il ne savait pas commenta faire.

Il se leva et se mit à faire les cents pas, rester assis, prostré, couché, à ne rien faire pendant des heures avait fini par engourdir ses pattes, et il n'aimait pas rester avachi comme un chien battu. Battu il l'avait été, mais il ne le sera pas ici, il le savait. Alors que la première tanière qu'il n'aie jamais connu signifiait pour lui la douleur et la peur, celle ci signifiait famille, c'était une tanière somme toute banale, mais chaleureuse, emplie d'odeurs familières d'êtres aimés.


Il leva vers elle des yeux désespérés.

A la proposition de sa mère, il ne fit rien, puis secoua lentement la tête.

Je dois faire ça tout seul. Je ne veux pas que tu aie à supporter ça aussi

Elle en supportait déjà beaucoup pour lui. Il la trouvait courageuse de rester dans cette ambiance si tendue, de tenir autant à l'un qu'à l'autre, Il avait du mal à la considérer comme sa mère. Il l'avait connu plus tard que Père, mais il n'oubliait pas que s'il avait beaucoup appris de son père, il avait également appris d'elle. Abby lui avait montré la tendresse et l'amour maternel. Il se dirigea lentement vers elle, hésitant. Il n'aimait pas les contacts, et n'était pas habitué à montrer de l'affection, encore moins physiquement. Finalement, il se coucha contre elle, en boule. Il ne voulait pas qu'elle l'accompagne. Il devait le faire tout seul. Mais même s'il ne dit plus un mot, il lui montrait à quel point il était reconnaissant. Affronter son père seul le terrifiait, mais quelle que soit la réaction de son père, il l'aurait mérité.

Depuis l'accident avec l'ours, il s'était passé tant de temps, presque six mois qu'ils ne s'étaient plus parlés. Ils devaient tout rattraper, c'était important.


Il avait eu dur à le dire, il l'avait toujours appelé Abby. Mais au même titre que le cerf était son père, Abby était sa mère, elle l'aimait comme telle, il devait lui montrer qu'il le voyait, et que tout cet amour qu'elle lui donnait, il le recevait avec fierté. Parce qu'une autre mère , il n'en voulait pas.