Tu ouvres lentement tes paupières sur deux grands yeux violets et inexpressifs, les idées emmêlés dans ton cerveau brumeux de sommeil. Dans l'horizon nacré, un large disque s'élève parmi quelques étoiles tardant à s'éclipser et tu tentes de suivre du regard un nuage gris qui file se cacher derrière la cime des arbres qui t'entourent. La brise matinale qui cingle ton museau est fraiche , contrastant avec les chaleurs estivales de ces derniers jours. Où suis-je ? Tu jettes une oeillade circulaire en inspirant doucement pour  calmer les battements effrénés de ton cœur. Un épais buisson touffu, un arbre dénudé au tronc sinueux, plusieurs chemins tordus et boueux qui divergent de tous les côtés, et toi, assise au centre de ce cahot sinistre. Pas un bruit, pas un misérable oiseau pour chanter dans les branches, pas un minuscule lapin pour éveiller tes sens, rien. Tu n'oses même pas broncher, craignant quand marchant tu actionnes un quelconque piège ou réveille la colère d'un habitant de ces lieux. Soudain, les souvenirs te reviennent par brides détachées et insensées. Tu te rappelles une longue marche épuisante durant laquelle tu avais du luter contre l'épuisement et la faim. Tu te souviens d'un loup, majestueux et à la musculature imposante. Au début il t'apparait comme attrayant, entouré d'un brouillard chaud et agréable, puis brusquement son pelage devient noir et ses pupilles rouges comme les braises. Ce cauchemar t'arrache un gémissement d'horreur et tu secoues frénétiquement la tête pour chasseur ce rêve terrifiant. Serais-ce une prophétie ? Vais-je le recroiser ? Et qui est-il ?Tu te débats avec toi-même un long moment pour cesser d'y penser puis tu te lèves précautionneusement, comme si ta vie en dépendait. La peur pesant sur ton estomac, tu ne réfléchis pas à la chasse ni à la possibilité qu'il te faille te nourrir. Ton but en ce moment-même n'était autre que de sortir de cet endroit sombre. Devant toi s'étend un sentier sablonneux et approprié pour te coussinets endoloris et éraflés, tu envisages de l'emprunter mais ton odorat te rattrape. Le fumet pestilentiel qui s'en dégage te fait renoncer et tu fais volte-face, lui préférant le sentier semer de cailloux fleurant bon le soleil et l'été. Tu suis un certain temps les courbes serrés de la brèche naturelle à travers bois et celle-ci te mène finalement au pieds des Montagnes du Néant. A présent, la boule de feu flotte haut dans le ciel azure et tape fort sur ton dos courbé d'épuisement. Depuis combien de lunes cavales-tu sans repère ? Tu as bien songé à retourner au camp, mais le manque d'effectif est pesant et le désert qu'il devient t’insupportes. Tu t'étends contre un rocher de plusieurs mètres qui s'érigent en lisière du petit coin de forêt dans lequel tu as passé la nuit et tu entreprends de mettre de l'ordre dans ta fourrure hirsute. Chaque parcelle de poil y passe, blanche, rousse ou café au lait et tu finis par poser nonchalamment ton museau roux sur tes antérieurs croisés, fixant longuement le bracelet accroché à l'une de tes pattes. Pourquoi est-ce ça sent la Meute De l'Air ?! Ton flair t'avais trahi, quelque chose était passé ici avant toi, ou plutôt quelqu'un, et surement pas de ta Meute car tu l'aurais reconnu ! Tu bondis sur tes membres en ignorant le grinçant de protestation qui résonne à tes tympans. Un intrus rodait quelque par près d'ici.

« A MOI ! »

Ce hurlement retentit dans les Montagnes et un frisson d'excitation parcourt tout ton corps. Tu l'as trouvé ! Tu t'élances à toute vitesse, truffe au vent et queue volant dans les airs. Tes coussinets martèlent la pierre dont tu as commencé l'ascension et tu grimpes toujours plus haut, toutes griffes dehors. Tu avales la distances sous ton corps se mouvant à vive allure, concentré sur ta destination et sur ce cri qui se perd dans ta mémoire. Tu t'arrêtes net, manquant de peu une chute et une mort certaine. Face à toi s'ouvre un gouffre béant et juste suffisamment profond pour que la lumière sonde chaque recoin. Tu tombes nez-à-nez face à une jeune louve inconnue. Elle tremble de partout et ses dents s'entrechoquent dans un crissement qui te vrille les oreilles douloureusement.

« Calme-toi la louve, tu m'expliques ce que tu fiches ici et après je te sors du pétrin. Ca marche ? » T'écries-tu en t'accroupissant au sol, nuque détendue en sa direction.

Tu te plonges dans les abysses de son regard arc-en-ciel et tu n'en reviens pas. C'est sa particularité ? Une dizaine de question t'assaille au sujet de ta trouvaille et tu clignes des paupières, ébêtée de stupeur. Tu penches légèrement la tête sur le côté, décryptant l'animale de bas-en-haut en passant par sa jolie couleur bleue claire. Tu observes la situation dans laquelle elle s'est retrouvé et tu évalues le danger que tout cela présente, songeuse. Quelle chance elle a eu que ce gros nid se soit trouvé là au bon moment, elle n'était pas tombé très bas et il te serait facile de la tracter jusqu'à toi !

Tu réfléchis à la possibilité de laisser la louve mourir ici. De faim, de soif, de fatigue ou d'une chute mortelle, peu importe le résultat serait le même. Tu aurais éliminé une menace qui rodait sur les terres de ta Meute, et tu rapporterais un peu d'une gloire d'entante chez les tiens. Son corps s'agitait de spasmes violents qui faisait courber l'échine à la louve bleue et ses yeux multicolores se révulsaient d'horreur. Tu détournes le regard, prise d'une subite pitié. Je ne peux pas la laisser ! Le masque inexpressif que tu avais érigé sur ton museau tombe et tes traits se tordent en une mimique incertaine et mitigée.

« J-j'étais inconsciente, j-je marchais sans regarder où j'a-allais. » Te bégaye-t-elle.

Sa douce voix aux intonations tranchantes et pourtant fébriles envoûtent tes oreilles et tu te mordilles la babines inférieure en poussant un grognement de rage, non décidément tu ne peux te résoudre à l'abandonner. Le disque jaune continue sa course descendante dans la toison claire et sans nuage et tu trouves soudain une idée qui semblerait propice à la situation.

« Aide moi ! Vite ! » Gémit-elle.

Tu grondes en lui montrant une rangée de crocs acérées.

« Tais-toi, laisse moi me concentrer » Lui assènes-tu en fermant les paupières.

Tu te redresses péniblement et recules de quelques pas en inspirant profondément et en faisant appel à une concentration sans faille. Une grand aigle de feu se dessine petit à petit dans ton esprit. Tu lui imagines un long bec crochu de flammes rougeoyantes et de majestueuses ailes cinglant les airs des Montagnes du Néant. Quelque chose en toi se met à bourdonner, et tout ton être est pris de convulsions. Une chaleur intense nait au creux de ton ventre et tu la laisses prendre tout ton corps, l'aigle et chaque minuscules détails très nets dans ton esprit lui aussi en ébullition. Tous tes muscles te brûlent et l’électricité dressent les poils de ton échine. Soudain, le cri aigu d'un aigle fend le ciel et tu ouvres brusquement tes yeux dont le violet était devenu orangé entre temps. L'aigle de feu s'était matérialisé, il zigzagué sans but au-dessus de vos têtes. Approche mon aigle, approche et sauve-la, ramène-la moi. Tu braques une oeillade accusatrice sur la louve et l'aigle pique droit sur elle, ses flammes projetant des gerbes de feu de partout. L'aigle agrippe délicatement la fourrure bleuté de l'inconnue et s'élève dans les hauteurs avec elle pendue au bout de ses griffes enflammées. Quelques minutes plus tard, l'aigle vint la déposer prêt de toi avant de s'évaporer dans un courant d'air.

« Bon, maintenant tu vas me dire qui tu es, d'où tu viens, et ce que tu fiches réellement ici ! » T'exclames-tu avec irritation.

Tu tiens péniblement sur tes quatre frêles pattes tremblantes, luttant contre la fatigue qui t'assaille brutalement par vague qui te submerge d'épuisement. Tu sais que tu ne dois pas faiblir face à l'ennemi, après tout cette louve est une inconnue qui pourrait attaquer à n'importe quel moment, prudence est de mise. Tu la regardes longuement, recroquevillée sur toi même tu lui lances sans cesse de brefs oeillades en coin signifiant tout, le fond de tes grands yeux violets zébrés d'éclairs. La louve possédait un splendide pelage de milles bleus différents et tu t'amuses à les compter et à les dénombres, souriant à chaque nouveau ton de déceler. Petit à petit le devoir te reprend et tu te redresses en masquant au mieux quelques grimaces de douleur engendrée par les traces du feu en toi. Tu la fixes un certain temps, jusqu'à ce que le malaise prenne racine, puis tu fais volte-face.

« Ne t'attarde pas ici à moins que tu veuilles finir déchiquetée par les miens. » Grognes-tu en ignorant ses grondements de protestation. « Ils ne sont pas tous aussi doux, à moins que tu ne connaisses pas le chemin ?! »

Tu lui jettes un coup d'oeil accusateur par-dessus ton épaule avant de balayer la pierre de ton épaisse queue rousse.