Cela faisait maintenant plus d'une semaine que le groupe était parti, et Tanyxoth s'inquiétait. Il était évident maintenant que les choses ne s'étaient pas passé comme prévu. Il n'aurait fallu que quatre jours, cinq à la rigueur à Zephilian pour rentrer si la mission dans laquelle il s'était jeté avait été menée à bien, ou s'il était parvenu à un accord avec le chef des solitaires.

Tanyxoth lui avait pourtant dis de ne pas le faire, l'alpha aux bois de cerfs voyait cette mission d'un mauvais œil, mais Zephilian n'avait cessé de parler d'honneur et de réparation, et le cerf avait cédé face à l'entêtement de son confrère. Aussi là où deux simples loups auraient suffi, Zephilian avait mené toute une troupe. Aussi Zephilian réfléchissait déjà à envoyer une équipe de secours, réduite, qui à défaut de combattre chercherait des traces de la première troupe, et sans déclencher aucune hostilité, reviendrait faire un rapport à l'alpha cerf.


Mais d'autres soucis venaient accabler le loup siamois. Il approchait bientôt d'un âge que très peu de loups avaient atteint, et s’il y avait jusqu'à quelques semaines il n'en sentait pas les effets, le stress et l'angoisse semblaient avoir ramené son corps à la réalité. Ses blessures contre Svalrog avaient laissé beaucoup de dégâts internes, en plus des larges cicatrices qui privait son poitrail ainsi que ses flancs de bandes de poil entières. Le lendemain du départ de Zephilian, le cerf s'était réveillé le museau ensanglanté, toussant du sang.

Les médecins lui avaient dit que son stress accélérait le processus, ils n'avaient mis la patte sur aucune maladie, si ce n'était la vieillesse qui rappelait le cerf à lui. Ils n'avaient pas donné d'échéance, mais Tanyxoth se doutait, au fond, qu'il ne fêterait probablement pas de nouvel anniversaire.

Il cherchait une solution pour envoyer une équipe de secours sans attiser un potentiel conflit quand un hurlement d'alerte lui parvint. Alors méditant dans les plantes il entreprit le trajet du retour, et entendit le hurlement de Rahawk avant d'en franchir la limite avec le camp.

Le sang de Tanyxoth ne fit qu'un tour et il pressa le pas, entendant une tirade qu'il comprenait bien assez fort pour que son cœur ne se serre. Tandis qu'il progressait vers l'assemblée, il assimila les infos, il pleurerait plus tard. Zephilian était mort, Adela aussi, et un autre guerrier que Rahawk n'avait pas identifié. Une colère froide lui vint, mais le cerf respirait profondément, calmant ses ardeurs, Rahawk ferait ce qu'il dirait, et Tanyxoth ne pourrait pas défendre les siens, pas dans cet état. Malgré la douleur de son état de santé, quand il arriva derrière l'assemblée, il se dressa, fier comme il l'a toujours été, et le vieux loup hurla simplement pour signifier sa présence.


Alors que le discours de Rahawk avait déclenché tantôt des murmures, tantôt des protestations, le silence se fit progressivement total à l'appel du cerf, tandis que la foule se perçait d'une ligne, laissant le loup aux bois brisés progresser dans l'assemblée.

S'approchant de la pierre, où le solitaire était injustement dressé, Tanyxoth vit les loups qui l'entouraient, par terre au même niveau que les autres. Rahawk avait ramené toute sa tribu et le cerf comprit qu'il ne pourrait guère la déloger, du moins pas en épargnant des vies. Le discours du chef de meute n'avait pas été sanglant, il proclamait une force que la source n'avait plus depuis que ses meilleurs guerriers étaient morts ou partis.

Le cerf détailla les solitaires, jusqu'à voir Heimdall à leur côté. Son regard s'attarda sur lui un instant mais à nouveau, le moment n'était pas venu de se mettre en colère, cela serait trop dangereux pour son clan.

Il regarda le chef solitaire, il n'était encore chef de rien ici. Le cerf s'avança, le pas calme et sûr de lui, vers la pierre des alphas. Si l'un des membres de la meute solitaire voulait l'en empêcher, il faudrait le tuer, et cela décrédibiliserait Rahawk à jamais. Alors qu'il s'approchait un peu trop du rocher, le chef d'armée vampire tandis les ailes, comme pour dire un signal que le cerf ne comprit pas, mais à présent Heimdall n'était plus chef d'armée, pas s'il se tenait de ce côté-là de la foule.


Le cerf releva la tête vers Rahawk, avant de grimper.



Sa voix était calme, posée, et sans reproches, il s'était douté que cela finirait de manière sanglante, il n'y avait pas d'autre issue quand on emmenait une troupe de guerriers faire face à l'ancien adepte. Rahawk parlait d'une histoire d'enfant, de jeune qui découvrait son corps, et le justifiait pour prendre un clan. Mais si... Si cela pouvait être bénéfique ?

Faisant fi du statut autoproclamé de Rahawk, le cerf monta sur le rocher, pour se retrouver face à lui. Ici le fils de Gothic n'était encore rien d'autre qu'un traitre à son clan, et un solitaire, il y avait encore un alpha à la source à qui la place sur ce rocher revenait.

Tanyxoth avait vu ce gamin naitre et grandir. Il l'avait vu molester les autres jeunes de son âge, il l'avait vu évoluer et progresser, c'était le fils d'un illustre guerrier que Tanyxoth tenait en haute estime, en plus de partager avec lui une amitié agréable. Mais si le cerf avait un jour été un illustre guerrier lui aussi, son métal était émoussé aujourd'hui, ses douleurs trop profondes, et il savait bien qu'il n'avait aucune chance face au loup solitaire. Ho Tanyxoth pourrait réussir à le blesser, mais pas à le tuer, ça il le savait, tous le savaient ici. Tanyxoth était vieux, son poil blanchit par l'âge, ses bois ternes. Le coup de vieux que le stress lui avait provoqué avait été foudroyant. Pourtant, il portait son clan, comme il l'aurait fait dans ses jeunes années, et comme il continuerait de le faire jusqu’à sa mort.

Si Tanyxoth avait passé une vie droite et juste, aujourd'hui il était devenu un loup sage plutôt qu'un combattant. Il parla calmement, sans hausser le ton, sans crier non plus. Il regardait le fils de gothic sans baisser les yeux, sans afficher de soumission. Sa queue était droite, mais pas tenue haute, il savait qu'il avait en face de lui un chef de meute tout comme lui. Et si Rahawk n'était pas sur ses terres, Tanyxoth s'adressait à lui comme à un égal.


Tanyxoth offrait à Rahawk non pas une possibilité de reddition, mais de négociation. Ainsi, il montrait au solitaire qu'il 'n’était pas fermement contre son arrivée ici, à vrai dire des idées germaient dans son esprit, sur lesquelles il serait intransigeant. Mais en l'état, jamais la source ne se rangerait derrière lui tant que Tanyxoth était en vie, et contre lui. Il lui offrait une discussion calme, le moyen de faire redescendre la pression, sans pour autant oublier ses revendications, ses paroles. S'il avait su faire la peau à un groupe de guerrier, il ne faudrait qu'un ordre de Tanyxoth pour que le reste du clan ne passe à l'attaque, et cela serait sanglant, signant la fin de la meute des tanières. Aucun des deux ne voulait arriver à cette fin là.

La louve tournait en rond depuis trois jours. Elle pourrait se préoccuper de beaucoup de choses, de son fils qui grandissait beaucoup trop vite à son gout, du fait qu'il grandirait probablement sans père, malgré qu'elle l'élevait seule depuis le début. Mais aujourd'hui Ellana était inquiète, pour Lavande.

Son amie et cheffe d'armée était partie, avec d'autres loups du clan, pour elle ne savait quelle mission, et cela faisait trop longtemps qu'elle n'était pas rentrée. Pourquoi diable on enverrait un alpha un bêta un chef d'armée et des guerriers pour une mission qui prenait autant de temps, tout en ne disant pas grand chose de cette mission au reste du clan?

Alors Ellana tournait en rond, elle ne pouvait pas faire grand chose de plus, avec un clan à l'arrêt sans chef d'armée, et un stupide vieux alpha qui se taisait et ne faisait rien.

Aussi quand un hurlement retenti, d'une voix vaguement familière, Ellana déposa Galahad dans la tanière de sa mère et fonça au centre du clan. Son fils, peureux, s'y enfonça bien sagement. La Gothic traversa vite la foule, aperçut sa soeur non loin, mais surtout son frère. Que faisait Rahawk ici? Il avait ramené tout le monde, Ellana baissa le regard vers la troupe ammassée contrel e rocher.

Il y avait là toute sa meute. Toute? Non... elle ne savait pas qui, mais Ellana avait compté plus de membres de la meute. Peut être certains étaient restés là bas, dans le nord. Son regard continua de dévier sur les participants, et elle y vit lavande. Lavande était là, Lagherta aussi, et Silver ainsi que Heimdall.

Ellana savait où était parti Heimdall, il lui avait dis, il lui avait posé la question. Ellana savait ce qu'il avait fait, et tout prit un sens encore plus démesuré, alors que Rahawk confirmait ses pensées.

Trois source étaient morts, tant pis. Ellana pleurerait plus tard, son inquiétude n'allait que vers une seule louve, aussi égoïste cela pouvait-il parraitre. Ellana ne la quittait pas des yeux, n'avançant pas, ne bougeant plus, craignant que le moindre clignement des yeux ne la fasse disparaitre.


Puis tanyxoth arriva, parla, et les deux chefs s'en allèrent ensemble. une fois partis, Ellana interpela son amie, espérant une réaction.

Lavande!

Elle l'avait crié, amorçant un pas en avant vers elle.

Le trajet du retour avec Rahawk se fit dans le silence le plus total. Les deux loups avaient probablement encore beaucoup de choses à se dire mais ce n’était ni l’heure ni l’endroit pour. Des choses plus urgentes que de raconter l’histoire d’un clan ou d’écouter les péripéties d’un solitaire attendaient les deux chefs. Les plantes semblaient s’être calmées autour du loup cerf et de son invité, leur laissant progresser en toute quiétude dans la jungle protectrice.

Il retrouva rapidement le mur de plantes qui les avait isolés du reste du clan. Le mur de liane se dénoua et s’écarta, alors que Tanyxoth, à la tête du cortège, pénétrait dans le camp. Les murmures et chahuts qui avaient repris à leur départ cessèrent à nouveau, petit à petit, gagnant toute l’assemblée jusqu’au rocher où le cerf vit son bêta perché. Dans un silence toujours maintenu, le vieux loup conduisit Rahawk jusqu’à la pierre, fendant la foule sans bousculer qui que ce soit.

Alors il monta sur le rocher, et hocha la tête vers Heyv. Ce dernier avait certainement pris des dispositions pendant leur absence, et si les solitaires n’avaient pas tenté de le descendre de ce rocher, alors tout pouvait encore bien se passer.
Heyv descendu, Tanyxoth invita Rahawk à l’accompagner d’un regard, et attendit que ce dernier ne monte pour se tenir à ses côtés sur le rocher des alphas.

Alors le cerf plongea son regard dans ceux de ses loups, scrutant l’assemblée, restant silencieux encore quelques secondes avant de finalement entamer ce discours qui changerait la face de son clan sans doute à tout jamais.



Commenca-t-il, de sa voix chaleureuse rendue graveleuse par l’âge.


Il se tut un instant, toisant ses loups. Il coula un regard vers l’ange porteur de lumière, en contrebas du rocher, Tanyxoth ne pouvait pas être le seul à l’avoir reconnu, Ragnar son fils était quelque part dans cette foule. C’était pour cet ange que son fils avait donné sa vie, c’était pour que cet ange puisse détruire le mal que tous ces loups s’étaient rassemblés. Mais Tanyxoth ne le présenta pas. Il appartenait à Chérubin de vouloir se faire reconnaitre aujourd’hui plus qu’il ne l’avait déjà été. Reportant son attention sur ses camarades, il poursuivit.


Le mâle se tut à nouveau, l’effort que lui demandait son discours était presque colossal, lui qui devait élever la voix assez haute et forte pour que tous l’écoutent avec attention. Lui qui avait peine à parler si longtemps sans perdre son souffle. Mais Tanyxoth restait concentré, s’il y avait un moment où il ne devait pas paraitre faible et vieux, c’était celui-là. Aussi quand le cerf reprit la parole, sa voix était rendue féroce par toute sa volonté, son enthousiasme. Il savait que les choses seraient dures, il savait que beaucoup ne l’accepteraient pas, mais lui l’avait accepté. Lui savait quel était le bon choix.


Encore une fois il se tut. Il voulait que tous reconnaissent à quel point la dette qu’ils avaient envers Rahawk était immense. Cela n’effaçait pas les crimes, et l’histoire entre Shaya et le fils du cendré devait être mise au clair. Mais il était bon de rappeler à tout le monde que leur salut était dû à un loup, et qu’il se tenait face à eux aujourd’hui. Il voulait galvaniser sa foule, leur faire comprendre que Rahawk n’était pas un mauvais loup, Tanyxoth avait confiance en lui, comme il avait confiance en chacun ici. Mais quand il reprit la parole, ce fut sur un ton plus calme.



Parce que Svalrog avait profité de la faiblesse de Léone pour prendre sa place, à une époque où il fallait tuer l’alpha pour le devenir. Une époque barbare. Tanyxoth tourna son regard vers Rahawk, et lui montra dans son regard une certaine reconnaissance. Quand il reprit la parole, c’était toujours au clan qu’il s’adressait.


Alors il quitta Rahawk des yeux et les replongea dans ceux de la foule.


Il se tut à nouveau, pesant ses paroles. Tanyxoth s’emplissait de gravité.


Il se tut, ferma les yeux, se concentra. Il rassembla toutes ses forces à nouveau pour que sa dernière phrase soit pleine de force et de volonté. Il voulait que son Clan, à travers ses paroles, y croient aussi fort qu’il y croyait. Il voulait que sa détermination soit contagieuse, que son optimisme se repende. Quand il releva les yeux, tous pouvaient voir sa détermination. Non, Le cerf ne se rendait pas, il ne déclarait pas forfait. Il confiait son clan, sa famille, à quelqu’un qui pouvait en prendre soin mieux que lui.


Et sur ces mots, Tanyxoth recula, laissant l’avant du rocher pour l’alpha, alors qu’il en descendait, et se posait à côté, se retenant de montrer son essouflement grandissant tant qu'il n'était pas seul à l'abri des regards.