Petit à petit Imryu avait pu reprendre la chasse. Elle avait voulu fêter ça avec une énorme proie, mais sa raison lui avait fait vite changer d'avis. Le principal était qu'elle pouvait à nouveau ramener des proies et se rendre utile, diminuant ainsi le fardeau qu'elle avait sur les épaules, elle qui ne supportait plus se considérer comme un poids mort.

Elle était encore parti à la chasse aujourd'hui. Elle ne forcait jamais mais voulait ne plus perdre le rythme, réhabituer son corps à la pratique et à l'endurance que demandait cet art. En hiver le soleil passait peu de temps dans le ciel. Les séances de chasse étaient plus courtes, Imryu ne pouvait pas se permettre de partir loin sans être sûre de ramener de grosses proies. Quand elle chassait avec sa fille, elle ramenait des sangliers et des proies moyennes, mais toute seule, elle devait se contenter de lapins, ou même d'oies et de canards qui se posaient non loin entre deux étapes de migration.

Elle était rentrée de la chasse lorsque le ciel se teintait d'orange à travers les nuages. Dans quelques minutes le soleil aurait disparu à l'ouest et la lumière déclinerait. Elle partit déposer les proies chassées chez elle, en en laissant quelques une à la tanière garde manger, qui servait de réserve à toute la meute. Elle ne trouva que Chérubin, mais ne s'inquiéta pas de ne pas y voir ni Zed ni Hélie. Ils étaient peut être allé faire des découvertes ailleurs, à deux. A l'age quasi adulte, elle pouvait les laisser seul ensemble, mais elle ne se doutait pas que ses deux petits n'étaient pas l'un avec l'autre.

Quand Hélie rentra, Imryu la fixa sans rien dire, s'attendant à ce que son frère les rejoignes d'une minute à l'autre. Mais quand il ne vint pas, l'angoisse perça, et elle sentit son coeur s'accélérer.


Sa fille se contenta de hausser les épaules en tirant sur la chair d'un faisan chassé ce matin. Un grondement s'échappa de sa gorge. Imryu n'était pas en colère, elle était terrifiée.

Elle sortit et entreprit de chercher l'odeur de son fils, tandis que Chérubin restait à la tanière avec leur fille. Si les deux parents se mettaient en quête de Zed et que Hélie en profitait pour filer, cela serait certainement le coup de massue qui finirait d'achever la vieille louve noire, et Hélianthas était parfaitement capable de ça.


Ne réussissant pas à trouver de piste de son fils, elle leva les yeux au ciel, peut être s'était il envolé? Tout le monde ne dormait pas encore, mais elle ne pouvait pas crier, la nuit était dangereuse, tout pouvait se passer sans qu'on ne le voie.

l'angoisse serra encore plus le cœur de la louve, qui se mit à faire le tour du camps de long en large, passant la truffe dans les tanières voisines sans sentir l'odeur de son fils adoré.

La nuit était tombée depuis longtemps maintenant, et son compagnon dormait avec leur fille. Peut être ne dormait il pas réellement, peut être gardait il l’œil ouvert, attentif, devinant l'angoisse qui faisait tourner en rond la louve de Feu. Elle se sentait opressée, ne réussissant pas à se calmer, imaginant au contraire tous les scénarios possibles qui pouvaient lui avoir volé son fils, accentuant son angoisse.

Après de longues heures d'angoisse et de doutes, une odeur fortes de marais la pris à la truffe, et elle se dressa vers sa tanière, imaginant un monstre qui s'en serait pris à son fils avant de venir ici s'en prendre au reste de la famille.

Mais au lieu d'un monstre reptilien, elle vit un loup beige ailé et couvert de vase et de boue. Son angoisse disparu si vite, Imryu sentit ses yeux gonfler et son visage s'inonder. Mais elle n'était pas heureuse, elle était triste, frustrée, et en colère que personne ne comprenne, et surtout pas lui. Elle vit Zedekiel se pencher dans la tanière comme pour voir si son retour serait vu ou non.

Peut être avait il déjà remarqué qu'il n'y avait que sa soeur et son père dans l'antre, mais Imryu se rapprocha de lui puis se dressa dans son dos, laissant la lumière de la lune éclairer ses larmes, tandis qu'un grondement raisonnait avec force dans sa gorge.

Imryu n'était pas en colère. Elle n'en avait plus la force. Plus la force de l'engueuler, et de lui expliquer encore et encore qu'il fallait rester prudent. Elle le fixait de ses yeux rougis et humides, sans produire plus de son que le grognement de sa gorge qui ne se calmait pas.

Elle le vit donc se figer, puis lentement se retourner avant de se décomposer. Elle ne se demandait plus s'il allait retenir la leçon. Il s'approcha l'air penau, le grognement d'Imryu ne se calma pas. Il frotta sa tête dans le poitrail de sa mère, et elle ne répondit rien. Il s'excusa, elle ne dit toujours rien. Il s'excusait toujours, cela ne changeait jamais rien.

Finalement, elle calma son grognement, elle ne voulait pas non plus alerter toute la meute. Mais en reculant de l'emprise de son fils, son visage exprimait toujours sa déception et sa peine.


C'était sans appel, elle ne lui laissait pas le choix. Elle se mit en marche sans même se retourner, sans même plus lui lancer un regard, filant droit vers le nord.

Dans l'obscurité de la plaine, la lune éclaira quatre monticules un peu plus loin. Imryu s'assit, ne s'avançant pas plus. Plus loin c'était dangereux. Elle ne vérifia pas si Zed s'était assis à côté de lui, mais espérait que c'était ce qu'il ferait.



Elle ne les y avait jamais emmené mais elle se doutait qu'il était déjà allé voir. Tout comme elle se doutait qu'il savait déjà que c'était Lydia et ses trois petits qui gisaient sous terre. Elle poursuivit, contant cette fois une histoire que seul Rahawk et elle connaissaient.

Elle prit une grande inspiration, ses yeux gonflant déjà.



Cette histoire là, Zedekiel ne la connaissait pas, Lydia n'en parlait jamais. Chérubin savait peut être que Lydia n'avait pas été fille unique. Elle se tut un instant, déglutissant la gorge serrée.

Elle entendait les bruissements de fourrure de son fils juste à côté d'elle, Imryu était rassurée par son odeur. Elle ne s'attendait pas à grand chose, pourquoi lui racontait elle son passé? Au fond d'elle, la louve se disait que c'était peut être la chose à faire, si cela ne changeait pas Zedekiel, au moins il partait avec ce qu'il fallait pour comprendre l'état dans lequel ses voyages récurrents la mettaient. Imryu poursuivit, le regard perdu sur l'horizon, la voix presque éteinte.



Elle se tut un instant, sa gorge se bloquait, elle avait du mal à poursuivre. Elle n'avait jamais eu l'occasion de les entendre, de voir leur regard, de les voir grandir, ils avaient été pris trop tôt. Elle déglutit plusieurs fois avant de réussir à poursuivre.


un sourire léger se dessina sur ses lèvre, se remémorant sa fille.


Elle ferma les yeux et secoua la tête, levant la truffe au ciel.


Imryu finit par tourner sa tête vers son fils, il avait encore tant à découvrir, mais cela terrifiait la louve.


Elle tourna son corps complètement, faisant entièrement face à son petit ange, elle s'assit, puis se coucha en sphynx, elle avait vécu et son corps était marqué de chaque épreuve, mais la douleur la plus forte qu'elle ressentait ne laissait aucune trace visible.



Ses oreilles se plaquèrent en arrière en l'admettant, elle ne pouvait aller contre ce qu'était son fils, quoi qu'elle l'aurait sans doute mis en cage si cela lui avait été possible, rien que pour s'assurer qu'il reste sauf. Mais s'il restreignait trop Zed, il finirait par revenir de moins en moins, elle en était sûre.

La détermination dans le regard de son fils fit chaud au coeur de la louve qui ne put s'empêcher de sourire malgré la tristesse que les événements passés lui provoquaient. Elle ferma les yeux, soulagée qu'il aie comprit. ShaÏlin elle, n'avait jamais voulu comprendre...

Elle tendit le cou pour essuyer de la truffe les larmes qui avaient trempé les joues de Zedekiel. Elle ne dit rien, elle ne lui dit pas de ne plus pleurer, car cela ne changerait pas le passé. Maintenant le loup ailé était prévenu, du moins elle lui avait expliqué la raison de ses peurs, de ses craintes. Et il avait compris.

Il était trop tard et la louve était trop fatiguée pour réellement sentir le soulagement faire disparaitre le poids de ses peurs. Elle savait qu'un jour, son fils explorerait des terres inconnues, lointaines sans doute, il accomplirait de grandes choses, Imryu en était certaine. Mais pour l'instant, elle voulait le garder auprès d'elle, à défaut d'être capable de le protéger, ne jamais craindre qu'il ne disparaisse. Elle frotta son frond contre le crâne doré de Zedekiel.



Il faisait nuit, mais à l'horizon le soleil teintait le ciel de milliers de nuances de feu. Le jour serait levé dans quelques heures tout au plus. Il n'était pas trop tard pour rentrer et profiter de la nuit.