-Fuurin-

Le jour avait suivi la nuit, qui avait elle-même suivi le jour, en un cycle incessant que Fuurin n'était plus capable de vraiment comprendre. Les cauchemars de sa rencontre avec la loup noir lui revenaient, de jour comme de nuit, la harcelant et l'empêchant de dormir. Cette journée là, la jeune louve avait eu la force de rentrer au clan, mue par son instinct de préservation, mais depuis qu'elle y était, elle s'était écroulée. Sa rencontre avec l'alpha Zephilian lui avait peut-être sauvé la vie, ou du moins l'avait empêché de passer la nuit dehors.

Depuis, elle était rentrée dans son ancienne tanière, "chez elle". Les premières semaines avaient été les plus difficiles, et elle s'était revu comme après la mort de Trinity, incapable de bouger, de s'alimenter. Les souvenirs de ce qu'il s'était passé lui revenait régulièrement en flash-back, la laissant tremblante de peur et haletante. Ses blessures physiques avaient eu du mal à guérir, depuis les griffures comme les dégâts que le mâle avait fait en la prenant. Mais la grise s'était fait une promesse lorsqu'elle avait revu Trinity. Elle devait vivre, à tout prix. Alors elle s'était relevée.

Pour le moment, la louve se contentait de manger, et de passer du temps avec Lagherta, ses filleuls et ses amis, le plus possible. La présence des autres lui faisait presque oublier les souvenirs lancinants de ce qu'il s'était passé. cependant, lorsqu'elle était seule, le visage du mâle, ses yeux glaçants, revenaient la hanter comme un rêve enfiévré. Pour parfaire le tableau, la louve avait été prise de fortes douleurs abdominales, en plus de ses griffures sur le haut du corps et de son état généralement mauvais. Fuurin n'était pas stupide, et elle savait quel fruit les chaleurs pouvaient donner. Mais elle n'osait pas même y penser, de peur que cela donnerait réalité à ses pensées.

Cependant ce jour là, elle fut prise d'une douleur plus forte encore, qui la laissa essoufflée, les larmes aux yeux, sur sa paillasse. Elle ne pouvait pas continuer à vivre avec si ces maux augmentaient encore et encore, aussi elle décida de se trainer à la tanière des médecins, dans l'espoir de recevoir une plante qui l'allègerait un peu. Cependant, la peur la prit presque aussitôt : et si les médecins lui annonçaient autre chose ? Elle secoua la tête, une fois encore, pour chasser ses pensées, puis se mit en route.

Le chemin fut laborieux, sa tanière n'étant pas tout près et ses pattes faibles. Peut-être que son esprit lui jouait des tours, la rendant plus faible qu'elle ne le devrait, ou bien la chaleur avait impacté son corps, mais la grise dut s'arrêter plusieurs fois pour reprendre son souffle, elle qui était une des messagères les plus endurantes du clan. Finalement, elle arriva devant la tanière, et tira ses pattes jusqu'à l'ombre rafraichissante de celle-ci, avant d'haleter quelques minutes. Devant elle se trouvait Balder, un des jeunes médecins du clan. Elle déglutit, l'angoisse faisant battre son cœur à tout rompre dans sa poitrine :

"Bonjour"

-Fuurin-

Des qu'elle eut parlé, le mâle se retourna en un sursaut. Immédiatement, il vint auprès d'elle, la soutenant par le flanc. Elle coucha les oreilles et sursauta instinctivement au contact du mâle, mais sa raison prit heureusement le dessus : il ne lui voulait pas de mal. Balder la guida vers un lit de feuille, et l'allongea avec sollicitude. Elle se laissa glisser au sol, relevant le museau d'un air désolé. Elle avait conscience de ne pas être dans sa meilleure forme, mais à ce point ?

Le mâle se mit à farfouiller dans le fond de la tanière qui sentait les herbes séchées et la terre argileuse. La grise entendit des pots s'entrechoquer, ne pouvant voir que le dos du caverne. Son oreille tiqua. Elle hésita soudain à repartir, ne se sentant pas vraiment à l'aise ici. Cependant, le lit était confortable, et elle avait décidé qu'elle viendrait se faire soigner. Le mâle se retourna, et s'approcha d'elle l'air inquiet, approchant un bol d'une mixture verte devant lui :

La grise loucha sur le pot qui tirait une drôle de tête. Manger ça vraiment ? Alors qu'il ne l'avait pas auscultee ? Depuis sa mésaventure avec Mideros, la louve était un peu tatillonne sur sa nourriture. Elle évita la question en relevant le regard, et en répondant d'une voix qu'elle tentait se faire paraître sûre d'elle et enjouée, sans réellement y arriver :

"Oui, justement je venais pour ça... J'ai très mal au ventre, c'est très soudain et depuis quelque jour me réveille la nuit parfois."

-Fuurin-

Le médecin se figea un instant, gardant son visage rassurant qui contrastait avec son langage corporel. Peut-être que, comme elle, il cachait ses pensées. A dire vrai, elle n'avait pas été tout à fait honnête avec ce pauvre Balder, elle aurait du lui dire ce qu'il s'était produit. Mais elle ne pouvait pas, pas comme ça, pas maintenant. Même si ses blessures la tiraillaient encore, même si elle sentait confusément que son corps était loin d'être remis des violences qu'il avait du subir, sa gorge restait bloquée.

D-d'acoord je vais toucher votre ventre, je m'excuse si je vous cause des douleurs Dame Fuurin.

La louve se tendit, mais laissa le mâle faire malgré l'angoisse qui lui prenait la gorge. Elle n'avait jamais été vraiment tactile, mais depuis l'incident chaque contact, surtout avec des mâles, était désagréable voir angoissant. Cependant, elle avait décidé de venir ici, et savait que ce moment arriverait fatalement. Elle avait espéré tomber sur une femelle, la mère du grand Balder par exemple, mais tant pis.

Le caverne approcha et posa ses pattes sur le ventre tendu de Fuurin. Le contact n'était pas douloureux, seulement légèrement désagréable, compactant la vessie de la louve et lui donnant envie d'uriner. Cependant, les douleurs ne revenaient pas, en tout cas pas comme cette nuit. Les palpations continuaient, et la grise se détendit légèrement. Le contact était doux et professionnel, rassurant même. Puis, Balder approcha sa tête, écoutant les entrailles de la louve, qui coucha légèrement les oreilles, un peu intriguée. Il essayait d'entendre quoi ? Soudain, il se releva d'un coup, faisant sursauter Fuurin qui se tendit de nouveau, puis se mit à ... rire ? La grise le regarda sans comprendre, visiblement stressée :

"Qu'est-ce qu'il y a ? Qu'est-ce qui s'est passé ?"

-Fuurin-

Rien de grave, heureusement ! Les douleurs sont du aux petits êtres fort et déjà bien vigoureux Dame Fuurin, vous allez être maman, félicitations !

Les oreilles de la grise bourdonnèrent, et sa tête s'emplit d'un brouillard floutant sa vue. Alors ce qu'elle avait cherché à fuir .... Elle murmura un faible : Quoi ? mais le médecin continuait déjà, poussant le bol d'algues vers elle :

Il vous faut manger et boire correctement cela dit, votre forme doit être bonne pour les accueillir.

Pour ... les accueillir ? Fuurin baissa la tête, les yeux perdus vers le sol. Elle allait .... Elle allait avoir des petits de ce monstre ? Elle sentit ses yeux piquer, et les larmes les emplirent, coulant silencieusement le long de ses joues. Après lui avoir fait ce qu'il avait fait, il allait lui laisser un souvenir permanent, un souvenir sous forme de loups qu'elle devrait voir chaque jour de sa vie jusqu'à sa mort ? Non ! Elle releva vivement la tête, le souffle court. Ses yeux brillaient d'un espoir glauque alors qu'elle demanda, la vois aigüe :

Il doit y avoir un moyen de ... les enlever non ? Balder, s'il vous plait, je ne peux pas .... Je ne peux pas vivre avec ça

Sa voix s'était cassée sur la fin, et elle ravala un sanglot. Elle qui avait essayé de se contenir depuis le début de l'entrevue s’effondrait à présent. Mais il y avait encore un espoir. Il était médecin, elle ne devait pas être la première à vouloir avorter. Sa gorge se serra, mais son choix était fait, mille fois fait : elle voulait juste oublier.

-Fuurin-

Comme elle aurait pu le prévoir si elle n'avait pas été aussi affectée, les yeux du médecins s'emplirent d'étonnement. Mais Fuurin était pendue à ses babines, il était son seul espoir d'un jour pouvoir oublier son erreur, de pouvoir de nouveau se regarder dans la glace sans avoir honte de ce qui lui était arrivé. Cependant, ses mots brisèrent encore plus le coeur de la grise :

Non, on n'peut rien faire. Mais pas d'inquiétude, j'serais là pour vous, les nourrices aussi, tout l'clan vous aidera à les faire grandir correctement, puis il y aura le papa aussi ! Il s'ra ravi d'apprendre la nouvelle et d'vous épauler j'suis certains Dame Fuurin !

Le père ? Le père ?! La louve serra les dents, sentant sa tête bouillir, prête à éclater comme une vasque fissurée. Ses souvenirs l'assaillirent de nouveau, et la grise baissa la tête, la rentrant dans ses épaules. Pendant un instant, elle n'était plus louve, elle n'était que peur, douleur. Les yeux bleus d'acier la fixaient, lubriques, alors qu'elle revivait les sensations et l’horreur qu'elle avait vécu. Les yeux, les griffes, l'odeur, le corps lourd et chaud, la pluie, la mer. Puis, comme un éclair dans la nuit, Fuurin revint à elle, tremblante.

A vue d'truffe, j'pense qu'il seront trois ou quatre peut être ?

Elle secoua la tête, laissant pendre sa langue en dehors de sa bouche pour essayer de refroidir son corps fiévreux. Puis, elle leva un regard désespéré vers Balder avant de le supplier :

S'il vous plait .... S'il vous plait. Le père ... Il n'est pas d'ici il est ... Solitaire, j'ai fait une erreur, j'ai cru que j'étais plus forte que le sort, que rien ne m'arriverait je ...

Elle baissa la tête, la gorge coupée de sanglots, puis gémit. Le reste de ses paroles sortaient, saccadées, mais elle ne pouvait plus les arrêter à présent. Tout ce qu'elle voulait était oublier.

Je ne veux pas garder le souvenir du jour ou il m'a forcée

-Fuurin-

La grise put sentir la surprise et l'effroi du médecin devant elle sans même relever son regard. Elle serra ses paupière, cherchant à faire disparaitre les images qui l'envahissaient, et la honte qui lui taraudait le ventre. Elle ne voulait pas de ces petits. Elle ne pouvait même pas les imaginer. ils n'étaient que des rejetons de monstre, bien loin de ceux qu'elle avait souvent imaginé avoir avec Ulfeym. Balder s'éclaircit la gorge, semblant chercher ses esprits. La messagère regretta un instant de ne pas avoir eu affaire à Wydis, la femelle ayant un peu plus de bagout aurait été moins étonnée,mais c'était trop tard à présent.

Pardon Dame Fuurin. Je suis navrée de ce qui vous ai arrivé, cependant on ne pourra pas les tuer. Ils sont bien trop grands déjà et se risquer pour vous surtout dans votre état.

La grise garda la tête baissée alors que son monde s'écroulait encore une fois autour d'elle. Ils étaient déjà ... trop grands. Une fois encore, elle avait fait une erreur, l'erreur de ne pas être allé chez le médecin plus tôt, une erreur qui aurait pu lui éviter de mettre au monde des louveteaux qu'elle ne pourrait assumer. Cependant, un petit coup de museau la tira de ses vertiges, suivide la voix douce de Balder :

S'il vous plait, prenez cette concoction. Ca vous soulag'ra, de mon côté j'resterais avec vous, y a plein de loups ici qui n'peuvent avoir des enfants, ou même des nourrices prêtes à adopter si le besoin se fait ressentir. J'resterais présent pour vous quoi qu'il arrive, mais vous devez me faire confiance et vous soigner sinon c'est vous qu'on va perdre et j'ne m'le pardonnerais pas.

Le mâle la toucha, mais Fuurin ne réagit pas, laissant les mots prévoyants du médecin parvenir doucement à son esprit. Il rajouta quelques baies à la mixture, et la grise baissa les yeux avant de se mettre à manger, lentement. La silence tomba entre les deux loups alors que la messagère mangeait ce que Balder lui avait donné. Ca avait un drôle de gout, salé et acide, un peu âcre, mais l'esprit ailleurs, elle n'y prêtait pas vraiment attention. Elle repensa à ce jour là. A celui qui l'avait attaqué. Elle ferma un instant les yeux, puis continua à manger. Elle déglutit, et alors les paroles sortirent, sans qu'elle ne les maitrisât réellement :

Il était grand. Tout noir, avec la truffe rose et des marques oranges, comme des rayures. Des yeux bleus vifs.

Le regard perdu dans le vide, Fuurin pensait. Ses iris étaient ce qui lui restait le plus. la lueur perverse dans ses yeux, son corps tendu d'excitation de la voir coincée. Elle finit de manger lentement, avant de finir, évitant le regard de Balder. Elle avait honte, mais il le fallait :

Si je peux vous demander une dernière faveur ... dites le à quelqu'un. Il ne faut pas qu'une autre vivece que j'ai vécu.

-Fuurin-

Aussitôt qu'elle eut parlé, le mâle répondit, lui promettant d'aller avertir quelqu'un. La louve se détendit un peu, sentant une sorte de poids se lever de ses épaules. Elle n'avait pas osé en parler à Zehilian, l'alpha ayant été déjà très prévoyant avec elle, l'aidant à se nourrir, à boire, la surveillant avec sa fille. Elle s'était sentie bien trop proche d'eux pour briser cet équilibre fragile qu'ils avaient construit. Mais Balder était médecin, ce n'était pas pareil. Zephilina finirait par l'entendre de sa geule, aussi elle espérait qu'il comprendrait.

Alors, elle sentit un tissu mouillé se poser sur son front. Elle sen sentait fiévreuse, et compris que Balder ne la laisserait pas partir pour cette nuit. Après tout, son ventre était toujours douloureusement gonflé, et elle se sentait mal. Elle avait besoin ... de quelqu'un pour la surveiller. Alors, elle ferma les yeux et laissa un sommeil l'emporter sans faire de bruit.