GAOR

Le géant avait quitté sa compagne des heures plus tôt, aux abords du camp du clan. Il avait prévu de suivre un itinéraire sûr en évitant au maximum les terres solitaires. Il voulait éviter les marais mais il devait aller jusqu'aux tanières. Pour ce faire, il avait décidé de longer une partie du fleuve Hibiscus et de pénétrer dans le clan du désert par la Prairie du Monde. Il en en profiterait pour se rendre à la statue d'Eden. L'hiver était le meilleur moment pour s'y rendre, les insectes géants auraient disparu, s'enfouissant profondément dans le sol riche de la prairie. Il irait ensuite prier Rhéa mais ne s'attarderait pas chez les solitaires et s'empresserait de traverser le desert pour y trouver Solar. Ensuite, il se rendrait au clan du Désert pour y prier Zexal et Eleonore. Tous les autres dieux de Panthéon se trouvaient sur les Terre de la Source, il pourrait donc finir son pèlerinage d'une traite en rentrant au camp.

Il lui avait déjà fallu plusieurs longues heures pour atteindre le fleuve. Autant dire que son périple se préparait à être long. Il longeait l'ondée couleur de sang, cherchant à apercevoir la sentinelle du clan du désert. Il cherchait également un gué. Entre sa peur de l'eau et son membre en moins, il ne pouvait se permettre de traverser n'importe où.

Il portait sur l'épaule un petit sac avec quelques remèdes de Widys, et un petit bout de carcasse pour avoir de quoi manger sur le chemin. Calie avait fait des miracles, cette petite besace était assez facile d'utilisation pour lui, même avec ses handicaps.

GAOR

Evidemment, il avait énormément plu ces dernières semaines et le gué où il traversait d'ordinaire avait disparu sous les flots de la crue. Il commençait à être agacé. Il ne se sentait pas du tout capable de traverser le fleuve dans son état, et il n'avait pas du tout envie de mettre une patte dans l'eau. Sa couleur n'aidait pas en plus, impossible de voir le fond. Il finirait bien par trouver un passage...

Un cri lui fit dresser les oreilles. Il se retourna. Lagherta courrait dans sa direction. Comment savait-elle où il était ? Il n'avait parlé qu'à Léone, histoire qu'on ne pense pas qu'il désertait et à Widys. Il faisait confiance à l'alpha pour ne pas avoir répandu le mot. Ce qui voulait dire qu'un des petits avait demandé où il était, et sa louve lui avait certainement répondu. Il n'avait pas expressément dit qu'elle devait le taire. Et le petit en question, connaissant ses enfants il pariait sur Gladys, avait couru le dire à sa grande soeur.

Elle finit par le rejoindre, essoufflée. Elle allait mieux, mais Gaor ne pouvait s'empêcher d'être déçu du comportement de sa fille ces derniers temps. Quand il l'avait recueillie, elle avait vécu l'enfer. Elle avait dû se battre pour survivre. Il pensait que ce passé ainsi que les entraînements rudes auxquels il l'avait fait soumettre l'auraient endurcie mais non. Ragnar était mort et elle avait sombré dans la dépression. Se jeter dans l'aventure de la maternité avait semblé la remettre un peu d'aplomb, puis son fils avait disparu. Le clan entier l'avait cherché. Et de nouveau elle avait cessé de vivre, cessé d'essayer, cessé de s'occuper de ses deux autres petit. Il avait honte du comportement qu'elle avait eu. Et il avait fallu qu'un Bêta lui botte le train en public pour qu'elle se décide à se réveiller. Elle n'avait jamais fait que compter sur son entourage pour avancer. Alors qu'aujourd'hui, elle était mère, c'était à elle d'être le socle de sa famille. Pas à lui; ni à Tanyxoth qui avait ses propres problèmes de son coté.

Elle frotta son museau sur le sien pour le saluer et il se raidit légèrement. Ce n'était pas pour rien qu'il n'avait pas averti sa fille de son départ. Il n'avait pas envie de la voir dans cet état. Maigre, essoufflée par une petite course. Il avait la sensation d'avoir échoué quelque part. Il ne demandait pas qu'elle ne soit pas triste de la perte de son petit, mais on avait aucune preuve qu'il soit vraiment mort, elle avait pourtant abandonné. Certes il y avait beaucoup de chances que le petit ait été dévoré, mais il était aussi possible qu'il soit terré quelque part, blessé et perdu. Enfin, plus le temps passé moins ses chances de survie étaient grandes le cas échéant.

Quand Chance, son fils adoptif avait disparu, Gaor avait retourné le territoire pendant des semaines avant de s'avouer vaincu. Il ne comprenait pas que sa fille ait abandonné. Il ne pensait pas lui avoir jamais appris que l'abandon était une option. Ce voyage lui permettrait de mettre de la distance entre lui et les sentiments négatifs que lui inspiraient les événements de ces derniers temps. Il pourrait réfléchir. Décider de ce qu'il ferait de son avenir. L'oisiveté ne lui convenait définitivement pas.

GAOR

Bon voyage P'pa. Prends soin de toi, fais attention et revient nous aussi vite que possible. Je t'aime.

Elle lui fit une léchouille et fit demi-tour en direction du camp. Il espérait qu'elle allait rejoindre ses petits. Qu'elle se rende compte de ce qu'elle leur avait fait subir quand elle les avait rejeté. Quant à lui, il était temps qu'il parte. Son coeur était lourd. Mais il sentait que les dieux exprimeraient leur colère s'il traînait trop longtemps.

Il finit par trouver un gué et traverser le fleuve, prenant la direction de la statue d'Eden.