Léone était resté, et Tanyxoth avait mis du temps à s'endormir. Ho non pas qu'elle le dérange, c'était devenu habituel de ne dormir que quelques heures par nuit, voir pas du tout, ces derniers temps. Mais pour une fois, même si son sommeil fut court, il fut profond, Tanyxoth dormit bien. Dormit si bien qu'il n'entendit Léone se réveiller ni se lever, quelle importance? Il avait entière confiance en elle, et ce depuis bien longtemps, bien avant qu'il ne devienne bêta. Il avait été l'un de ceux que son arrivée au clan n'avait nullement dérangé, ni même son ascension à un poste si important alors qu'elle était étrangère.


Mais Léone était Léone, et depuis des années, Tanyxoth lui faisait confiance. Aujourd'hui, c'était simplement autrement.

Une odeur ferreuse le sortit lentement de sa torpeur, c'était une odeur alléchante et tentatrice. Il ouvrit lentement les yeux sans bouger et remarqua le lapin énorme posé devant lui. S'attendant à venir poindre la nausée, il ne bougea pas d'un pouce, se préparant au choc et à la bile qui remontrait.


Mais rien ne vint, rien sauf cette odeur qui lui titillait le museau.

Il pointa ses oreilles en avant, et en tournant légèrement la tête, il remarqua Léone qui lui sourit amicalement avant de lancer sa première phrase du matin. Tanyxoth la regarda puis lui répondit.




Alors il se redressa, voulant remercier Léone pour cette chasse.

Grossière erreur.

A peine sa tête quitta le sol qu'elle se mit à tourner, tourner encore et encore. Un vertige immonde le fit perdre l'équilibre et il faillit s'étaler à nouveau au sol. Un haut le coeur le fit se tendre, mais il se releva d'un bond. Il lança un regard de détresse à Léone, puis réussit à se ruer dans un bosquet, il ne voulait pas qu'elle le voie, pas comme ça. Tout ça ne dura même pas plus de quelques secondes.


Ainsi, il rendit toute la bile de son corps. Forcément, il n'y avait rien à renvoyer. Après quelques instants, il resta ainsi, penché sur le sol, attendant que ça sorte, mais plus rien ne sortit. Il regarda, faiblard, la flaque à ses pattes, puis fit demi tour, gêné, penaud, honteux, la tête basse, et sortit du buisson. Il vit Léone du coin de l'oeil mais n'osa pas la regarder, il se dirigea vers le bassin dans lequel, la veille, ils s'étaient baignés, et se rinça la gueule pour évacuer le gout acide-amer de la bile.


C'était pour ça, pour ça qu'il ne mangeait plus. Il avait appris à craindre ces moments où il vomirait sans rien pouvoir faire dès que sa langue rentrait en contact avec de la nourriture, et pour éviter ce sentiment d'humiliation, il avait simplement arrêté de manger.

Son esprit allait mieux depuis la veille, alors il s'avança et s'assit devant le géant des flandres que Léone lui avait gracieusement offert, et le regarda, mais ne fit rien. Elle avait chassé pour lui et lui ne ferait rien. Peut être allait-elle en être offusquée, s'en irait-elle et déciderait de rayer leur conversation de la veille. Cette pensée le fit gémir et aplatir les oreilles sur le crâne. Parce que ce n'était pas sa faute, lui aurait bien aimé manger ce geant frais, appétant et bien en chair.


Mais son corps le lui refusait, comme si son corps essayait de le tuer.

Fixant ses pattes, il vit le géant s'éloigner de lui, puis la truffe de Léone entrer dans son champ de vision. Il était gêné, effroyablement honteux, il ne leva pas le museau. Toutefois sa voix inhabituellement douce de l'alpha le fit lever légèrement les yeux pour la regarder.

Combien de temps? Il ne le savait pas, il avait perdu cette notion. Le souvenir du lui d'Avant était si loin, il lui semblait avoir toujours vécu ainsi. Il secoua la tête en détournant une nouvelle fois le regard.



Ce n'était même plus qu'il ne voulait pas. Il voulait de tout son être, mais il en était incapable. L'odeur du sang était si fraiche et alléchante autour de lui, il retint un nouveau haut-le-cœur et s'allongea pour être plus proche du sol, diminuant ainsi ses vertiges.



Il s'en fichait de ne pas manger, il ne mangeait jamais ,c'était le quotidien pour lui, mais il était honteux, il ignorait l'effort qu'elle avait du produire s'il y en avait eu, pour lui. Et lui, tout ce qu'il lui répondait, c'était une flaque de bile dissimulée dans un buisson. On pouvait difficilement faire pire.

Le ton dur de l'alpha fit se tendre le cerf. A quoi bon? La vie finirait de toute façon par partir, un jour ou l'autre. Que diraient les médecins? qu'il devait manger? Si c'était si simple il l'aurait fait depuis longtemps. Mais son coeur se serra et il se crispa encore plus, plissant les yeux, se redressant d'un coup. Il fixait l'alpha intensément, supportant avec difficulté le nom qu'elle venait d'invoquer et qui faisait autant d'effet sur lui qu'un venin mortel. Mais le cerf ne répondit rien.

Toujours sans rien dire, il ne quittait Léone des yeux, mais son corps le trahissait. Ses oreilles se plaquèrent sur son crâne. Son poste de bêta, c'était la dernière chose qui le maintenait à flot, et elle voulait le lui retirer! Cela sonnait-il comme une menace ou comme une proposition? Voulait elle le faire se ressaisir ? Il ne pouvait clairement le déterminer, mais sa réponse restait coincée dans sa gorge.

Il respira profondément. S'il s'énervait, cela empirerai. Léone avait employé des mots douloureux, à dessein, c'était dur à avaler. Il ferma les yeux, et quand il les rouvrit, une lueur étrange brillait dedans, il fixa à nouveau Léone, mais il avait une voix étrangement calme.



Son regard se fit plus dur, il avait vraiment été heurté par les mots de la personne en qui il avait choisi, la veille à peine, de placer toute sa confiance.


Il soupira, agita une oreille.



Puis il baissa un regard devenu vitreux, sentit ses muscles se ramollir et baissa et détourna la tête.




Peut-être devait il se battre pour ça, comme on devrait se battre pour sa vie. Mais lui était fatigué de toutes ces guerres et ces batailles, et de ces morts. Il voulait simplement être en paix et ne se battrait pas non plus pour garder son rang.

Tanyxoth le sentit au plus profond de lui. Ce grognement, ce grondement de colère. Une flamme s'alluma dans ses yeux. D'ordinaire il aurait répliqué. Il était sans doute noble, mais il ne se laissait pas se faire battre, même si ce geste peu anodin n'avait nécessité aucune force de la part de l'akita. Il retourna lentement la tête vers Léone, sa lenteur traduisant la concentration qu'il mettait dans son geste afin de ne pas se laisser aller.

Cette flamme brillait toujours au fond de ses pupilles quand Léone lui saisit le museau pour le forcer à la regarder, ce qu'il faisait déjà presque. Il plissa les yeux, la laissant parler, déterminé à attendre qu'elle finisse.

Elle le libéra, recula, et Tanyxoth la fixa toujours de ce regard flambant. Mais il était assis, et ne bougerait pas, parce qu'elle venait de dire quelque chose de très important pour lui. Elle soupira et poursuivit.

tanyxoth la regarda, sans rien dire, sans rien répondre, le silence se fit pesant, pour lui et sans doute pour elle. Lentement, cette flamme du temps jadis s'éteignit, mais les yeux de Tanyxoth restèrent brillants. Finalement, un petit sourire fendit son visage, et il se mit à rire tout bas. Puis il se releva pour se rapprocher de l'alpha, avant de poser sa truffe contre la sienne comme elle l'avait fait plus tôt, pour la regarder au plus profond.




Puis sans rien dire de plus il se redressa, la contourna pour retrouver la carcasse de lapin. Et la fixa. Puis il pris une grande inspiration, bloqua sa respiration comme un enfant qui mangeait quelque chose qu'il n'aimait pas, et planta ses crocs dans la proie pour en extraire un morceau.


Il releva la tête, la mangea, l'avala vite, lécha ses babines pour récupérer un bout de peau qui pendait, et tourna la tête vers Léone.



Il voyait toujours le lapin intacte qu'elle avait ramené pour elle.

L'alpha rit, d'un rire profond et sincère, ce qui détendit considérablement le loup cerf. La page était tournée à présent. Elle se plaça face à lui alors qu'il avalait son premier morceau, plein de volonté. Elle mangeait, mais il remarqua bien cet oeil constamment tourné vers lui.

Après le premier morceau, il fit une pause, craignant, la boule au ventre, de rendre à nouveau. Il garda la tête assez haute pour ne pas respirer à plein poumons les relents de la proie, se concentrant sur lui même. Mais au bout de quelques secondes, rien ne vint. Alors il baissa la tête et repris un morceau de taille modeste cette fois, décidant de laisser de côté l’entrain qu'il avait mis dans son geste originel, afin d'adopter un rythme plus adapté.

Encore une fois, tout se passa plûtot bien, et maintenant que la peau était bien déchiqueté, il pu s'attaquer à un morceau plus tendre, que son estomac aurait certainement plus facile à accepter. Il le savoura, le mâchant lentement jusqu'à le réduire en bouillie et seulement après l'avaler.


Le morceau d'après fut plus difficile à avaler, et c'est là qu'il sut qu'il devait s'arrêter. Il l'avala non sans échouer plusieurs fois avant, le morceau restant coincé dans sa gorge serrée. Puis, une fois libéré de ce poids, il alla boire derrière lui avant de se rasseoir, regardant sa proie. Il n'y toucherai plus. Il ne voulait pas provoquer de nouvelles crises alors que tout se passait si bien. Il avait mangé l'animal au quart, bien qu'un loup de sa constitution pouvait en manger un entier sans problème. Mais le quart, c'était déjà plus qu'avant.


Sa queue se balançait lentement derrière lui et son regard était satisfait. Il savait cependant que ce n'était pas parce que cela fonctionnait maintenant que cela fonctionnera plus tard. Dans tout apprentissage, l'acquis allait et venait avant de s'implanter définitivement dans le corps. Heureusement, l'odeur prononcée des deux proies combinées ne lui donnait étrangement ni nausée ni vertige, aussi put-il rester auprès de Léone jusqu'à ce qu'elle finisse.


Il leva son regard sur elle et sourit, il avait eu tout le temps de se nettoyer le museau.



Pour le lapin, pour les paroles, pour simplement avoir été là.

Il remarquait l'effort qu'elle faisait elle même pour ne pas l'indisposer plus, il en était reconnaissant, mais gardait ça sous silence.

Alors qu'elle allait se nettoyer à son tour, il sentit la nausée revenir, il se leva et s'éloigna de sa carcasse avant que ça n'empire. Il avait prévu de la prendre sur son dos pour la ramener au tas de proies, afin qu'elle profite à quelqu'un d'autre, mais la nausée ne diminuait pas. Au moins, elle n’amplifiait pas non plus. Il déglutit pour tenter d'amoindrir son malaise.

Il reporta son attention sur elle . Ce qu'il avait dis plus tôt était sorti tout seul, coulant de source, et il ne comprenait pas qu'il fusse le premier à l'avoir dis. Elle poursuivit et il cligna plusieurs fois des yeux, peu habitué à être appelé ainsi par d'autres que sa famille. Il ne le tolérait ordinairement pas venant d'autres, la seule qui était à la limite, c'était Lagherta, qui ne faisait certes pas partie de sa famille au même titre qu'un membre de sang, il ne pouvait nier le lien qui les unissait. Mais pour Léone, il ne dit rien. Il hocha la tête, réussissant à parler malgré la nausée.



Mais il se releva à nouveau et se tourna vers le camp, prêt à prendre la route. Léone étant supérieure à lui, elle devait se tenir devant, mais Tanyxoth, face à tous ces évenements précipités, ne savait plus bien comment réagir, voudrait-elle simplement marcher à ses côtés ou ne s'en formaliserait elle pas et prendrait elle la tête du convoi? Peu importait pour le cerf, elle ferait ce qu'elle préférait, mais attendrai qu'elle lance le départ pour s'élancer avec elle.