Il s'habituait peu à peu à ce sentiment profond de solitude, il retrouvait ses vieilles habitudes de jeune mâle célibataire, à la différence qu'il était moins jeune et déprimé. Et comme tous les jours, il s'épuisait à sa tâche pour oublier, et cela marchait plutôt bien.

Il rentra tard, très tard, comme tous les soirs. Tanyxoth ne dormait plus beaucoup et cela devait sans doute se voir sur ses traits tirés. Parce que dès qu'il fermait les yeux, il le revoyait. Et depuis peu, il revoyait ces foetus, sorti du ventre de leur mère, à la moitié de leur croissance, et figé dans le temps, qui auraient du être ses petits. Depuis peu? Non, depuis les chaleurs, depuis qu'il la voyait, elle, prendre des rondeurs chaque jour, avec une étincelle de joie dans les yeux, celle là même dont il avait été privé.

Et quand il arriva à sa tanière, et qu'il la vit, endormie devant, il se figea. Pourquoi venait elle? Ne souffrait-il pas suffisament? N'avait il pas assez mal pour devoir voir une louve si proche de son fils se remettre de sa mort aussi bien? Était-il en colère ou jaloux? Aurait-il voulu être à sa place et pouvoir refaire sa vie?


Si fort soi son ressenti, il ne pouvait blâmer la louve plus que ça. Elle avait un bonheur qu'il n'avait plus et ne tirerai rien à le lui retirer. Il déglutit, se préparant mentalement à la déchirure qui brûlerai les restes de son coeur, puis avança. Près de Lagherta, il baissa la tête, elle s'était endormie, depuis combien de temps était-elle là? Il lui donna un coup de museau, aussi doux que la caresse du vent, pour la réveiller.


Et une douleur pointa dans sa poitrine, car malgré tout, il ne pouvait s'empêcher d'être plein de sollicitude.

Lentement Lagherta se réveilla, puis se leva. Tanyxoth plaça sa tête sous la sienne ,sans pour autant la toucher, au cas où elle défaillait. Prévenant, il n'eut toutefois pas à user de sa gentillesse, car la future mère se redressa sans peine. Elle voulait le voir, il ferma les yeux et ne dit rien. Pourquoi cela devait être aussi douloureux?

Il était vrai que depuis ce jour, Tanyxoth ne lui parlait plus, à elle ni à personne ,sans que sa fonction ne lui oblige, il ne parlait plus de lui, jamais de lui. Il rouvrit les yeux et détourna la tête alors qu'elle poursuivait. Prendre de ses nouvelles? il n'y en avait aucune, rien qui ne fusse nouveau, rien qui ne fusse pas évident à deviner. La sollicitude de la louve poignardait le mâle en plein cœur, lui qui s'en voulait d'être autant en colère et jaloux envers elle, alors qu'elle n'avait rien fait, et toute la gentillesse de la louve ne fit qu'alimenter le dégout qu'il avait de lui même.


Bien entendu qu'il n'avait pas pris les parole de la louve au pied de la lettre, toutefois il se disait qu'un peu d'ironie lui ferai poser moins de question, parce qu'il n'avait pas envie d'y répondre. Sur ce, il l'invita à se lever, l'aidant au besoin, pour qu'elle rentre chez lui. Ensuite il lui indiqua sa couchette, qu'il n'avait pas utilisé depuis ce qui lui semblait des lustres et qui était donc en parfait état, malgré sa fraicheur. Il tourna la tête vers l'extérieur, avait elle prévenu Keiss qu'elle était ici? Tanyxoth ne voulait pas risquer de voir son mâle débarquer, furibond, ça n'aiderait certainement pas à le débarrasser des ressentiments qu'il nourrissait envers les anciens terre.

Il alla s'asseoir dans un coin, non loin de sa couchette, dans l'espace le plus sombre de sa tanière. Assis, il semblait encore plus misérable, le creu de ses côtes ressortaient, le manque d'énergie le faisait porter sa tête basse. A ses pattes, ses bois tombés suite à la perte de son pouvoir gisaient au sol. Alors que ses frères perdaient les leurs chaque printemps, lui avait gardé les siens plus de sept ans, son pouvoir les empêchant de tomber. Et il avait du mal à s'en débarrasser, même si une nouvelle ramure poussait légèrement sur sa tête. Ses yeux ternes regardaient la louve enceinte jusqu'aux yeux.



Et rien à lui dire qu'elle avait besoin d'entendre. Car elle n'avait pas la nécessité de savoir ce qu'il ressentait au plus profond de lui. Cela lui apporterai quoi? A part une attention qu'il fuyait, ou du stress la veille de sa mise bas? Ca ne lui apporterait rien de bon, clairement. Mais pour autant, il ne la chassa pas de chez lui, et il pourrait presque lui proposer d'y passer la nuit, la lune étant déjà haute dans le ciel et la femelle ayant plus que besoin de se reposer. Il était clair qu'elle se ferait disputer par Widys si elle prenait connaissance de cette veillée nocturne.

Elle accepta sans broncher le suivre, et quand il lui demanda, elle s'installa sur la paillasse sans hésitation apparente. De toute façon, Tanyxoth n'aurait pas insisté, elle avait tout de même son libre arbitre, cela l'aurai juste fortement ennuyé qu'elle refuse. En tant que bêta, c'est tout le clan qu'il devait protéger, et s'il n'était pas capable de s'occuper d'une louve gestante qui restait chez lui, cela en disait long sur ses capacités.

Il hocha la tête à son affirmation. Visiblement, elle avait rapidement compris ses inquiétudes. Tant mieux. Tanyxoth n'avait pas envie de batailler avec son confrère bêta le lendemain. S'il était au courant, cela lui enlevait une sérieuse épine du coussinet.

Mais soudain il vrilla son regard dur et douloureux dans celui de Lagherta. Pourquoi osait elle venir ici lui parler de ça. Il ne répondit rien, la laissant faire. Lui n'avait rien à dire. Il se crispa, fixant la louve sans même cligner des yeux tant il essayait de se contrôler. Mais ça ne marcha pas.

Sa douleur masqua rapidement l'entièreté de son visage, si forte et incontrôlable, si large et étendue. son échine se dressait. Ses yeux écarquillèrent, et il regarda la louve, bouche bée. Il la referma toutefois et plissa les yeux quand elle continua. alors qu'elle prononçât son nom, un large frisson parcourut le corps du cerf. Ses oreilles se plaquèrent sur son crâne et il ferma fort les yeux, refusant d'entendre la suite alors qu'une immense vague de souffrance le secouait.

Il entendait la voix de Lagherta trembler et imaginait ses yeux gonflés, ça le dégoutait. Comment pouvait-elle! Comment osait elle! La vie grandissait en elle, elle allait vivre le jour le plus heureux de sa vie, elle alors que lui n'en avait plus les droits, et elle osait lui parler de malheur, de tristesse, de compréhension! Non elle ne comprenait rien, elle n'avait pas tout perdu ,elle n'était pas seule, et à elle, il restait une famille. Et le pire ,c'était qu'elle voulait partager ce bonheur avec lui.

Tanyxoth était jaloux, si jaloux, mais pas au point de la détester. Il ne souhaitait que du bonheur à tous, il ne pouvait demander que Lagherta perde tout aussi à son tour. Mais tant de générosité, de sollicitude à son égard, le faisait se sentir encore plus misérable. Il secoua lentement la tête, le corps parcouru de sanglots.



Il se leva, faisant les cents pas ,tout ce qu'il pouvait faire pour diminuer la tension habitant son corps. Sans pour autant réussir à empêcher un flot torrentiel couler de ses yeux.

Marchant d'un pas mou, il aurait très bien pu creuser une nouvelle galerie dans sa tanière. Les yeux vitreux, il ne voyait même plus ce qu'il y avait devant lui. Heureusement qu'il ne faisait pas les 100 pas trop rapidement, car quand il buta contre un corps mou et chaud, il eut envie de faire encore un pas en plus, s'avançant toujours. Mais vu la résistance de la louve, il s'arrêta, reposa sa patte à terre, et la laissa l'enlacer.

Son regard était sombre et un voile funeste couvrait son visage. Tanyxoth gardait la tête basse, ne bougeant plus, ne reposant même pas sur Lagherta. Debout, il avait perdu toute volonté. Il avait aimé et sa louve était partie. Il avait enfanté mais la portée était morte en avance. Il avait adopté, mais le loup était mort. Un hoquet le secoua. Lagherta le tenait toujours.

Lagherta se mit à chuchoter. Il n'aurait pas voulu l'entendre qu'il l'aurait entendu quand même, si proche de son oreille elle était .Les muscles du père déchiré se tendirent, tant il essayait de se contenir.

Mais il n'avait pas envie de refuser.


Au fond de lui, quelque chose lui criait de foncer, il se détendit, sans pour autant aller mieux. Lentement, se contrôlant du mieux qu'il pouvait, il se détacha d'elle, recula et l'observa, ayant soudain pris un coup de vieux immense tant les émotions l'avaient fatigués.


Ce n'était qu'une expression, après tout Lagherta faisait ce qu'elle voulait, si elle voulait veiller jusque tard dans la nuit, elle en avait le droit, on ne pouvait pas vraiment appeler ça faire le mur.. Il avait tenté de mettre de l'ironie dans sa voix, mais ce fut un échec, il ne se formalisa pas plus, resta debout, figé, bloquant ses articulations pour ne pas s'effondrer devant elle. Si son regard était terne et ses joues salées, il voulait attendre qu'elle s'en aille, attendre qu'elle ne le voie plus, pour s'enfuir, courir loin, et pleurer à nouveau.