Tanyxoth était aux collines, il méditait. Sa journée avait été incroyablement calme, comme une force qui lui disait "arrête toi maintenant" il avait beau avoir fait le tour du camp, il ne trouvait rien à faire. Alors il avait fait route aux frontières mais en passant par les collines, il ne pu que s'arrêter, en face de cet unique arbre, et de ces larges racines qui avaient si souvent accueilli son corps.

D'un pas las, lent, il s'avança jusqu'à lui pour s'asseoir non loin du tronc. Il porta son regard sur l'horizon, ne sachant que voir, ni penser. Peut être qu'une silhouette allait percer l'endroit où le ciel touchait la terre, se rapprocherai. Peut être allait il revenir...

Tanyxoth baissa la tête, la secouant lentement en soupirant. Il devait arrêter avec ça, Ragnar était mort, il ne reviendrait pas, et huit mois plus tard, il était temps que le cerf fasse son deuil. Il n'était plus seul. Il passait un peu plus de temps avec Léone, en dehors des rapports à transmettre, sa compagnie lui plaisait. Parfois, quand il s'aventurait dans les plantes la nuit, il nourrissait un léger espoir d'y trouver Eden en pleine chasse, et s'il l'avait croisé une fois, il ne la dérangea pas, se contentant de sourire à son passage. Peut être ne l'avait elle même pas remarqué alors.

Il passait aussi un peu de temps avec Céleste. Elle était encore trop jeune et ne quittait pas sa mère, aussi Tanyxoth ne pouvait la séparer de ses frères et soeur et quand il passait voir la petite, souvent avec une offrande pour leur mère, il ne pouvait qu'être entouré d'autant de pattes que comptait la portée de Lagherta. Ces visites lui faisaient du bien mais il se retrouvait souvent pris de crises d'angoisses qui coupaient court à ces réunions.

Il mangeait.

Enfin il essayait. Ca n'était pas suffisant pour qu'il aie encore repris un peu de poids, et si au début il vomissait quasi tout ce qu'il avalait, il renvoyait un peu moins aujourd'hui. Il se forçait. Il pensait à Céleste, et il voulait qu'elle soit fière de son parrain, il ne voulait pas renvoyer cette image de lui même. Léone lui avait vraiment ouvert les yeux.


Mais il n'empêchait, Ragnar lui manquait, et il manquait toujours à Tanyxoth cet éclat dans son coeur qui faisait qu'un loup vivait vraiment.


Le vent s'était levé, faisant voler la cendre, Tanyxoth ne voyait plus le temps passer, il observait simplement devant lui, ne pensant pas à grand chose ni à rien non plus.

Il entendit des sanglots derrière, et su de suite de qui il venait. Il se crispa, il l'avait sauvé, il l'avait vu grandir, il l'avait vu aimer son fils, il l'avait vu évoluer, mais elle, n'allait plus. LA machine en elle était cassée et ce qui pouvait la réparer n'était plus de ce monde. Il ne se retourna pas, ne la regarda pas, n'alla pas l'aider. Il ne s'en sentait pas autorisé, avait perdu ce droit.


Mais au bout d'une seconde éternité, il entendit des pas étouffés par les cendres, il sentit l'odeur salée des larmes, et Verd, recouverte de cendres et défigurée, pointa sa truffe dans son champ de vision.


Il ne dévia pas le regard pour la regarder, n'osant affronter ces yeux que la vie avait brisé si tôt. Il ne répondit pas non plus, mais tapota les cendres à côté de lui, l'invitant à s’installer à ses côtés. S'il parlait maintenant, il ne pourrait pas l'aider. La dernière chose qu'ils avaient échangé avait été cette étreinte furtive lors de l'enterrement de son fils. Et s'il nourrissait le désir ardant de consoler Verd depuis ce jour, il n'osait ni lui parler, ni l'affronter. Car ses propres peines se reflétaient dans les yeux de sa belle fille, enfin... De son ancienne belle fille.

Il sentait le malaise emplissant la louve de cristal. Tanyxoth non plus n'allait pas bien. La présence de la princesse cristalline ravivait toute sa douleur comme un fer incandescent. Mais le cerf n'était pas égoiste. Il s'allongea dans la cendre, adoptant délibérément une position inférieure à celle de Verd, mais paraissant exécutée avec nonchalance.

Il avait sentit aussi le malaise en eux quand ils s'étaient regardés, aussi gardait il le regard obstinément fixé au loin. S'il prenait soin à ne pas entretenir le malaise de la louve, il espérait par dessus tout que cela ne prenne pas le dessus sur lui.

Lentement et hésitante, elle vint s'installer près de lui, et il ne bougea pas, gardant cette position d'apaisement. Mais alors qu'il s'attendait à ce qu'elle parle, dise quelque chose, le silence se faisait plus lourd, atteignant le cerf de tout son malheur. Le poids de cette douleur rendit Tanyxoth muet, incapable de prononcer mot. Il l'entendait pleurer, il la sentait pleine de désespoir, et lui aussi.


Mais lui était vieux, elle avait toute une vie, et aurait d'autres multiples occasions de se remettre de cette perte immense. Il resta silencieux, attendant le moment propice, puis, au prix d'un effort considérable, il prit une voix douce et calme.


Ce n'était peut être pas pour rien qu'elle était venu vers lui, précisément. Tanyxoth sentait toujours au plus profond de lui, ce côté sombre, cette étincelle de rancœur envers la louve qui lui avait enlevé son fils, mais elle avait tout autant perdu que lui et en souffrait apparemment bien plus visiblement, c'était suffisant comme punition.

Il hocha la tête, elle pouvait s'excuser comme elle le voulait. Lui aussi avait beaucoup demandé pardon. Mais cela ne ramènerait pas Ragnar.


Elle s'était allongée, un flot d'émotions ça fatigue toujours. Tanyxoth ne tourna toujours pas le regard vers elle, il ne voulait pas voir ses yeux et comprendre ce qu'il y verrai, car il n'y verrai qu'un reflet de lui même et serait confronté radicalement à sa propre détresse.


Il ne dit rien, pendant un long moment. Puis au final il soupira.


il se racla la gorge.



Il se tut. Il ignorait que Verd avait oublié cette partie de sa vie, Ragnar n'avait jamais eu le temps de le lui dire. Il lui avait parlé du lapin qu'il avait à peine mangé, et de la dispute qui les avait séparé, mais il avait parlé.



Ragnar ne le lui avait jamais dis, mais Tanyxoth le savait, parce qu'il connaissait son fils comme s'il l'avait fait.

Il l'écouta. Oui, elle l'aimait, et lui aussi, c'était pour ça qu'il l'avait suivit jusqu'à la mort.

Le silence se réinstalla à nouveau, ni dérangeant ni apaisant, il sentait bien qu'elle n'avait pas finit. La longue respiration de la louve le lui confirma, il garda son attention tournée vers elle.

Il ne répondit pas tout de suite, puis il secoua sa tête pour évacuer les cendres qui se logeaient sur son museau.


S'il trouvait son moyen, il le ferait aussi.

Il se rassit et dirigea son attention vers elle, ne la regardant réellement que pour la première fois de la soirée.

Mais par pitié, préviens tes parents, ne fais pas la même erreur que lui.

Ne part pas sans le leur dire, ne les laisse pas sur le fait en ne te trouvant pas alors que tu étais là la veille, ne leur donne pas cet état de détresse ultime dans lequel ils seront si tu disparait sans rien dire, ne leur laisse pas imaginer le pire et ne jamais plus te revoir avant ton grand départ.


Il laissa sa douleur transparaitre comme jamais avant dans son regard, il fallait qu'elle comprenne.

Le loup hocha lentement la tête, regardant tristement Verd.


En tant que bêta, Tanyxoth en avait le pouvoir. Il doutait que cela crée un désaccord entre lui et le reste de la régence. Dans son état, Verd n'apportait pas grand chose au clan et avait plus tendance à rendre les autres mal à l'aise avec sa morosité. Tanyxoth le savait, il avait été pareil avant de se plonger dans le travail.

Alors si son état pouvait s'améliorer en partant avec Odine et qu'elle pouvait revenir avec de nouvelles compétences, qui serait idiot de l'en empêcher.

Après avoir pensé tragédie quelques secondes, il regarda Verd se relever et se rapprocher. Après un silence, il hocha la tête et lui offrit son épaule.


Il posa la tête sur celle de la louve.



Et comme celle qui lui avait pris son fils, mais ça, c'était un coup du sort.