Voilà une semaine maintenant qu'Amélia a mis bas de sa nouvelle et dernière portée. Widys n'était pas allé voir la mère caverne depuis. Vu la façon dont elle l'avait envoyé promener, la médecin ne risquait pas de prendre de ses nouvelles. Qu'elle se démerde ! Si elle vient lui demander quoique ce soit, ce sera à son tour de l'envoyer chier.

Néanmoins, cette portée est une nouvelle qu'il faudrait rapporter à une certaine personne... Ainsi, Widys partit du campement avec cette idée en tête. Elle a une annonce à délivrer et si possible, à cette personne elle-même. Comme motif, la médecin donna celle de la récolte d'ingrédients. Elle précisa aussi qu'elle en aurait pour deux jours tout au plus, ce qui n'étonna guère celui qu'elle avertie, car après tout, quand les médecins cherchent des ingrédients, ils prennent souvent leur temps. Puis sachant que c'est Widys, c'est encore moins surprenant, car la louve pourrait très bien être absorbée par quelque chose en cours de route et l'étudier. Ainsi, au petit matin, elle déjeuna et partit en prenant avec elle un panier tressé que Calie lui avait fait en ce début de saison. Direction la plage, en avant toute !

Elle foula le sable de la plage une heure et demi après. Elle avait pris son temps, contemplant un peu les plantes mouvantes qui la fascinaient toujours avec cette même question : pourquoi ces végétaux bougent-ils alors qu'ailleurs, ils sont inertes ? Ainsi, elle avait regardé des lianes s'entortiller, un petit arbre bouger à l'allure d'un escargot et une plante carnivore piéger une proie. Au passage, elle avait pris le temps de ramasser quelques herbes. Il ne fallait pas qu'elle revienne de son petit voyage avec un panier vide, sinon, ce serait louche.

Arrivée à la plage, elle la longea en marchant au bord de l'eau. Le bout de ses pattes, ainsi que des parties où des gouttes l’éclaboussèrent, devinrent invisibles. Elle marcha alors en regardant ses pattes à chaque fois que l'eau arrivait à elle. Elle se posa aussi un instant, regardant la mer, écoutant le doux bruit des vagues s'écrasant puis l'eau glissant sur le sable. Bref, elle perdit du temps à regarder ce paysage. Elle n'aurait décidément pas put être messagère ! De toute façon, elle savait qu'à sa destination, les frontières sont fermées, donc elle a largement le temps. Du moins, c'est ce qu'elle se dit. Après une demi-heure passée assise, elle reprit la route, trottinant. Néanmoins, elle passa le reste de la matinée à profiter de l'eau calme pour nager et se rendre invisible comme il fut possible. Tout en avançant bien sûr, parce que sinon elle n'arrivera jamais ! Elle s'amusa également à chercher des crabes dans un regroupement de rochers et elle en trouva un gros qu'elle tua et mangea. La plage était longue, s'étalant sur l'équivalent de 2/3 de la longueur du pays. Souhaitant aller vers la forêt Talaïala, elle mettrait donc un jour pour arriver.

Après un temps, elle s'approcha de plus en plus de la falaise haute perchée. Elle avait choisi de longer toute la plage pour atterrir vers la forêt Talaïala. Si jamais ils acceptent de la faire entrer dans le campement, ça fera moins de chemin à parcourir à l'intérieur de leurs terres, d'autant plus qu'une entrée principale de passage souterrain se trouve non loin de la forêt, dans la steppe. Elle trottina légèrement, le sourire aux babines. Si jamais ils acceptent de la faire rentrer, alors elle pourra le revoir. Sa queue se balança joyeusement à cette pensée. Un espoir de le revoir enfin. Depuis tout ce temps. Elle se demanda à quoi il pouvait bien ressembler. Il devait être toujours aussi impressionnant et bien battu : une vraie carrure de caverne Ytens. Elle, elle était restée telle quelle avec sa silhouette prenant facilement du poids. Elle se mit à courir, devenue bien trop impatiente et excitée de le voir.

Elle arriva enfin, en fin d'aprés-midi. Elle avait bifurqué vers la fin de la steppe, à l'alentour où se trouvait l'accès souterrain. De la plage, elle observa la steppe. Il ne semblait pas y avoir quelqu'un, mais les sentinelles sont normalement douées pour se cacher et vous tomber dessus quand vous franchissez la limite. Elle s'avança en marchant. Pas question de trottiner voir même de courir, ça alerterait et ça donnerait une mauvaise intention. Personne ne vint à sa rencontre. Peut-être que les sentinelles s'occupant de cette partie ne sont tout simplement pas revenu de leur aller-retour. Elle s'arrêta à cinq mètres de la frontières et appela d'une voix plutôt forte.

Eh oh, y a quelqu'un ?! Je sais que vos frontières sont fermées, mais j'aimerai pouvoir passer, j'ai une raison valable !

Si personne ne montre le bout de sa truffe, alors elle lâchera un petit appel.

Widys attendit. Elle entendit quelques tintements de grelots. En entendant cela, elle crut à une proie prise dans un piège non loin, munit d'objet qui ferait du bruit lorsque celle-ci se débat, pour alerter les chasseurs. Ah, donc quelqu'un allait se diriger vers ce bruit pour vérifier le piège. Elle n'aurait plus qu'à porter la voix pour qu'on l'entente. Seulement, il lui sembla que les quelques tintements se rapprochèrent, ce qui l'intrigua. Finalement, elle vit une louve grise s'approcher et elle remarqua les boules dorées accrochées à son long tissu rouge. C'était donc elle ce bruit.

Widys sourit en voyant la louve grise venir à elle et sa queue remua doucement. La grise longea la frontière avant de s'arrêter. Les deux femelles étaient séparées de cinq mètres et se regardaient. Widys de façon heureuse et l'inconnue de façon méfiante. Mais le regard méfiant de la sentinelle, ce que Widys supposa être, n'atteignit pas la caverne qui de toute façon comprenait cette attitude.

- Qui es-tu ? Et pourquoi veux-tu passer la frontière ?
- Je m'appelle Widys. Je suis du clan de la Terre et je connais très bien votre alpha, Gaor. Je sais que les frontières sont fermées, mais j'ai une nouvelle personnelle et importante à lui transmettre.

Maintenant, elle espérait que la sentinelle grise la laisse passer. Une nouvelle à transmettre directement à l'alpha, c'était une raison valable, surtout venant d'une personne le connaissant bien. Elle se demanda si elle pouvait tenter un pas, mais l'inconnue l'arrêterait probablement en suivant. Elle n'avait pas l'air d'être dans l’attitude pour la laisser s'approcher. Donc, elle ne bougea pas, même si traverser la frontière la démangeait...

Je ne peux pas te laisser passer. Les ordres sont clairs.

L'air joyeux de Widys tomba d'un coup et sa queue arrêta de se balancer. Elle fut d'abord surprise de la réponse, ne s'y attendant pas. Quoi ? Pourquoi ? Un moment de flottement plus tard, la surprise passée, elle afficha un air mécontent. Pourtant, elle avait bien dit qu'elle connaissait bien l'alpha et que son message était important ! On pouvait passer avec une raison valable : s'en était une ! Widys osa un pas cette fois-ci. Sa queue se balança nerveusement à présent. Son excitation et son impatience de le revoir se muèrent en frustration face à ce refus. Elle observa les alentours, peut-être pourrait-elle tenter une percée ? La grise est toute seule, ce sera la plus rapide et agile qui gagnera. Widys avait ses chances. Néanmoins, si elle gagne, la grise lui courra après et donnera l'alerte aux alentours et donc elle se retrouvera à devoir en esquiver d'autres. Ce n'est pas un si bon plan que ça... Surtout qu'après, il y aura des chances pour que le clan de la Terre en entende parler et surtout Yogrenn. En pensant à lui, elle déglutit. Il ne faut absolument pas qu'il sache qu'elle est ici, à vouloir parler à Gaor.

Cependant si tu acceptes, je peux transmettre ton message à Gaor. Mais je ne peux pas laisser un étranger pénétrer la frontière.

Oui, c'est une solution... La grise appuya de nouveau sur le fait que personne ne doit passer la frontière. En précisant cette fois, un étranger... Sérieusement ? Bon d'accord, elle est une étrangère pour elle, mais quand même ! Elle porte l'odeur de la Terre et a bien précisé qu'elle connaissait son alpha, faut pas abuser ! Widys aurait dû mentir en disant qu'elle devait délivrer son message elle-même à Gaor, sur ordre de Karara... Au moins, elle aurait été sûre de le revoir. Maintenant, c'est trop tard... Elle soupira. Résignée, elle répondit, la déception dans sa voix :

Je pense que ça fera l'affaire...

Puis, d'une voix plus ferme, elle ajouta :

Mais personne d'autre que toi ne doit savoir pour ce message et il n'y a que lui qui doit l'entendre. Personne d'autre !

Quand la grise acquiesça, Widys soupira de nouveau par réflexe. Ça l'embêtait de devoir faire comme ça. Elle qui voulait le voir, c'était loupé. Quand est-ce qu'ils pourront être de nouveau ensemble ? Si Akui n'était pas si menaçant, les frontières ne seraient pas fermées et elle serait en direction pour leur campement. Elle s'avança encore, laissant deux mètres entre elles. Elle observa derrière elle, pour être sûre que personne d'autre n'était là et que personne d'autre que l'inconnue n'entendrait. Après sa vérification, elle reporta son attention sur Fuurin et d'un ton plus bas, elle annonça :

C'est à propos de sa mère. Elle a eut une nouvelle portée. Elle va bien, mais est épuisée... Pour tout dire, elle m'a même agressé quand j'ai voulu l'aider, alors que je suis gentille avec elle ! Enfin... Elle en a eut deux : une fille normale et un fils estropié. Je pense qu'il ne survivra pas...

Je transmettrai ton message à Gaor. Attends tu une réponse ?

Widys voulut dire oui. Si Fuurin proposait cela, c'est qu'elle allait transmettre le message au plus vite, et peut-être même que Gaor viendrait à la frontière ! Seulement, elle ne pouvait pas attendre... Elle avait donné un délais de deux jours, elle ne pouvait pas le dépasser. Ou alors, elle devait être en territoire Terre pour ça. Même si la grise partait maintenant, elle ne pourrait transmettre le message que dans un heure trente grosso modo, voir ce soir ou demain, suivant si l'alpha est occupé ou non. Puis il y a le retour pour la réponse. Donc, elle ne pouvait pas se permettre d'attendre. Elle avait son propre retour. Ainsi, la caverne oshur hocha négativement la tête avant de répondre :

Non, je ne peux pas... Je te fais confiance pour le lui transmettre. J'espère pour toi qu'il ne sera pas énervé...

Que tu ne m'es pas laissé passer, finit-elle intérieurement. Connaissant l'alpha, il pourrait être énervé que Widys ne soit pas là. Néanmoins, la grise avait fait son job en suivant les ordres de son supérieur donc c'est aussi de sa faute pour ne pas avoir mis des exceptions. Peut-être que si elle était tombée sur quelqu'un d'autre, il aurait été un peu plus laxiste et l'aurait laissé passer... Enfin, c'est terminé maintenant.

Avant de partir, je peux savoir ton nom ? On se reverra peut-être quand toute cette histoire avec Akui sera terminé.

Alors que l'inconnue grise allait partir, elle se tourna vers elle pour lui répondre. Elle dit s’appeler Fuurin et lui souhaita bon courage pour son retour. Widys ne répondit rien, il n'y avait rien à répondre, leur conversation est terminée. Fuurin partit juste après sa réponse. En voyant cela, la caverne oshur se dit qu'au moins, elle était efficace pour l'exécuter en suivant. Elle la regarda s'éloigner puis du coin de l’œil, elle vit un autre s'approcher. Widys tourna alors les talons et partit en trottinant. La vraie sentinelle ne l'interpella pas, ayant probablement vu sa comparse parler avec elle. Sinon, il les a vu se quitter.

La médecin bifurqua vers la falaise haute-perchée où dans les cavités et les cavernes creusées, elle trouva des algues et autres plantes aquatiques qu'elle ramasse et mit dans son panier tressé. Après ce moment passé à la falaise, elle entama son retour au campement. Ce soir, elle dormira sur la plage.