La louve ailée ne bougea pas, quand Keiss s’approcha de l’insupportable louve. Elle ne bougea toujours pas alors que la jeune souris en bougeant la queue de bonheur.

Je n’ai plus de famille, elle est morte quand je n’avais qu’un an

A ces mots la louve du feu avait baissé les oreilles, mais elle reprit vite son air enjoué qui déplaisait tant à la louve ailée qui lui ressemblait. Allez savoir pourquoi… Aucune des deux ne porta attention au loup de l’eau qui avait parlé tout bas. L’une parce qu’elle le méprisait, l’autre parce qu’elle ne l’avait tout simplement pas entendu.

Toutes deux ignoraient la filiation qui les liait. La louve ailée était bien sûr intriguée par l’autre, elles se ressemblaient sans doute. Cela faisait si longtemps qu’elle n’avait plus regardé son reflet dans l’eau, l’aspect immonde que sa blessure lui donnait la dégoutant. La voix de la jeune femelle raisonnait dans sa tête comme une litanie insupportable, ainsi la louve ailée avait directement classé cette louve dans les êtres indésirables et n’a pas cherché plus loin.

De son côté la jeune femelle du feu avait été intrigué par cette louve mystérieuse au masque resplendissant. Elle mourrait d’envie de le toucher, elle n’avait jamais senti le métal contre ses coussinets. Mais elle n’osait ni demander, ni parler à cette louve un peu vieille qui semblait déjà la détester alors qu’elle n’avait pas fait grand-chose. Imryu avait perdu ses parents tôt, et elle avait mis énormément de temps à s’en remettre. Elle avait cherché du renfort, du réconfort dans son clan qui l’avait laissé seule, jugeant qu’elle pouvait s’occuper d’elle. Hors Imryu a mis du temps à grandir. Quand ses parents sont morts, alors qu’elle n’avait qu’un an, elle faisait la taille d’un petit de six mois. Et longtemps charriée pour ça elle a finalement abandonné l’idée de trouver des amis, et s’était recluse. Dans son coin, seule même dans la meute. Parfois encore aujourd’hui il lui arrive de pleurer en silence dans la nuit. Ses parents lui manquaient. Affreusement. Elle s’était retrouvée seule, jusqu’à ce qu’elle rencontre Reymsa et qu’il devienne bien vite comme un frère pour elle. Elle avait aussi rencontré Noxic et était tombée éperdument amoureuse de lui. Avec eux, sa vie avait repris des couleurs, elle avait retrouvé sa petite âme rose.

Quant à Liessen, la perte de mémoire avait été très dure. Se retrouver avec le savoir d’un nouveau-né dans le corps d’un adulte pleinement formé était une étape à franchir pas forcément aisée. Elle avait dû surmonter des obstacles en tout genre. D’abord, les loups idiots ne comprenant pas ce qu’étaient la perte de mémoire. Elle se retrouvait souvent très ridicule, ne sachant pas quel était tel endroit, le nom des plantes élémentaires ou tout autre chose qui semble écrit dans le savoir dès la naissance, et qu’elle avait oublié. Elle s’était cependant trouvé rapidement un don pour une chose : La chasse.

Elle s’était réveillé ce jour là avec une écaille verte sur le pelage, tombée d’elle ne savait où. Dans sa tête tournait inlassablement le même mot. « lessy…. Lessy…. » Ainsi elle qui avait oublié son nom se nomma Liessen Idril. Elle avait vagabondé trois ans sans qu’aucun loup ne fasse le rapprochement entre son pelage et ce fameux clan du feu. Il lui fallu une rencontre fortuite et bien peu agréable avec l’alpha des eaux pour que celui-ci lui donne une piste. Alors elle était allée là-bas, sur les montagnes du néant. Elle avait trouvé en ces lieux un loup qui lui avait forgé son masque. Elle savait que les montagnes appartenaient au feu. C’était comme une intuition, une logique imparable. Mais une fois rendue sur place, elle avait été froidement accueillie par une jeune sentinelle qui l’avait renvoyé à coup de crocs. Alors elle n’a pas trainé longtemps et a perdu l’espoir d’y trouver son passé.

Elle savait qu’elle avait eu une fille. Mais ignorait son nom, sa position et même si elle était encore en vie. Parfois elle se demandait comment allait cette jeune Cynthia, cette petite qui lui avait fait se souvenir de sa fille. Donc Liessen avait cessé de chercher. Elle n’était plus toute jeune et courir partout dans les quatre coins du pays commençaient à la fatiguer.

C’est ainsi que les deux femelles s’étaient retrouvées sans savoir le lien qui les unissait. Comme un voile qui les couvraient elles semblaient étrangères l’une pour l’autre. Enfin, jusqu’à ce qu’Urion mentionne leur odeur.

La jeune pencha la tête, elle ne comprenait pas vraiment le sens des mots du vieux loup. Enfin si, disons qu’elle mit du temps à l’admettre. Elle tourna la tête vers la louve ailée, qui recula en grognant. Liessen semblait encore plus perdue, son regard faisant des allez retours entre le vieux loup et Imryu. Elle était désemparée. Elle avait dressé les ailes pour se paraitre plus grande et plus intimidante. Sur la défensive. Elle voulu rentrer dans son trou, elle se retourna d’un coup pour y filer, mais un couinement la retint.

La jeune louve avait été surprise et avait fait un bon en arrière, lorsque le vieux loup s’écrasa au sol. Il semblait être soumis à un poids que personne ne pouvait voir, et cela se voyait qu’il en souffrait. Il y eut comme un chuchotement, puis quelque chose tapa au sol, le faisant vibrer, et ce fut au tour de la louve ailée de sursauter lorsque son trou se trouva obstrué par des pics de glace. Elle se retourna lentement, pour voir Akui apparaitre. Les deux louves en furent stupéfaites. Elles reculèrent par précaution alors que le dieu se dirigeait vers le seul clanique de l’assemblée. Sans dire un mot, il fixa Ian, puis se dirigea vers Keiss.

La louve ailée montra les crocs, mais aucun son ne sorti de sa gorge. Alors le dieu se tourna vers les deux femelles et commença sa sombre histoire.

Aux premiers abors Liessen ne compris pas tout de suite, mais alors elle réalisa et se ratatina sur elle-même. Elle ne pouvait pas croire ça. Elle ne pouvait croire qu’elle avait été battue. C’était faux, c’était faux… Elle secoua la tête lentement, fermant les yeux. Mais alors ses oreilles tombèrent. Comment aurait-elle pu abandonner sa fille ?

Imryu elle, compris immédiatement. Elle était paralysée de stupeur. Était-ce elle ? Mais alors que le dieu continuait son funeste conte, elle se mit à grogner, et son poil se gonfla de colère comme dans les cachots avec Séraël. Elle fit un pas en avant et hurla.

C’EST FAUX ! Papa était juste et bon ! Jamais il n’a posé la patte sur maman, sauf pour la câliner !

Mais le dieu balaya sa remarque d’un mouvement de queue et continua sa litanie. Mais alors le dieu commis une erreur. Il parla d’Adalric. Et Liessen compris. Elle avait entendu la jeune louve. Alors elle se redressa et affronta le regard du dieu.

Si tu crois m’apprendre ça, t’es en retard mon gars.

En effet, le vampire avait prévenu Liessen qu’il était volage, elle l’avait su dès le premier jour et ne lui en avait jamais tenu rigueur. Tout n’était que mensonge. Ce fut à elle de balayer ces propos d’un revers des ailes. Toutefois elle était terrifiée. Autant par la présence de ce dieu que par ce qu’il venait d’annoncer.

Celywiem.

Ce nom fit tomber Imryu des nues. C’était le nom de sa mère. Mais ce fut bien vite passé. Le dieu se tourna vers elle et lui parla de Noxic. La mention même de ce nom lui avait fait bouger la queue d’un air enjoué. Mais tout le reste l’abattus. Elle ne voulait pas y croire. Akui était sournois et fourbe. Rien ne prouvait ses dire. Toutefois des doutes tenaces s’incrustèrent en elle. Elle ferma les yeux, ne pouvant empêcher les larmes de couler. Elle se tut néanmoins. Se concentrant comme elle pu pour ne pas tomber. Imryu savait que son père ne battait pas sa mère, alors pourquoi aurait-elle voulu se tuer ? Elle pensa à ces années perdues. Elle a fini son enfance seule, à quoi aurait ressemblé sa vie si ses parents avaient été encore là ?

Aucune des deux ne réagirent à la proposition du dieu des éléments. La plus jeune était bouleversée par ce qu’elle venait d’apprendre. La seconde percutait de plus en plus. Au bout de longues minutes de silence, Imryu leva les yeux, ruisselants et rougis, vers Liessen, elle fit un pas chancelant.

Ma…Maman…

Mais la louve ailée, tout aussi désemparée, ne réagit pas très bien. Elle écarta les ailes et grogna, les griffes plantées au sol. D’un coup la voix de la petite n’était plus insupportable. Elle avait cessé de raisonner dans sa tête, et ressemblait bien trop, en un peu plus grave quand même, à la voix qui criait maman.

Liessen Idril aussi se mit à pleurer, et Imryu fit un pas de plus. Elle avait la gorge serrée, elle aurait voulu se jeter dans les bras de sa mère. Mais elle avait peur. Elle était choquée. Elle était perdue. On lui avait dis que Celywiem était tombée et était morte, comme son père. Et pourtant elle était là. Debout devant elle.
Elle avait changé, voilà pourquoi Imryu ne l’avait pas reconnu. Son menton trembla, elle fis encore un pas, elles étaient si proches.

Mais alors Liessen paniqua.

N’APPROCHE PAS !!

Alors qu’elle lui hurlait cet ordre, elle tendit les muscles, et gifla sa fille sans modérer sa force. Le coup fit partir Imryu un peu plus loin. Sur sa joue on pouvait apercevoir les larges sillons que les griffes de sa mère avaient creusés. Le temps sembla s’arrêter.

Imryu était sonnée, elle tenta par deux fois de se relever mais par deux fois elle chuta. Liessen quand a elle était paralysée. Qu’avait elle fait ? Elle regarda sa fille, les yeux tremblants. Sa fille… SA FILLE ! Elle venait de frapper sa fille ! Elle se pris la tête entre les pattes, fermant les yeux. C’était trop. Elle allait craquer. Elle jeta un regard paniqué sur les loups qui les entourait. Elle ne croyait pas à ce qui venait de se passer. Elle regarda sa patte où ses griffes étaient rougies par le sang de sa fille. Elle chancela, trembla, fit trois pas en arrière. Elle balbutia une phrase incompréhensible. La panique grandissait en elle. Alors elle fit demi-tour, et pour échapper à tout ça, fit trois bon pour finir par s’envoler. Loin. Elle pleurait.

Imryu Réussit enfin à se lever, encore abbatue par tout ce qui venait de se passer. Elle vit partir sa mère. Elle n’avait aucun doute, c’était bien elle… Elle venait de la retrouver et sa mère fuyait. Sa joue était brulante et ses yeux lui piquaient. Son cœur battait la chamade, elle ne pouvait rien faire. Elle baissa la tête.

Maman…