S'ennuyant, Cynthia était partie dans la tanière de Calie. La renarde couturière était en train de rafistoler la coiffe indienne d'un chaman. Sans un mot, l'adolescente se coucha et observa la renarde coudre avec dextérité. Comme à chaque fois qu'elle venait chez elle, Cynthia était venue avec sa fidèle peluche. C'était bien entendue Calie qui lui avait confectionné, il y a de ça plusieurs mois. Quand la petite Cynthia avait vu le pouvoir de la renarde en action, elle avait souhaité une peluche à l’effigie d'un monstre. L'adolescente mâchouilla une patte de sa peluche quand la voix fluette de la renarde s'éleva.

Est-ce que tu voudrais bien aller à la recherche de plumes ? Il m'en manque pour finir la coiffe.

Calie avait bien vu que Cynthia s'ennuyait, alors autant lui trouver une activité. Celle-ci se leva d'un coup, accepta volontiers de l'aider, prit un sac et partit en trottinant, remplit d'une nouvelle énergie, laissant son doudou en compagnie de la renarde blanche et rose. Cependant, elle n'avait pas trop fait attention à quelles sortes de plumes elle devait ramener, trop pressée de partir à la chasse aux matières premières. La renarde avait tant bien que mal essayé de lui dire. Tout ce qu'elle avait retenue, c'est qu'il fallait des plumes d'aigles et de corbeaux, de préférences, pour avoir la bonne taille et la bonne couleur.

A présent, l'apprentie chasseuse était dans la forêt des rêves bleus. Elle avait recueilli quelques plumes marrons, mais pas assez : elle en cherchait encore. Elle reniflait le sol et l'air à la recherche d'odeurs de volatiles. Pour l'aider dans la recherche d'odeurs, il y avait le vent, mais c'était aussi un désavantage dans cette situation puisqu'il faisait voler les plumes éventuelles qu'elle devait récolter. Après quelques minutes de marche, l'odeur d'un carcasse lui vint. Comme tout animal carnivore, elle suivit l'odeur par instinct. Elle tomba dessus sans difficulté : c'était un poulet. Elle vit par la suite une louve ailée allongée sur un rocher, les yeux fermés, semblant dormir. Elle s'avança discrètement au cas où. La carcasse ne l’intéressait pas, ce qu'il restait, était destiné aux charognards. Elle, elle voulait les plumes. Certes, les plumes d'un poulet étaient trop petites pour une coiffe indienne, mais tant qu'à faire, autant les ramener à Calie pour d'autres choses : ça lui fera du stock. Posant une patte sur la carcasse, elle tira les plumes de sa gueule et essaya de les mettre ensuite dans le sac. C'était chiant. La plupart d'entre elles, restaient collées à sa langue. Tirant la langue, raclant celle-ci contre ses dents et tirant la grimace, elle essaya de les enlever. Finalement, elle les cracha toutes au sol et donna un coup de patte, mécontente, dans la carcasse du poulet. Elle abandonna l'idée des plumes de poulet. Elle jeta un œil à la femelle solitaire qui semblait toujours dormir. Elle scruta son visage puis fixa ses ailes d'un noir profond. Ses plumes seraient parfaites... Peut-être que certaines d'entre elles étaient sur le point de tomber ? Avec un peu de chance, l'inconnue était en train de muer. Elle s'approcha discrètement d'elle, s'appuya sur le rocher sans un bruit et tendit le museau. Elle ouvrit doucement la gueule et referma sa mâchoire sur une plume. Zieutant l'inconnue du coin de l’œil, elle tira doucement. La plume ne venant pas toute seule, elle la relâcha et en prit une autre où elle fit le même test. Le but de Cynthia n'était pas de faire mal à la femelle solitaire. Son but était simplement de tirer sur les plumes pour peut-être en récolter. Si la plume venait d'elle-même, c'est qu'elle était de toute manière prête à tomber, auquel cas, la cendrée n'insistait pas et passait à une autre. Finalement, une petite plume vient à elle et elle la mit dans le sac. Elle continua son manège, toujours alerte aux réactions de l'inconnue. En cet instant, Cynthia était semblable aux oiseaux qui venaient débarrasser les mammifères de leurs poils morts pour faire leur nid avec.

Bien que la femelle ailée lui ait donné des coups d'ailes, Cynthia, alerte, avait pu les éviter presque tous. Elle ne s'était mangé que les premiers, ne s'y attendant pas à chaque fois. Les battements d'ailes incessants s'arrêtèrent enfin et elle reprit son activité. Jouant avec le feu, Cynthia décida de continuer. Juste une dernière tentative et elle partira. Quand elle enleva la seconde plume, l'inconnue se redressa et se retourna brusquement. L'adolescente s'était écartée du rocher. Leurs regards se croisèrent. L'inconnue la jugea, sévèrement. Le poitrail parsemé de plumes blanches de poulet et la plume de l'inconnue fraichement récoltée entre ses crocs, la louvarde semblait s'être battue avec un volatile. Elles continuèrent de se regarder, Cynthia ne bougea pas, ne cherchant pas à fuir. Après tout, pourquoi fuirait-elle ? Elle avait été découverte, mais ça, c'est le jeu.

Pourquoi me volais-tu mes plumes ?

Définitivement repérée et prise la patte dans le sac, l'apprentie chasseuse ne pouvait pas feindre l'ignorance. La femelle solitaire ne semblait pas énervée suite à l'agissement de Cynthia, ni au fait qu'elle l'ait réveillé. Tant mieux, elles n'auraient pas à se battre à cause de deux plumes enlevées et elle ne se fera pas non plus engueuler par cette inconnue. La crêteuse cendrée mit la nouvelle plume dans le sac, se secoua pour s'enlever au mieux les plumes de poulet commençant à la gratter. Elle recula un peu pour mieux voir l'inconnue, puis elle s'assit et posa de nouveau le regard vers son interlocutrice.

On m'a demandé d'aller chercher des plumes d'aigles et de corbeaux. Les tiennes sont belles et m'ont parus intéressantes. Je me suis dis que certaines d'entre elles devaient être en train de tomber.

Elle n'avait pas eu le temps de finir la première aile. Elle n'avait pu en récolter que deux et elle était quelque peu dégoutée de s'être fait prendre sur le fait. Elle pensait pouvoir faire son affaire tranquillement et partir sans jamais être vu. Maintenant, faire l'oiseau en quête de "plumes mortes" était compromis.

Cynthia observait attentivement chaque réaction ou mouvement de la femelle. Bien qu'elle paraisse gentille, se faire tirer les plumes pour s'en faire voler ne plairait pas à tout le monde. Visiblement, elle n'en était pas dérangée, mais autant rester sur ses gardes, surtout avec une inconnue. Elle ne connaissait pas le caractère de la louve, ni sa façon d'être. Néanmoins, la flatterie envers le plumage de l'inconnue flatta celle-ci. Elle n'avait absolument pas l'air méchante. Cynthia se permit d'être totalement détendue, surtout après sa réponse.

Déployant son aile gauche, la louve solitaire lui affirma qu'elle était bel et bien en période de mue. La crêteuse cendrée n'avait qu'à se servir à son bon vouloir. Elle aurait même pu y aller au culot et demander les précieuses plumes si elle l'avait trouvé éveillé. Sans doute que Cynthia l'aurait fais dans ce cas de figure. La louve ailée se leva et agita frénétiquement ses ailes ce qui eut pour effet de faire tomber les plumes mortes. A cette vision, la louve de la Terre se leva d'un coup et attrapa le plus de plumes possible dans sa gueule, avant de les poser dans le sac et de refaire de même. Les coups d'ailes facilitaient grandement son travail; elle n'aurait pas à tirer chacune des plumes; mais c'était aussi un petit inconvénient, car certaines des plumes se retrouvaient plus loin par le vent généré. Bien décidée à n'en laissait échapper aucune, l'adolescente les rattrapa toutes, même si elle dut courir après ou attendre leur descente. Une fois les précieuses plumes récoltées, toutes mises en sac, Cynthia repartit à sa place initiale.

Merci pour vos plumes, Calie va être ravie !

Ensuite, elle tirage sur le cordage servant à ouvrir et surtout fermer le sac. Pas question que l'une d'elles ne s'échappe de là ! Pour elle, elle en avait suffisamment pour finir la coiffe du chaman, même sans doute plus. Seule Calie pourra le lui confirmer ou non. En tout cas, sa mission était remplie et elle avait soutiré toutes les plumes possibles à l'inconnue.

Au fait, tu t'appelles comment ?

Tu ne va quand même pas rentrer avec un sac remplis de plumes noires, c'est trop triste. J'entends un grand oiseau venir par ici, si on a de la chance il est marron, nous allons essayer de l'attraper pour toi.

Cette proposition éveilla les instincts de chasseur de Cynthia. L'attraper n'allait pas être difficile, elle en était sûre. Après tout, elle avait de la maîtrise et se perfectionnait de jour en jour ! Un simple oiseau n'était rien pour elle ! Gonflant le torse fièrement, elle s'avança de quelques pas, la tête haute, avant de prendre une attitude plus adéquate. Cet oiseau, elle allait l'attraper toute seule ! La femelle solitaire verrait ainsi ses talents. Après tout, c'était l'occasion de les montrer à quelqu'un d'autre que le groupe de chasse de sa mère ou les deux autres apprentis qui sont avec elle. Elle scruta les alentours, mais aussi le ciel, tandis que la solitaire se figea sur son promontoire, telle une statue. Bien vite, l'adolescente y vit un oiseau tournoyait, au-dessus de la cime des arbres. Ses oreilles pivotèrent, puis elle se mit à humer l'air et le sol. Elle sentit l'odeur d'un lapin à plusieurs mètres de là. Si l'oiseau était bel et bien un rapace, sans nul doute qu'il guettait ce dit lapin. Après quelques instants, l'oiseau fondit en direction du sol à une vitesse hallucinante. Bingo ! Cynthia se mit à courir, abandonnant Liessen derrière elle, oubliant même son sac pour ranger les futures plumes.

À plusieurs mètres de l'oiseau, elle s'arrêta. Il avait déjà tué le lapin et commençait déjà à le manger. Il était marron, parfait ! Elle s'avança avec la plus grande discrétion dans le dos de l'oiseau, puis, quand elle fut suffisamment proche, elle se jeta dessus, le plaquant au sol, ventre contre terre. Le rapace se mit à hurler et se débattre, donnant des coups de becs dans le vide. A force de se débattre, il s'échappa finalement de ses pattes, mais Cynthia lui attrapa la queue, le maintenant seulement brièvement, car des plumes se décrochèrent, libérant de nouveau l'oiseau. Agissant rapidement, la femelle bondit de nouveau sur l'oiseau, qui n'avait pas encore pris son envol, mais s'était éloigné, car trop déboussolé par les évènements. En se recevant de nouveau la louve sur lui, il se débattit plus férocement, toujours en hurler et battant des ailes. Finalement, Cynthia se prit plusieurs coup de bec qui la firent abandonner et le rapace put repartir définitivement. Résumons la situation :
- Avantages : Elle avait des plumes marron, car l'animal en se débattant, plusieurs étaient tombées. Elles avaient aussi un lapin.
- Inconvénient : Cynthia s'était faite pincer à plusieurs endroits, notamment la truffe et aux pattes, sans oublier aux fesses quand elle s'était retournée pour lui échapper avec un magnifique "kaï" sortant de sa gueule en prime.
Comme tout à l'heure, la femelle aventurière était couverte de plumes, non plus de poulet, mais de rapace cette fois-ci. Finalement, elle n'avait pas eu besoin d'exploiter ses talents de chasseuse, l'oiseau ayant été très simple à attraper à cause de sa distraction. Mais ce fut la suite qui avait été plus délicate. Elle tourna la tête vers la femelle solitaire. Comment s'appelait-elle déjà ? Elle lui avait dit tout à l'heure... Elle ne l'avait pas retenu entièrement, trop compliqué pour elle. Elle essaya tout de même :

Lissendril, ce que tu viens de voir n'a jamais existé !

Sa phrase s'accompagna d'un air autoritaire, quelque peu énervée par ce qui lui était arrivé. Elle s'était faite battre par un vulgaire oiseau ! Une chose est sûre, elle emportera cette défaite lamentable dans sa tombe. Elle n'allait surement pas le dire à qui que ce soit. Fort heureusement, Liessen Idril n'était pas une Terre, ce qui était encore mieux pour son image de dure à cuire qui, au moins, n'en prendrait pas un coup.

Liessen Idril se mit à rire face à la scène, ce qui ne plut pas à Cynthia. Elle se renfrogna d'autant plus. Vraiment, heureusement qu'elle n'était pas de son clan, sinon elle était sûre qu'elle en aurait entendu parler plusieurs jours. Quoi qu'il en soit, la spectatrice ne fit pas de remarques quelconques. Affichant un air boudeur et colérique à la fois, l'adolescente fixe intensément la femelle solitaire. Celle-ci réussit à se calmer, et malgré l'air de l'adolescente, elle vint lui ébouriffer sa crête avec sa patte avant droite. Cynthia fronça un peu plus les sourcils et grogna légèrement en gonflant momentanément les poils de son poitrail. Elle se dégagea de cette patte et vient claquer sa mâchoire juste à côté. Liessen Idril lui sourit et regarda de nouveau le carnage. Elle se mit à rire encore. Cynthia tourna la tête, regardant ailleurs, rongeant son frein. Tandis que la solitaire commença à ramasser les plumes. Elle, elle partit récupérer le lapin et se mit à l'écart. Doucement, elle s'assit, ne souhaitant pas réveiller la douleur due au pincement qu'elle avait subie. Elle observa Liessen Idril travailler, en silence, ne comptant pas l'aider dans cette tâche.

Soudain, la louve ailée s'arrêta, resta figée. Un peu intriguée, la crêteuse cendrée l'observa. Après quelques secondes, elle ne bougeait toujours pas. Cynthia soupira et l'appela, mais rien n'y fit. Excédée, elle se leva et vient se mettre devant elle. Elle l'appela de nouveau, plus fort, tout en lui donnant un coup de patte brusque à l'épaule. Si elle ne se réveillait pas avec ça, c'est qu'il y avait un gros problème.

Liessen Idril finit par revenir à la réalité tandis que Cynthia posait sur elle un regard blasé. C'est pas trop tôt. La louve ailée secoua plusieurs fois la tête et cligna des yeux. Après un temps, elle finit par lui adresser la parole.

Et alors ? Tu comptes me laisser la sale besogne ? Je t'ai quand même donné mes plumes, que feras-tu pour me remercier ? Ou comment comptes-tu acheter mon silence ?

Un air mesquin s'afficha sur la solitaire. Toujours de son air blasé, l'apprentie chasseuse ne répondit pas et l'observa encore. Elle comptait lui faire du chantage ? Elle était tombée sur la mauvaise personne. Suite à un petit rire, la louve ailée finit de ramasser les plumes, puis s'assit et soupira. Cynthia sortit de son mutisme, une fois qu'elle eut fini de travailler à sa place.

J'ai un lapin, je te l'offre. J'en ai pas besoin, j'ai déjà mangé.

Elle partit chercher la proie pour la déposer devant les pattes de Liessen Idril. Puis, elle récupéra son sac et tira le lien pour le refermer convenablement. Il était temps de partir. Calie avait besoin de ces plumes pour finir son travail. Elle devait probablement attendre son retour. Cynthia passa sa tête et l'une de ses pattes avant dans une lanière accrochée en diagonale sur le sac. Ainsi, elle pouvait transporter le sac sans devoir le tenir par la gueule et le traîner. Elle posa un dernier regard sur la solitaire.

Si on te choppe sur un territoire du clan de la Terre, tu peux dire que tu es une bonne connaissance de Cynthia. Mon père s'est Gothic si jamais on te demande. Enfin, pas sûr non plus qu'avec ça, tu puisses rester longtemps. En tout cas, n'abuse pas de nos terres, sinon ils vont finir par te tomber dessus, même si on se connaît en bien. À plus Lissendril.

A la suite de ces paroles, elle se mit en marche et disparue bientôt derrière plusieurs arbres.