Houhou, Houhou, Houhou. Tu te stoppes. Houhou, Houhou, Houhou. La pénombre est telle que tu t’aperçois rapidement qu’aucune lune ne se lève pour éclairer ta route. Houhou, Houhou, Houhou. Tu attends quelques secondes pour que ta vue s’habitue à la noirceur oppressante de la nuit. Shhhhhhhh. Une brise glaciale vient heurter ton corps transi, tu grondes, agacée par les éléments. Tu secoues ton pelage roux et blanc dans les bourrasques froides et tu lèches le ruban qui entoure ton postérieur. Il est humide sous ta langue et tu grimaces. Tu t’installes plus confortablement sur les racines de l’arbre au pied duquel tu observes de ton mieux l’horizon. Gnieeeen. Le bois mort grince sous ton poids de louve adulte, tu frémis à peine. AouuuuuuuuuuuuHouuuuu. Tu frissonnes lorsque tu perçois le hurlement qui tranche le calme des bois. Tu sers les mâchoires pour contenir la réponse qui frétille sur le seuil de ta gueule, il te faut rester discrète en territoire neutre. Néanmoins, un malaise s’était installé en toi. Tu connais cette voix qui s’était élevée en contrebas, elle t’est terriblement familière. Le trouble s’empare de ta tête, tu dois voir de tes propres yeux que tu te trompes. Ta mère est morte, tu le sais, ça ne peut être elle. Tu bondis sur tes pattes et les pics de ton bracelet à clous arrachent de l’écorce pourrie. Amzpubgqrtpiubap. Un lapin détale sur ta gauche, mais tu n’y prêtes aucune attention. Tu dévales la colline à toute vitesse, avide de découvertes. Tu cingles le vent et l’air tiède qui s’échappe de ta bouche forme des volutes au-dessus de toi. En une minute, tu te retrouves en bas de la pente. AouuuuuuuuuuuuHouuuuu. Tu dresses tes grandes oreilles rousses cramoisies, à l’écoute. Tu baisses les yeux vers le sol meuble, interpellée. Ce hurlement-ci vient des sous-sols de la Terre, lieu où tu ne t’étais jamais aventurée auparavant. Malgré la once de peur qui se lit en toi, la curiosité est trop forte. Tu avais déjà entendu parler des passages souterrains qui s’entremêlaient en dessous et autour d’un château. Quelque chose d’indescriptible en toi te disait que c’était là que tu la trouverais. Tu t’élances à toute vitesse, ton cœur cogne dans ta poitrine et tes coussinets foulent sans hésitation l’humus de la forêt. Toi, petite louve au milieu d’un drap de secrets machiavéliques, tu vas peut-être découvrir une part de vérité. Au loin, la colline Nivéus apparaît dans ton champ de vision. Certes tu n’as jamais tenté de pénétrer les souterrains mais tu avais entendus suffisamment d’histoire pour savoir comment y pénétrer. Boum, Shhhhic, Clic. Tu sautes par-dessus les buissons, gravis certains rochers et t’enfonces dans de minuscules vallons avant d’entamer enfin l’ascension pénible de cette fameuse colline sacrée. Tu ne cherchas pas longtemps avant de trouver l’arbre centenaire. Un trou avait été creusé entre ses racines, tu te penches pour regarder quels étaient les risques s’y tu t’y précipitais. Les entrailles sont toutes noires, si noires que tu ne vois rien à plus d’un mètre. Tu pousses un petit gémissement qui se répercute sur les parois et tu estimes la profondeur de plusieurs mètres. Tu te retournes et engages en premier ton postérieur puis tu te laisses glisser contre le mur de terre et de roches où tes griffes tracent des sillons. Boum. Tu buttes contre le fond dans un vacarme dingue et tu te redresses discrètement, comme-ci des dizaines de paire d’yeux sont braquées sur toi. AouuuuuuuuuuuuHouuuuu. Cette fois-là, tu entends clairement de quel côté il provient, et tu te précipites. Le tunnel et large et haut de plusieurs ailes d’aigle, ce qui avantage ta course. De légères bourrasques provenant du sol t’apprennent qu’il doit sûrement y avoir plusieurs étages. Tu prends de nombreux tournants avant de tomber nez à nez avec la louve en question.

Toi –« Qui es-tu ? »

Ses yeux étaient grands et doré comme un filet de miel. Son pelage semblait du même roux que le mien malgré que le bout de ses oreilles et de sa queue soient plus foncé. Elle se tenait de la même manière que moi, bien droite et toujours en mouvement, même le plus infime je pouvais le voir à travers les ondulations de ses poils.

« Qui es-tu ?! »

Les esprits de la pierre répétèrent mes paroles en les laissant en suspend dans l’air glacial avant de les laisser s’évanouir au loin. Les degrés dégringolaient la pente des températures en transperçant ma mince fourrure d’été. Des tâches plus sombres se découpaient dans l’obscurité qui se refermait derrière l’inconnue, je les voyais. Elles avaient une allure menaçante et se mouvaient sur les parois du tunnel plongé dans un noir étouffant.

« Qui que tu sois, mauvaise ou bonne, je pense qu’on ferait mieux de partir, quoi que tu fasses ici ! »

Les silhouettes s’allongèrent et se rétractèrent, comme si elles étaient vivantes. La peur serra ma poitrine jusqu’à l’opprimer, je n’aimais pas cet endroit.

« VIENS VITE COURS ! »

Mon cri ricocha sur les roches froides et lisses dont les yeux me brûlaient le dos alors que je faisais volte-face pour fuir à toute vitesse. L’esprit de la grotte paraissait être en fureur ! Il envoya de gigantesques vagues de vent qui giflèrent ma truffe. Les petits cailloux sur le sol se mirent à trembler sur notre passage. Mes coussinets foulaient la terre dure et pointue par endroit à tel point qu’ils s’écorchèrent de nombreuses fois. J’étais terrifiée et je ne savais même pas où j’allais, j’étais perdue avec une inconnue dans un lieu fou et monstrueusement terrifiant.

Le temps d’une minute et nous étions sorti des souterrains, à l’air libre. Tout mon corps était engourdi et mon cœur cognait fort contre mon poitrail dans un bruit sourd à peine audible. Mon crâne semblait douloureux comme transpercé par les serres d’un aigle royale et un feu intense brûlait ma gorge. Je crachotais péniblement des jais de salive chaude et je titubais avec difficulté pour m’écraser deux queues de renard plus loin entre les racines nouées d’un grand arbre.

« Tout va bien. » Sifflais-je entre mes crocs.

Je fermais les paupières pendant quelques secondes et la brûlure dans ma tête s’estompa peu à peu pour me laisser recouvrer l’esprit. Un temps infiniment long s’écoula dans un silence rétablissant et je finis par ouvrir à nouveau mes grands yeux roses qui brillaient d’une lueur fiévreuse. D’un regard appuyé et décourageant je fixais l’inconnue qui dardait sur moi une œillade inquiète du coin de l’œil.

« Je te dis que tout va bien. » Répliquais-je d’un ton plus sur.

Une patte après l’autre, je me relevais très lentement en prenant garde à ne pas me prendre les bracelets dans les échardes. Je m’extirpais avec difficultés des entrelacs des bras tordus de la souche qui s’enfonçaient dans le sol en s’entremêlant sans cesse. Là-haut, dans la toison, des dizaines d’énormes boules grises et noires s’amoncelaient en nous cachant le soleil et en plongeant les bois dans une semi-obscurité inquiétante.

« Comment t’appelles-tu louve et d’où viens-tu ? » Demandais avec plus de douceur.

Je chancelais dangereusement sur mes pattes vidées d’énergie et rongées par la brise de plus en plus fraiche. Mes oreilles rousses pendaient le long de mon museau et j’étendais la nuque pour soulager mon dos, cette inutile dépense et le fait de ne plus manger aussi bien aurait pu m’être fatal. Je me sentais épuisée et le ciel s’épaississait et dardait sur nous un regard malveillant, mieux valait s’abriter rapidement. A travers mon pelage d’automne, les températures dégringolant me gelaient les os et je ne me sentais pas d’attaque pour une nouvelle course poursuite, surtout si c’était contre les esprits du ciel.

« Moi c’est Mina , je viens du clan du Feu. » Déclarais-je avec sollicitude. « Nous devenons nous mettre à l’abri du mauvais temps et vite ! »

Suisen. Entendre cette louve inconnue prononcer ce prénom de sa voix qui m’est si familière me troubla un peu. Ses yeux olives posés sur moi me troublaient aussi d’ailleurs et beaucoup de gestes et de mimiques m’étaient habituelles. Jusqu’à sa couleur rousse cramoisie ressemblait à celle de mon pelage néanmoins bien plus claire. Je couchais et redressaient les oreilles plusieurs fois de suite comme pour ventiler mon cerveau en surcharge de donnés à assimiler.

-Tu es solitaire ? D’où viens-tu alors ? Une nouvelle vitalité grésillante courait dans mes veines et je me rapprochais d’elle avec de grands bonds.

A présent que nous étions à l’air libre, je me sentais bien mieux. Je la dévorais des yeux en louchant sur elle de la tête aux griffes, je cherchais probablement une différence majeure entre Suisen et moi. Hors je n’en trouvai pas, et ce fut le plus déroutant.

-Suis-moi Suisen la solitaire, je connais un endroit où nous serons à l’abri des foudres des esprits en colère ! Du bout de la queue je lui fis signe de me suivre et fis volte-face à une aile d’aigle de son museau.

Un petit sourire euphorique bordait le bout de mes babines et un bonheur infini, comme lorsqu’on se sent bien, brûlait dans mon ventre en réchauffant tout mon corps. J’aurais surement pu affronter la pluie et l’orage dans l’état de joie intense dans lequel j’étais, ce qui était vraiment étrange, c’est que je ne savais même pas ce qui provoquait ça chez moi. Je trottais tranquillement sur un sentier humide qui zigzaguait en sillonnant la forêt, l’ancienne tanière d’ours où je l’amenais nous tiendrait au chaud toute une nuit ! J’étais fière de ma trouvaille.