Les yeux plissés, Horace jeta un long regard sur le morne paysage devant lui. Hm, cet endroit lui était familier. Est-ce que toutes les terres de ce monde ressemblaient à ça ? Ou avait-il mal suivi les indications de son compagnon du marais ? L'idée d'avoir été trompé ne lui venant même pas à l'esprit, le jeune solitaire se contenta de pousser un soupir, et reprit sa route entre les pierres. Le ciel commençait à se parer de couleurs orangées à l'ouest, et la perspective de dormir dans ce lieu ne lui plaisait pas vraiment... Et en même temps, son sens de l'orientation était tellement mauvais qu'il ne voyait pas d'autres options. Il ne se rappelait même plus quelle direction il avait emprunté la dernière fois qu'il était venu ici.

Horace s'immobilisa après avoir marché quelques minutes, et refit un état circulaire des lieux, avant d'afficher une moue dépitée. Il en avait marre d'errer au hasard, et le paysage n'avait pas changé d'un iota depuis qu'il avait retrouvé ces satanées stèles. Que faire, à présent ? Il n'y avait a priori personne à la ronde pour lui donner une indication. Comment arriverait-il un jour à dénicher les cavernes ??

Las de tourner en rond, le loup finit par s'adosser à une pierre, assis de travers sur son séant. S'abandonnant à une rêverie éveillée, il joua distraitement avec quelques brins d'herbes, fredonnant pour lui une vieille comptine que sa mère avait l'habitude de lui chanter.

Une apostrophe incisive sortie de nulle part fit violemment sursauter Horace, qui manqua s'étouffer avec sa salive alors qu'un cri de surprise voulait s'échapper de sa gorge. Maintenant redressé et hagard, il regarda autour de lui, presque effrayé à l'idée de ne trouver personne et d'avoir affaire à un esprit de mauvais poil. Mais en fait non, il s'agissait d'une jeune louve non loin, qui le regardait de manière circonspecte. Bon, elle avait quand même l'air de mauvais poil, mais au moins elle était palpable.

« Je... » Sous le coup de l'émotion, il n'avait pas vraiment fait attention à ce qui lui était dit. Est-ce qu'elle l'avait appelé débile ? « Non, je ne crois pas être débile. » Il prit quand même une minute pour y réfléchir, mais si sa mère l'avait déjà décrit comme mollasson, flemmard, mou, "débile" ne faisait pas partie de la liste. « Pourquoi tu me demandes ça ? Et c'est quoi le fleuve biscuit... biscuiss..? »

Bien que leur premier échange ne soit pas vraiment amical, Horace était rassuré de rencontrer quelqu'un de chair et de sang qui pourrait potentiellement répondre à ses questions. Aussi retrouva-t-il rapidement son attitude nonchalante, fixant ses prunelles calmes et curieuses sur la nouvelle venue du soir.

En face du bleu, la jeune louve semblait totalement désemparée, ce que lui-même ne saisissait pas bien. Peut-être avait-il sorti une absurdité ? Profitant de ce qu'elle s'asseyait pour réfléchir, Horace l'observa un peu mieux, remarquant les particularités de son physique. Il regarda notamment longuement les cornes qui lui sortaient des joues, et l'ombre de plumes qui paraient le haut de ses épaules, se demandant par quelle magie elles avaient pu pousser là. Ou alors c'était une maladie locale ?? Un léger signal d'alarme s'alluma quelque part dans son esprit, et il se trémoussa sur son séant avant de se redresser, attentif à la réponse de sa vis-à-vis.

« T'es pas d'ici, toi, en plus de pas être futé. Tu sais pas que faire la sieste à découvert c'est dangereux ici? J'aurai pu te tuer sans même que tu m'entendes approcher. Et en plus tu chantonnes... »

Passant totalement au-dessus des insultes qui lui étaient adressées, le solitaire ne s'arrêta que sur le concept final du discours, à savoir qu'il aurait pu être zigouillé à peine quelques minutes plus tôt.

« Me tuer ?? Mais... » Il fronça légèrement les sourcils, et sur ses traits fins, le choc céda la place à l'incompréhension. « Enfin... pour quelle raison m'aurais-tu tué ? »

Vu comme ça, il avait peut-être été un peu insouciant de se promener ainsi sur un territoire inconnu, bien qu'il n'ait pas senti de marquages de meute. Mais il ignorait surtout qu'en partant à la recherche de ses origines, il risquerait aussi sa vie ! Bon, sauf dans le cas où il mourrait seul et affamé... Mais jamais sa mère ne lui avait dit qu'il aurait potentiellement de cruels adversaires en travers de sa route ! Faisant osciller ses longues mèches bleues, Horace jeta des coups d’œil inquiets de part et d'autre de leur improbable duo, soudain aux aguets. Tout lui semblait à présent menaçant dans la lumière du crépuscule.

« Vous êtes nombreux à vouloir tuer les passants, par ici ?? Je ne voulais pas me montrer intrusif. Je cherche un groupe de loups appelés cavernes... tu les connais ? »

Flegmatique de nature, Horace avait du mal à percevoir les tensions qui pouvaient exister entre des groupes pour la chasse et les territoires ; pourtant, il n'avait pas toujours mangé à sa faim, et avait plus d'une fois dû fuir une meute agressive aux côtés de sa mère et des autres solitaires. Mais c'était comme si toute cette agressivité avait glissé sur lui, s'écoulant de sa mémoire, jusqu'à ce qu'il comprenne enfin - un peu - son implication aujourd'hui.

« Pas spécialement, j'ai pas envie de te tuer, je te disais juste que quelqu'un aurait pu le faire, ou te faire du mal. C'est pas un territoire annexé ici, t'as le droit d'y passer, mais évite de t'endormir sans être certains d'être en sécurité, et ne chantonne pas, tu donnes ta position bêtement. »

Malgré lui, le bleu poussa un petit soupir de soulagement. Son interlocutrice avait beau avoir l'air un peu plus jeune que lui, vu l'étendue de ses connaissances, il ne faisait aucun doute qu'elle aurait le dessus quoi qu'il arrive. Et il n'avait pas spécialement envie de vérifier cette théorie. Comme un bon écolier, il opina du chef à tout ce qu'elle disait, tâchant d'enregistrer mentalement cette petite leçon de survie en milieu hostile. Rester discret, surveiller les environs, ne pas chantonner. Dommage, il aimait bien chanter...

« J'sais pas. On avait deux cavernes dans la meute, mais la vieille est morte. En tout cas mon père aurait pas laissé une meute s'installer par ici, c'est sûr. »

Une ombre de déception passa sur le regard d'Horace, et il baissa pensivement la tête. Il avait quelques éléments de réponses, mais pas l'impression de progresser pour autant... Mais bon, la louve d'en face avait déjà été bien gentille de lui donner toutes ces informations.

« Je vois... Je suppose que je ne suis pas encore arrivé à bon port. » Haussant les épaules, il concentra à nouveau son regard sur la demoiselle, les yeux brillants dans la pénombre qui s'installait. « Je te remercie pour tes réponses et ta gentillesse ! »

Après tout, elle l'avait épargné et avait partagé son savoir avec lui, cette rencontre n'était pas vaine ! À présent qu'il avait des conseils à appliquer, il se sentait plus rassuré à l'idée d'affronter de nouvelles terres inconnues, et leurs potentiels habitants. Enfin, tant que la lumière brillait... maintenant qu'elle déclinait, transformant les pierres de cet endroit en silhouettes trapues et sinistres, le solitaire ne se sentait pas spécialement à son aise.

« Et du coup, euh... si je reste silencieux, je peux dormir ici sans être tué ? »

En face, la jeune louve le regarda quelques instants avec les yeux ronds, avant de reprendre l'air renfrogné qu'elle semblait arborer au naturel. Avait-il sorti une autre énormité ? Bah, il allait peut-être devoir apprendre à réfléchir un peu plus avant de parler aux loups d'ici. Ce qui se confirma quand son interlocutrice poussa un énième soupir, lui délivrant sa dernière information de la soirée.

« Ouais c'est ça, mais planque toi dans un mausolée, c'est mieux qu'en plein air, et puis en dehors de se faire tuer, il pleut parfois. »

« Ah ? »

Un mozolé ? Le bleu regarda autour d'eux, cherchant à comprendre ce qu'elle avait désigné par ce nom. Les petits abris de pierre ? En tout cas, ça faisait sens. Il devrait s'en contenter, son informatrice étant déjà en train de s'éloigner.

« Merci, » hasarda-t-il d'une petite voix, mais ne croyant pas trop qu'elle puisse l'entendre - voire même l'écouter. Elle avait peut-être eu son quota d'absurdités pour la soirée. De son côté, Horace avait bien l'impression d'avoir appris des choses le temps de leur conversation

Imaginer que cette jeune demoiselle s'en retournait auprès de sa famille le rendit un peu nostalgique, et il se découvrit d'humeur chagrine pendant quelques minutes. Puis, la lumière déclinant toujours, le solitaire réalisa qu'il ferait mieux de suivre les conseils de la louve, et se trouver un abri hors de vue et des intempéries. Avisant une bâtisse de pierre apparemment encore solide un peu plus loin, il y trottina, surveillant avec application les environs.

Lové entre les pierres, l'odeur de la mousse et de la poussière plein la truffe, Horace réfléchit encore un peu à ce qu'il allait faire pour la suite... mais après tout, il avait au moins la chance d'être encore en vie. Demain serait un autre jour, la lumière brillerait à nouveau, et il aurait tout le temps pour réfléchir à un plan alors. Rassuré par ces pensées naïves, le jeune loup ne tarda pas à s'endormir profondément.