La veille, Fuurin s'était disputée avec Lagherta. Enfin, disputée ... Elle avait perdu son calme. La nuit lui avait permis de se calmer complètement, et une idée avait germé dans son esprit. Trinity était morte, et rien que cette pensée la faisait trembler de tous ses membres, mais elle devait faire quelque chose. Elle en avait tellement voulu, à Ekynox, à elle-même, à Trinity même. Elle aurait du être là, elle aurait du être là pour l'aider, comme les deux louves le faisaient depuis qu'elles se connaissaient. Et elle pouvait encore le faire.

Elle était parti au petit matin, sans prévenir personne. Elle avait suivi les chemins d'abord bien connus de son clan, puis ceux un peu moins marqués des sentinelles, pour enfin arriver aux frontières de la Source. Là, elle s'était dirigée en Terres Solitaires, vers le puits aux vœux. C'est en fin de soirée qu'elle arriva, fatiguée, dans la clairière qui abritait le puits. Le soleil venait de se coucher, et il lui semblait encore que la lumière orangée illuminait le petit bâti de pierre, lui donnant une apparence surréaliste. La queue de Fuurin battait derrière elle, fébrile. Elle était arrivée au terme de son voyage.

Elle s'avança, dans le silence ouaté de la clairière. Avec précaution, elle posa ses pattes de devant sur le rebord, et jeta un regard vers le fond insondable du puits. Personne n'avait jamais pu savoir ce qu'il se passait lorsqu'on mettait quelque chose dedans. Tout ce que les loups savaient, c'était que ce puits pouvait exaucer les vœux. et pour la première fois de sa vie, Fuurin avait un vœux brulant, douloureux que seuls les Dieux pouvaient exaucer. Elle déglutit, puis avec lenteur et précautions, retira son écharpe. Les grelots tintèrent, malgré l'absence de pouvoir, rappelant à Fuurin ce son qui l'avait accompagné toute sa vie. Ce son qui avait tant énervé Trinity lors de leur première rencontre, qui l'avait empêché de chasser. Sa gorge se serra alors qu'elle dénouait lentement le tissus, et les larmes lui montèrent au yeux. Enfin, après plusieurs secondes, elle tenait dans sa gueule son objet le plus précieux, celui qui faisait d'elle ce qu'elle était. Elle ferma les yeux, le cœur déchiré. Mais en ce moment, elle aurait tout fait pour ramener son amie. Elle laissa tomber l'écharpe, dans un tintement. Faites revenir Trinity, je vous en prie.


Fuurin ensuite attendit, de longues minutes. Chaque seconde qui s'écoulait était une partie d'elle qui mourrait, un espoir s'envolant. Puis, petit à petit, une certitude s'installa en elle : cela n'avait pas fonctionné. Tremblante, elle sentit la rage et le désespoir la saisir. Non, ça devait fonctionner ! Elle avait donné ce qu'elle aimait le plus ! Fébrile, tremblante, elle posa les pattes au sol, regardant autour d'elle. Non ! Elle avait encore quelques bijoux, offerts par son frère pendant son enfance ! Elle retira son bracelet malgré ses pattes qui tremblaient, gémissante, et le jeta dans le puits. Puis, elle se rappela de ses boucles d'oreille ! Elle essaya de les enlever, mais ses pattes fébriles ne firent qu'écorcher ses oreilles. Un long gémissement jaillit de sa gorge alors que la frustration s'emparait d'elle. Elles allaient se détacher, ces fichues boucles ?! D'un geste rageur, elle tira, et sentit la douleur lui transpercer l'oreille, alors que les boucles ensanglantées tombèrent dans ses pattes. Elle les jeta également, les larmes jaillissant de ses yeux sans qu'elle ne puissent les arrêter. Puis, elle s'écroula au sol, sanglotante. Elle n'avait pas assez pour contenter les Dieux.

Une idée macabre germa dans sa tête alors qu'elle pleurait. Fuurin se releva, et grimpa sur le rebord du puits, sondant de nouveau le fond. Une vie pour une vie. C'était logique, si logique qu'elle se maudit de ne pas y avoir pensé plus tôt. Ses pleurs s'étaient arrêtés alors qu'elle contemplait le trou. Elle était en équilibre précaire sur ce rebord, il ne fallait plus qu'un pas pour que ... Trinity ?
Mais Fuurin n'en était pas capable. Sur le point de défaillir, ses pensées confuses se fixèrent sur un point : Trinity n'aurait jamais voulu ça. Elle n'aurait jamais voulu revenir, pas comme ça. Fuurin, toujours tremblante à en faire pâlir les feuilles mortes, se laissa tomber sur le sol à côté du puits. L'amertume de sa défaite empli sa bouche, et dans un accès de rage, elle hurla. Elle frappa de ses pattes le puits, jusqu'à ce que ses coussinets se déchirent, jusqu'à ce que dans sa bouche le gout du sang prédomine, frappa sa tête contre la pierre en hurlant toute la rage. Puis, quand elle n'eut plus de force, elle se laissa tomber, sanglotante, le dos contre le puits. Trinity ne reviendrait pas. Elle ne reviendrait jamais.

RAHAWK

Rahawk avait rencontré ses petits frères, ils étaient différents et pourtant très similaire à lui, ça lui avait fait une impression étrange. Il avait une seconde fois renoncé à rencontrer Verd. Faubaru avait paru hésitant quand il avait parlé d'elle. Il se resignait peu à peu à ne plus faire partie de sa vie. Ce n'était pas plus mal, il lui avait causé pas mal d'ennuis...

En partant du clan de la Source, il était repassé par le château en ruine. Il avait retrouvé les restes de Médée. Les charognards avaient bien nettoyé la carcasse, mais il n'avaient pas touché à la peau de ses queues qu'il avait écorché. Il les avait ramassé, était allé les laver dans la rivière, avait nettoyé les restes de chair que les insectes n'avaient pas mangé. Il s'en était ensuite fait une écharpe, rouge sang, symbole du monstre qu'il était.

La vieille folle n'avait pas tout à fait tort quand elle disait qu'il fallait toujours un fou pour prendre la place d'un autre. Certes, dans son cas la légende exagérerai probablement beaucoup son côté monstrueux. Mais certains loups de clans pourraient quand même vouloir se venger. Un autre signe visible de sa cruauté en refroidiraient sûrement la majorité.

Pendant les semaines qui avait suivi, il avait traqué les adeptes. Il était passé voir Imryu aux tanières, il l'avait observé de loin, sans lui faire savoir qu'il était là. Elle avait retrouvé sa fille, comme il l'avait supposé, le clan du désert n'avait pas eu le cœur de tuer une enfant. Elle avait bien grandi depuis la dernière fois qu'il l'avait vu. Un jour, il remarqua qu'une autre louve était souvent aux mêmes endroits que la noire à l'oreille coupée. Mais il s'était vite avéré qu'aveugle comme elle était, elle ne pourrait jamais faire de mal à l'ancienne adepte. Il passait puis reprenait son errance.

Il ne s'était pas fixé quelque part depuis des mois. Il n'avait pas revu ses frères, ni Cynthia. Sa sœur lui manquait. Il espérait qu'elle avait dépassé son problème de peur panique.

Il traînait dans les environs du puit aux vœux quand des hurlements attirèrent son attention. Il se dirigea donc vers le monument, un léger frisson le parcourait, quelqu'un souffrait. Il secoua la tête, pas question de perdre la raison, il n'allait pas là bas pour se repaître de sa souffrance.

Il tomba sur une petite louve grise, couchée sur le sol, elle frappait sa tête contre les pierres usées du puits. Elle puait le sang frais et le désespoir. Rahawk s'approcha et l'attrapa par la peau du cou. Il l'eloigna de quelques mètres.

Ne le casse pas. Le puits pourrait servir à d'autres.

Sa voix rocailleuse était posée, il ne craignait en rien cette petite chose pleine de morve et aux coussinets déchirés. Quand bien même il serait responsable de son désespoir. Après tout il avait fait tellement de victimes qu'un de ses proches en faisait peut être partie.

Elle avait l'odeur de la source. Mouais, Ystrelle serait sûrement pas trop contente qu'il la laisse crever au milieu de nulle part. Ce qu'il était devenu l'avait probablement suffisamment écœurée comme ça. Il y avait peu de personnes dont il se souciait de l'opinion, sa mère en faisait partie.

-Fuurin-

Alors que la messagère venait à peine de se laisser tomber à terre, elle sentit un loup l'attraper par la peau du cou et la trainer au sol. Elle glapit de peur, se débattant, mais l'autre la lâcha vite quelques mètres plus loin. Elle se retourna, se relevant aussi rapidement qu'elle le put pour faire face à l'étranger, et découvrit un mâle à la dégaine impressionnante. Il était grand, très grand, et avait l'air tout aussi musclé. Cela ne faisait d'ailleurs aucun doute, au vu du peu d'effort qu'il avait eu à traîner la louve sur ces quelques mètres. Ses grandes dents sortaient de sa bouche, et ses couleurs rappelaient étrangement à Fuurin certains membres de la famille Gothic. Soudain, un souvenir refit surface dans la mémoire de la louve grise : elle avait déjà vu ce loup quelque part.

Elle plissa les yeux, se mettant en position de défense sur ses pattes toujours tremblantes. Elle essayait de se souvenir ... Son regard glissa un peu plus bas, et elle faillit lâcher un glapissement de nouveau : autour du cou du loup se trouvait une sorte d'écharpe rouge sang, qui puait la mort. Fuurin n'avait aucune idée de l'endroit ou il avait dégoté ce truc, mais c'était glauque à souhait.

Soudain, elle se souvint : Elle avait déjà vu le mâle lors de la libération du château ! C'était un ancien adepte, mais aussi un gothic. Il avait été capturé ... Puis relâché ? C'était donc que ses crimes n'étaient pas si graves. Pourtant en voyant l'écharpe, Fuurin se demanda s'il n'aurait pas mieux valu le tuer. Il avait tout l'air d'un fou. Néanmoins, le loup était calme, ayant même lâché quelques mots :


Pendant un instant, la messagère avait oublié sa douleur, l'adrénaline coulant dans ses veines suffisant à la maintenir alerte. Elle fixa le mâle vert, et répondit :

Tu ... Tu es un Gothic non ? Je t'ai vu au château.

Allait-il lui faire du mal ? Elle n'en avait pas l'impression. Mais il était difficile de connaître les intentions de l'ancien adepte tant son visage restait neutre. Pourquoi était-il venu à se rencontre, si ce n'était pour lui faire du mal ? Un instant, Fuurin remercia les Dieux que ce ne fut pas les chaleurs, et se maudit d'avoir été si imprudente, partant en terres solitaires sans prévenir personne. Puis, la raison de son départ lui revint, comme une baffe. Trinity. Elle se sentit faiblir, et s'assit. De toute façon, le solitaire était si imposant que s'il voulait la faire souffrir, il le pouvait sans problème. Elle n'avait plus qu'à compter sur sa bonté, ou du moins son absence de sadisme envers la louve grise.

RAHAWK

d'un coup, la louve abandonna son air paniqué pour le fixer. Ah... Elle le reconnaissait probablement. A lui, elle ne disait rien. Mais il était parti jeune du clan, sans avoir vraiment cherché à connaître les autres.

Sa question lui confirma qu'elle avait juste reconnu son père en lui. Elle était donc du clan de l'eau. Il la regarda attentivement. Effectivement elle était au château quand il en était sorti. Ça lui revenait maintenant.

Ouais. C'est mon vieux. J'étais au château, on m'a appelé Famine pendant un temps. Aujourd'hui on m'appelle juste le Bourreau.

Rahawk s'assit pour se gratter derrière l'oreille. Ça faisait un petit moment qu'il n'avait pas croisé de clanique en terre solitaire. Ils restaient dans les clans à panser les plaies de la guerre. Les solitaires commençaient pour leur part à réapparaître. Il reposa son regard sur la petite louve grise. Les larmes avaient laissé des sillons dans la fourrure de ses joues. Il eut un flash de Verd, encore louvette, couverte de boue et pleurant après la dernière brimade du caverne... Bon sang pourquoi fallait-il que toutes les louves qu'il croisait se mette à chialer et lui rappellent la merdeuse... Il se racla la gorge.

Tu leur veut quoi aux dieux ?

Ça n'allait probablement pas la faire cesser de pleurer. Mais ça faisait longtemps qu'il n'avait pas vraiment eu pour autre compagnie que la solitude ou les hurlements de peur et de douleur.

-Fuurin-

Fuurin tourna la tête en reniflant, et s'essuya le museau qui n'arrêtait pas de couler. Sa tristesse était revenue, pesante sur ses petites épaules. Et la présence du loup n'arrangeait pas les choses. Apparemment il était bien celui auquel elle pensait, donc un ancien adepte. Pourtant, son attitude n'était pas tellement inquiétante, seulement son apparence. Et puis, il l'avait tout de même éloignée du puits, peut-être pour l'aider ? Elle n'en savait rien.

Fuurin renifla et releva la tête. Elle se força à paraître un peu plus forte, chassant ses larmes et se redressant, mais c'était peine perdue. Sa voix tremblante trahissait toujours de son émotion.

Non, c'était stupide ... J'ai pensé que les Dieux pourraient ... Faire revenir ...

Elle s'étouffa, la gorge serrée comme un étaux, et baissa la tête, les dents serrées. Elle se força à finir sa phrase, sa voix se transformant en un grondement douloureux :

Trinity

Elle secoua la tête. Non, elle n'aurait pas du venir ici. Les Dieux ne lui auraient jamais rendu son amie, c'était même étrange et presque contre-nature. Elle était morte, et elle ne reviendrait jamais. Fuurin eut un rictus de colère, avant de prendre une grande inspiration pour calmer ses nerfs. Elle ne se reconnaissait plus ces dernières temps, elle avait toujours l'impression d'être dans un rêve ou un autre piloterait son corps à sa place, une sorte de cauchemar qui ne prenait pas fin. Elle releva la tête, relançant la conversation sans vraiment d'entrain.

Et toi ? Qu'est-ce que tu fais là, avec ce truc autour du cou ?

Elle pencha la tête pour mieux l'observer. En temps normal, elle aurait probablement eut plus peur de ce fils de Gothic, mais elle ne ressentait rien d'autre qu'une tristesse tellement grande qu'elle était incapable d'y penser. Son cerveau n'arrivait plus à prévoir, essayer de deviner les intentions de l'autre. Elle se sentait comme une coquille vide.

RAHAWK

La louve essayait de retenir les sanglots dans sa voix, sans grande réussite. Les poils de ses joues étaient tout emmêlés, elle avait la truffe dégoulinante et sa voix tressautait.

Non, c'était stupide ... J'ai pensé que les Dieux pourraient ... Faire revenir ... Trinity

Trinity... Ce nom ne lui disait rien. Il n'y avait pas eu de Trinity dans les geôles dans ses souvenirs, ni parmi les adeptes. Donc ce n'était pas lui qui l'avait tuée. Du moins il supposait qu'elle était morte, ce qui expliquerait l'air échevelé de la louve. Il posa un regard sur le puits. Si Akui lui avait appris une chose, c'était que les dieux existaient bel et bien, et qu'ils pensaient à tout. Si une chose était faite d'une certaine façon alors c'était qu'ils l'avaient voulu ainsi. Et si on voulait aller à l'encontre de leur décision, leur demander était... inutile. Il ne partagea pas sa pensée avec elle. A quoi bon, elle souffrait et prier était un moyen de combattre la douleur de la perte.

Et toi ? Qu'est-ce que tu fais là, avec ce truc autour du cou ?


Autour de son cou, l'écharpe faite avec la peau de Médée lui tenait chaud. Le coeur de l'été n'était pas le meilleur moment pour ce genre d'accessoires. Il reposa son regard sur la grise. Il hésita, avait-il envie de lui faire peur? C'était une clanique, et elle pourrait essayer de faire monter une expédition contre lui. Même s'il doutait que son père laisse faire, il préférait éviter de se retrouver avec trop d'ennemis à ses trousses.

Mon boulot, je tue ou je capture les anciens adeptes. J'ai senti de la douleur, je suis venu. Je t'ai vu te cogner contre le puits, je t'en ai éloigné. Ma mère n'aurait pas aimé que je laisse une louve de son clan se suicider aussi stupidement.

Il ne parla pas de l'écharpe. Il n'avait pas totalement accepté qu'il était fou. Mais l'était-il vraiment? Une bonne partie de ses chances de survie reposait sur la peur qu'il inspirait aux autres. Voir ce qu'il faisait de ses ennemis pouvait inspirer la peur.

Si t'as fini et que tu comptes pas recommencer, je vais partir. Mais à l'avenir, fais pas la bétise de traîner seule sur les terres solitaires, c'est pas parce que je chasse les tarés qu'il n'y en a pas qui m'échappent.

Il se leva et lui tourna le dos, prêt à partir, si elle ne répondait pas, il prendrait la direction des tanières.

-Fuurin-

Le loup en face ne réagit pas aux nom de Trinity. Il ne devait probablement pas la connaître. Elle ne l'avait jamais vu traîner avec Le Bourreau en tout cas. Il finit par lui répondre, d'une voix égale :

Fuurin regarda ses pattes de devant, les coussinets toujours en sang. Les blessures s'étaient vite refermées, elle n'avait pas beaucoup de force, mais le sang séché était resté avec de la terre collé dessus. Elle n'était pas très présentable, mais à quoi bon? De toute façon, elle n'allait pas casser le puit avec ses pattes faible. Elle n'allait pas non plus sauter, avec son esprit faible. Elle était faible. Comme si une partie d'elle avait été arrachée, et la laissait incomplète, blessée.


Elle releva la tête. Il n'avait pas parlé de son écharpe finalement. était-ce un bout d'animal ? de loup ? Finalement, la nausée lui prit légèrement à cette idée. Elle n'avait pas trop envie de savoir. Elle hocha la tête, simplement.

Je vais ... rentrer. Merci.

Sa voix était faible. Elle n'avait aucune envie de rentrer, mais plutôt de se retrouver seule un moment pour mettre de l'ordre dans ses pensées. Impossible quand un grand loup menaçant et malodorant lui tapait la discute. Pour le moment, elle n'avait pas réellement conscience du danger de sa situation. Une petite voix rejoignait Rahawk, lui hurlait de rentrer, de s'éloigner de ce Gothic dont il émanait une drôle d'aura, mais elle ne l'écoutait pas.

-Fuurin-

Une fois le fils Gothic parti, Fuurin retourna près du puits, et s'affaissa au sol. Toute énergie l'avait quitté, et son cerveau bourdonnait, empêtré dans une brume qui l'empêchait de réfléchir correctement. Elle posa la tête entre ses pattes, et les yeux toujours ouverts, regarda droit devant elle. Elle n'avait pas la force de pleurer de nouveau, la rencontre avec le bourreau l'avait lessivée de peur.

S'était-il passé quelques minutes ? Quelques heures ? Fixant toujours devant elle, Fuurin entendit un son bien connu, un son qui l'avait suivi toute son enfance, qui avait tellement résonné dans ses oreilles que seule son absence le rendait remarquable. Un tintement. Puis un autre. La messagère grise bougea ses oreilles encore douloureuse. Elle avait une hallucination ? Elle secoua la tête puis se retourna vers le puits derrière elle, l'origine du son. Devant elle, le puits semblait luire d'une lueur jaune. Fuurin fronça les sourcils. Elle était si épuisée, et maintenant ses sens se décidaient à lui jouer des tours ?

La louve se leva péniblement alors que la lueur se faisait plus forte, et avec elle l’appréhension de Fuurin. Son ventre se serra, et son cœur se mit soudain à battre plus vite. Le puits. Il l'avait entendu. Elle ouvrit la gueule pour prendre une bouffée d'air tant il lui semblait en manquer. Le lumière se faisait de plus en plus forte, rougeoyante, douce et chaude, elle lui emplissait le cœur comme s'il était à nu devant le soleil.

Puis elle la vit.

La lumière se regroupait en une silhouette lupine devant ses yeux agrandis sous la surprise, et avant même de reconnaître vraiment le visage de la louve, elle sentit que c'était elle. Puis peu à peu, son corps prit forme. Ses pattes, fines, fortes, son pelage, bicolore et exempt de toute cicatrices, ses yeux d'un bleu profond. Son sourire.


La louve grise tressaillit. Elle murmura.

Trinity

Immobile, elle ne pouvait pas quitter des yeux l'apparition fantomatique de son ancienne amie. Le temps s'était arrêté, seul résonnait un son éparse de carillons qui tintait dans les oreilles de Fuurin. Elle fixa Trinity qui s'approcha, pour l'enlacer, mais son étreinte ne fut qu'une brise. La messagère sentit son cœur se briser en mille éclats aussi coupant que du verre dans sa poitrine, alors que la réalité lui revint comme une baffe. Son vœux n'avait pas été exaucé. Les deux louves étaient toujours séparées par une barrière infranchissable. Pourtant, Fuurin avait désespérément besoin de cette étreinte, elle voulait sentir l'odeur, la fourrure, la chaleur de Trinity, tremper son pelage de larmes et entendre sa voix réconfortante. Elle émit un gémissement de douleur, sentant sa poitrine se tordre tant qu'il lui semblait qu'elle allait mourir. Peut-être était-ce ça ? Peut-être que la louve bicolore était venue la chercher ? Mais sa voix retentit de nouveau, porteuse d'une incroyable paix et d'un message tout autre.


La grise leva la tête, rencontrant le sourire doux de la morte. Ses yeux trempés rencontrèrent ceux, brillants, intenses, de Trinity. Comment pouvait-elle rayonner si on l'avait privée de son soleil ? Elle entrouvrit la bouche, mais étant incapable de parler. Il n'était pas temps de parler, seulement d'écouter. Ses yeux refusaient de lâcher la silhouette luminescente de Trinity, qui continuait.


La messagère ne put s'empêcher de sourire, par réflexe presque, à la vision d'elle toute ridée. Mais le message était bien plus important que ça. Finalement, ce n'était pas un adieu, mais seulement un au-revoir. C'était un rendez-vous, sans date ni lieu précis. Incapable de bouger ni même d'arrêter de pleurer, Fuurin hocha la tête. Les paroles de la louve ne rendait pas la situation moins douloureuse, mais au moins la messagère avait un petit, minuscule espoir de la revoir. Et si les dernières volontés de Trinity était qu'elle vive, et bien elle le ferait, même si cela lui semblait au delà de ses forces, même si elle n'avait qu'une seule envie, c'était de retrouver son amie maintenant pour enfin pouvoir la prendre dans ses pattes.

Puis, comme si les Dieux avait entendu leur accord, la lumière autour de Trinity changea peu à peu. L'écharpe de Fuurin, rouge vive avec ses grelots, apparue autour du cou de la bicolore, répandant un carillon apaisant dans l'air. Les yeux des deux louves se croisèrent, et la messagère sut que c'était terminé. Elle ouvrit la gueule comme pour hurler, paniquée à l'idée de perdre une deuxième fois son amie, mais aucun son n'en sorti. Elle resta figée, incapable de faire le moindre mouvement, alors que l'illusion de Trinity s'effaçait dans un tourbillon de lumière douce et de carillon. Puis, il ne resta plus rien, plus rien d'autre que la brise dans les poils de Fuurin. Elle s'écroula.