-Odine-

La silhouette rassurante de la louve immortelle parcourait les plantes mouvantes. Ces dernières s'écartaient sur son passage, malgré son statut de solitaire. La lune éclairait la scène d'une lumière blafarde, et le son des criquets et des crapauds emplissait l'air poisseux d'une vie moite et estivale. La mousse humide rafraichissait les coussinets de la louve alors qu'elle parcourait la jungle vivante, à la recherche d'une personne bien particulière. Elle l'avait cherché toute la journée, par intermittence, mais le campement était trop grand. Finalement, sa dernière chance était du côté de cet endroit, ou était enterré son guerrier Ragnar.

Enfin, Odine perçut en un souffle l'odeur de Verd. Elle eut un léger sourire : elle avait trouvé ce qu'elle cherchait. Elle avança de quelques mètres et aperçut la louve, assise au milieu des plantes. Elle la rejoint en quelques pas, respectant le silence ouaté de cette nuit si chaude. Verd était encore en deuil, et Odine respectait cela. Perdre un être aimé était une blessure immense qu'aucun pouvoir de guérison ne pouvait refermer. Elle s'assit à ses côtés après l'avoir salué d'un petit signe de tête, laissa le silence régner encore quelques minutes, puis prit la parole :

"Toute mes condoléances pour Ragnar."

Elle savait pertinemment que ces mots ne rassurerait pas la louve, loin de là. Mais c'était les formules d'usage, et son éducation lui dictait de commencer par cela. Pourtant, elle n'était pas venue en ces lieux si gorgés de désespoir pour seulement lui offrir ses condoléances, non. Sa voix resta calme, égale, et elle continua :

"Verd, j'ai quelque chose à te proposer."

Il y avait un vide. Verd se sentait horriblement creuse. Sa vie était bercé par le chagrin. La perte de l'être aimé était tellement forte, que parfois, Verd regrettait d'être encore là. La mort était plus douce qu'une telle douleur. Elle pleurait souvent. Ses yeux la brûlaient, abimé par les larmes qui ne s'arrêtaient que difficilement. Et si parfois son visage était sec, son coeur continuait de pleurer. La vie n'avait plus de sens sans Ragnar.

Dans le silence des plantes mouvantes, la louve était en train de se recueillir. Elle aimait toujours son compagnon. Etre ici, être au plus prêt de lui, était une douce douleur. Parfois, la louve se faisait violence pour quitter cet endroit et retourner auprès des vivants. Mais Verd avait l'impression de ne plus faire partie de ce monde. Voir le clan continuait de vivre alors que Ragnar la mettait dans une profonde colère. Ragnar était mort et personne ne pouvait rire dans ces circonstances !

Une louve finit par se rapprocher, Verd tourna la tête vers elle. La prêtresse n'avait pas la force de parler, par maintenant en tout cas. Ses yeux étaient éteint, son cœur abimé et les yeux humides. L'immortel finit par lui expliquer sa venue. Verd se fit violence pour répondre. Odine était une élue des Dieux et il fallait la respecter.

-Qu'est-ce que c'est ?

-Odine-

La louve aux cristaux tourna la tête vers elle, les yeux bouffis par le chagrin. Son museau était balafré, mais elle s'en tirait plutôt bien sur le plan physique. Seulement physique. Odine sentit son cœur se serre légèrement, par empathie, par habitude. Mais elle avait vu tellement de veuves dans sa vie que finalement, le malheur l'atteignait moins. Elle se protégeait naturellement. Verd avait une voix rauque, elle ne devait pas avoir parlé depuis longtemps.


Odine la regarda droit dans les yeux. Elle ne pouvait consoler Verd. Une douleur pareil ne partirai qu'avec le temps, et que si la louve en était capable. Mais peut-être que la proposition d'Odine l'aiderait. Elle tourna légèrement la tête, le regard d'instinct porté vers le camp, avant de répondre.

Je vais quitter la Source, repartir en Terres Solitaires pour un temps seulement. Tu peux m'accompagner, devenir ma disciple. Je peux faire de toi une des meilleures médecin du pays.

Elle fixa de nouveau ses yeux sur Verd, plongeant son regard dans celui étains de la veuve. Elle n'avait pas connu la petite de Gothic enfant, mais aujourd'hui, la louve aux émeraude l'intriguait. Elle n'aurait certainement pas fait cette proposition à n'importe qui. C'était malheureux, mais la perte de son loup, si jeune, pouvait en faire une des meilleure médecin du territoire, en plus de potentiellement l'aider à faire son deuil. Elle dit d'une voix plus faible, presque un chuchotement :

Il y a quelque chose en toi ....

Elle ne finit pas sa phrase, même si elle en connaissait la fin. Il y avait quelque chose en elle qui lui rappelait la louve qu'elle était, il y a bien longtemps. Celle qui, après avoir vu l'horreur de la querre, se tourna vers la médecine pour que plus jamais un autre loup n'eut à souffrir autant.. Mais le lui dire serait probablement une mauvaise idée. Elle "tait libre de ses choix. Verd n'était pas Odine. Aussi, cette dernière attendit patiemment la réponse de l’intéressée, en silence.

Verd resta un moment sans comprendre. Elle répéta à voix haute, ne sachant que faire :

-Être votre disciple... Moi ?

Le louve ne comprenait pas. Son cerveau était bloqué. Elle n'imaginait faire autre chose que de pleurer. Son avenir était mort en même temps que Ragnar. La druidesse ne savait pas quoi faire. Elle avait le cœur serrer, incapable de dire quelque chose. La proposition de l'immortel était flatteuse...

Verd secoua la tête, complétement désolée. Son cœur était trop abimé. Son esprit avait du mal à fonctionner. Elle ne ressentait que la douleur de la perte. C'était encore trop tôt pour imaginer de faire autre chose. Sa vie était en suspension, arrêtée à la mort de Ragnar. La louve ne sentait plus vraiment vivante, mais elle n'était pas morte.

-Je... Je ne peux pas.

Verd posa un regard complétement vide sur les plantes mouvantes... Ragnar était là. Elle lui avait promis de ne pas l'abandonner. Elle ne pouvait pas le laisser... C'était l'amour de sa vie, son compagnon, son sang. Consciente de l'absurdité de son raisonnement mais incapable de faire autrement, elle continua :

-Je ne peux pas l'abandonner... Je suis désolée...

Verd était incapable de dépasser la douleur. Sa vie était en suspension.

Spoiler:

-Odine-

La clanique resta quelques moments, abasourdie. Elle répéta les mot d'Odine, qui hocha la tête pour confirmer. Son expression ne changeait pas, la proposition de l'Immortelle n'allumait aucune flamme dans les yeux de Verd. Ou plutôt, la flamme du désespoir ne ternissait pas. Odine cligna des yeux.


Verd avait le regard dans le vide, cherchant peut-être du regard la silhouette de l'être perdu. Il était trop tôt pour elle, trop tôt pour qu'elle considère continuer sa vie. Odine acquiesça lentement. Elle comprenait. Il lui fallait du temps, et uniquement du temps.

La louve était complètement immobile, le regard perdu dans le vide. Elle exsudait le malheur de sa perte, et Odine sentit son cœur se serrer fugacement. Elle chassa ce sentiment. La louve s'en sortirai. Le deuil serait long, certainement. Mais il se finirait un jour. Odine se leva, donnant un très léger coup de museau dans les poils de Verd, l'effleurant à peine, en guise de sympathie.

Je comprends. Ne sois pas désolée.

Elle fit demi-tour lentement, puis ajouta :

Si jamais un jour ma proposition te reviens en tête, n'hésite pas à me contacter. Ma proposition tiendra toujours.

Puis, elle s'en alla d'un pas lent, laissant la veuve pleurer tout son saoul son ancien compagnon. Si la mort avait souvent croisé la vie d'Odine, cela la rendait toujours triste lorsqu'elle venait se frotter son elle. La guerre avait fait tellement de morts qu'elle ne se sentait presque plus elle-même, comme si peu à peu le désespoir avait étouffé la pulsion de vie qu'elle représentait. C'est pourquoi elle quittait le clan de la Source, laissant derrière elle tout ce malheur. Elle n'était pas lâche, seulement lucide. Elle ne pouvait rien faire ni pour Verd, ni pour tous les autres. Elle ne pouvait ranimer les morts.

Verd resta assise, regardant seulement l'immortel s'en allait. Odine n'avait rien pu faire pour Ragnar. Le coeur de la louve se serra à lui faire mal. La pretresse n'avait plus d'espoir dans les Dieux. Ils laissaient mourir les braves tout en laissant vivre les monstres. Les Dieux n'avaient même pas essayer, à croire que la vie des mortels ne comptaient guère. Tout n'était qu'un jeux pour eux. Alors même si Odine avait échoué, elle avait essayé. L'immortel compatissait, partageait la douleur et ne faisait pas comme les Dieux. Eux riaient sur les guerres et les tombes, sur la famine, le désespoir et la mort. Ils n'étaient que des monstres jouant avec les mortels.

Verd se laissa tomber au sol dans un sanglot. Le désespoir l'avait terrassé.