Deux mois, presque trois.

Le premier jour il était venu les lui prendre. Selon lui il était temps pour elles d'être mises sur le terrain, car ça facilitait l'apprentissage. Elle avait refusé, au début. Elle avait montré les dents, avait grogné, les avait prises sous ses pattes. Mais chassez le naturel et il revient au galop, elle n'avait réussi à les protéger plus que ça, et elle les avait regardé, désemparée, disparaitre au détour des couloirs.

Elle n'aurait jamais cru que cela lui ferai si mal. Cette peur affreuse, plus grande, plus oppressante, plus maladive que toutes les autres, l'écrasant de tout son poids. Tendue, angoissée, scrutant sans bouger l'horizon à travers la fenêtre de son antre. Une seule journée s'écoulait pourtant, quelques heures tout au plus, mais le temps pour la mère semblait arrêté. Elle attendait, emplie de crainte, le retour du ravisseur.

Et le ravisseur revint, mais il n'était pas avec elles. Il ne fallu qu'une fraction de secondes pour que la mère éplorée ne réagisse. Elle s'était ruée face à lui, hurlant. Où étaient elles?! Lui aussi était furieux et elle dut batailler pour qu'il lui explique. La première, éventrée. Et la mère sentit une douleur atroce dans l'abdomen. Il l'avait laissé se vider de son sang avant de s'en aller. Il avait laissé son petit corps allongé en territoire ennemi.

La seconde, disparue, probablement capturée. la louve noire et rouge avait défailli. Il était aisé de deviner qui était le parent de ses petites. Elle connaissait le Prédateur, l'alpha vert, il était perspicace, intelligent, il n'aurait eu aucun mal à faire le lien, et par son esprit pratique n'aurait pas tardé à l'exécuter, même si cela n'aurait pas été de gaieté de coeur.

La colère faisait bouillir le sang de la louve, qui s'était jetée en hurlant sur le grand mâle. Sans griffes, elle n'avait que ses crocs pour blesser, entailler. Elle se fichait de savoir qu'elle n'en avait pas le droit. elle avait même oublié qu'elle n'en avait pas le droit, une seule chose brouillait son esprit; la haine. Mais quand elle donnait un coup de crocs, il ripostait avec deux fois plus de forces. Le combat ne dura pas longtemps, il la mis au tapis aussi facilement qu'on chassait une mouche. Et, brisée, elle resta prostrée au sol, sans bouger, n'arrivant même plus à pleurer.


Le grand mâle était parti avec son escorte. Elle ne savait si elle l'avait imaginé ou entendu, mais quand il et passé devant elle, un grand rire avait raisonné.


Deux mois, presque trois.

La déchirure de perdre Emyel et Saël à l'aube de leur vie n'était rien comparée au vide qu'elle ressentait maintenant. Arkadius n'avait pas prononcé de noms, laquelle avait été capturée? laquelle éventrée? Imryu n'était plus rien. Elle avait placé toute sa force de vivre en la présence de ses enfants, se rendre utile pour ses filles était sa raison de vivre. Mais maintenant, de ses quatre enfants elle n'en avait plus aucun, alors elle vagabondait.

Autrefois excellente chasseuse, depuis son arrivée au chateau Imryu ne chassait plus beaucoup, et depuis deux mois, presque trois, elle ne chassait plus du tout. Kyu venait parfois, lui apportait quelque chose, mais elle n'y touchait pas, croquait à peine un morceau, n'entendait presque pas ce qu'il disait. Comme dans une bulle, un monde différent, enfermée dans ses propres pensées.

Sous alimentée, sans volonté, Imryu dépérissait, maigrissant, s'affaiblissant. Ne parlant plus, ne disant plus rien, n'ayant plus la force de faire quoi que ce soit, même pas de pleurer. Cette journée était comme les autres, Imryu marchait sans but, sans vraiment regarder où elle mettait les pattes. En maigrissant sa peau était devenue fine, et elle s'entaillait plus facilement contre les murs saillants qu'elle frôlait. Elle ne se rendit compte de où elle était que quand elle sentit un sol mou sous ses pattes. Des feuilles, de l'herbe, de la terre humide.

Il lui fallu du temps pour rassembler ses souvenirs, quelques mois plus tôt elle faisait découvrir la neige à Lydia, ici même. Ce jour là semblait si loin, dans une autre vie. Elle eut comme une sensation étrange. Ses pattes tremblaient peut être, elle n'était pas sûre. Mais soudain la terre se rapprocha, elle était tombée. ses os saillants n'avaient pas amorti la chute, mais Imryu n'émit aucun son. Son corps, comme emprisonné, se recroquevilla sur lui même, elle se sentit emplie de spasmes, et les larmes coulèrent d'elles mêmes. Après deux mois, presque trois, Imryu pleurait, sans vraiment s'en rendre compte. Elle pensait avoir depuis longtemps déjà écoulé le stock, mais elle pleurait.

Deux mois, presque trois, Deux vies, presque trois.

Elle vit Rahawk arriver, mais ne se rendait pas compte que c'était lui. Elle se laissa prendre, sans rien dire, sans rechigner, sans se débattre. Traitant au sol comme une feuille, de toute façon si légère qu'elle n'était pas vraiment difficile. Elle ne se demandait pas où elle était emmenée, elle ne voulait pas savoir, elle voulait être auprès de ses filles.

Lentement pendant le trajet, Imryu cessa de pleurer. Sanglotait à peine, tremblant toujours. La réalité était au second plan, elle ne se sentit même pas posée, jusqu'à ce que la surface tiède sous elle se révéla tendre et moelleuse. Lentement, comme si sa vue faisait la mise au point, elle vit à nouveau rahawk et se rendit compte cette fois que c'était lui. etrangement, elle était rassurée. Elle se savait en sécurité avec lui malgré les râles qu'elle commençait à percevoir. Malheureusement cela n'arrêtait pas ses tremblements et elle reniflait toujours. Il déposa un gros rat devant elle. Elle baissa la tête, le regardant, ne sachant pas quoi faire.


Il lui dit de manger, pourquoi faire? Il lui dit alors de venger Shaïlin, mais quel était l'intérêt d'une mission suicide? Il n'y avait qu'un loup à blâmer pour la mort de sa fille, et c'était son père, mais Imryu savait qu'elle était incapable de le battre, se dire qu'elle allait venger sa fille, c'était encore plus idiot. Rahawk croyait que Lydia était encore en vie. Imryu voulait y croire, elle savait que Lydia ferait tout son possible pour survivre, c'était comme ça qu'elle l'avait élevée. Mais la peur et les remords faisait dire à Imryu qu'ils l'avaient sans doute exécutés en prenant connaissance de la parenté de la jeune louvette... Imryu sentit ses yeux lui piquer à nouveau, elle hoqueta en reniflant pour ne pas pleurer. Mais Rahawk gronda, peut être pensait il toujours qu'elle pleurait.


Elle baissa les oreilles, reniflant. Puis elle s'essuya le visage d'un geste qui se voulait rageur, mais qui était certainement plus mou qu'autre chose. Elle baissa la truffe, reniflant le rat. Ca n'avait pas l'air bon, c'était sans doute rance ou malade, mais elle ne fit aucune moue de dégout, ne dit rien du tout. Elle ouvrit timidement la gueule, et arracha un bout de viande qu'elle mâcha sans entrain ni appétit. Elle l'avala, jeta un regard à Rahawk, et repris une bouchée. Ainsi, elle commença à manger.

Alors qu'elle avalait péniblement les derniers morceaux, il se releva, et elle le suivit du regard. Sous son ordre, elle se releva, et le suivit à travers les geôles. Elle ne disait rien, ne sachant quoi dire, mais elle se disait qu'il ne la tuerai de toute façon pas, bien qu'elle s'était déjà surprise à en rêver. De tous les loups ici, elle savait qu'elle pouvait faire confiance au Bourreau, et elle espérait qu'il savait ça.

Sans rahawk, ses enfants n'auraient probablement pas grandi comme ils l'étaient, peut être que l'éloignement et les enseignements que leur prodiguait le cavalier étaient suffisantes pour ne pas les mettre sur la même voie que leur mère. Et si Lydia était toujours en vie, alors Imryu savait que grâce à Rahawk, elle savait comment faire pour le rester. Rahawk voulait la remuscler, mais elle voulait plus. Elle se taisait cependant, continuant de suivre le cavalier.

Quand ils arrivèrent au lieu prévu, Imryu leva la tête et regarda partout autour d'elle. Finalement, elle planta ses yeux ambrés pour la première fois dans ceux du cavalier.


Puis elle baissa la tête, consciente qu'il ne fallait pas simplement lui réapprendre l'art du combat. Cependant elle réalisa vite qu'elle parlait trop vite, à un cavalier, en le tutoyant, sans once de respect.


Elle tourna l'oreille vers l'arrière, attendant anxieusement sa réponse, mais espérant qu'il accepte. Elle ne faisait plus confiance qu'à lui, même si Kyu tenait aussi une place pour elle. Mais Rahawk était fort, il était grand et cela se voyait sans pouvoir en douter qu'il savait se battre comme il le fallait. Peut-être qu'avec lui, elle pourrait déjà au moins se défendre un peu mieux.