-Okazeh-

La noble soupira. Elle avait l'impression de ne pas avoir été pleinement reposée depuis qu'elle avait appris sa grossesse. Ses hormones qui lui avaient joué des tours au début commençaient heureusement à se calmer, ou peut-être es maitrisaient-elle à présent mieux. Sa mère lui avait prodigué des conseils avisés, mais les journées continuaient à être longues, très longues. Les chaleurs devaient bientôt se terminer, et c'était une bonne chose. Elle pourrait enfin se reposer, et prendre soin de ce petit ventre qu'elle commençait à avoir.

Elle grimpa lourdement sur un rocher, à l'écart du camp, et s'affala dessus. Le soleil lui caressa agréablement les poils, les réchauffant. Elle ferma les yeux, profitant du bonheur d'être seule, au calme. Elle repensa à ces dernières semaines, une boule au ventre. C'était peut-être la seule grossesse qu'elle aurait jamais, et pour le moment elle n'avait pas le fameux "bonheur" des louves enceintes. Seulement des courbatures qui faisaient leur apparition le matin, alors qu'elle avait à peine pris quelques grammes. Et elle culpabilisait. Tout le monde était si heureux pour elle, ses parents, sa belle famille, Aslan, mais elle passait son temps à ronchonner.

Elle s'étira lentement, faisant craquer son dos en baillant. Elle se considérait l'éventualité d'une sieste pré-coucher, lorsqu'une voix bien familière lui fit ouvrir les yeux :

La noble se redressa, un sourire se dessinant irrésistiblement sur son visage. Le loup à la crinière noire en avait bavé ces derniers temps, et lorsqu'il ne se faisait pas réveiller par Okazeh en pleine nuit, ou sauter dessus au milieu de l'arène, il continuait d'aider la louve gestante tant qu'il le pouvait. La queue de la louve ailée se mit à battre lentement : qu'avait-il encore préparé ? Elle se leva, et bondit aux côtés d'Aslan, disant d'une voix bougonne :

"J'espère que ce n'est pas trop loin !"

Elle lui fit un petit clin d’œil pour l'assurer qu'il ne l'importait en fait peu de la distance. Tant qu'elle pouvait encore bouger, elle le suivrait. Elle avait confiance en ses talents de guide.

-Okazeh-

Okazeh était intriguée maintenant. Les oreilles en avant, elle lui emboita le pas en trottinant un peu. Elle se sentait toute joyeuse tout d'un coup, et son corps qui lui semblait si lourd auparavant ne se sentait presque plus. Ils marchèrent un peu, rejoignant la rivière de la roche à côté du clan. Aslan la guida vers un des seuls passage à sec, probablement pour ne pas avoir à se mouiller. C'est vrai qu'Okazeh n'avait vraiment pas envie de mouiller son poil tout juste réchauffé par le soleil si timide en hiver. Il s'arrêta, lui faisant signe de boire, aussi elle se pencha et trempa son museau dans l'eau glacée de la rivière. Finalement, ils arrivèrent près du tronc qui leur servait de pont, et le beta s'arrêta.


La noble le regarda d'un oeil curieux. Bien sûr qu'elle avait déjà vu les montagnes sous la neige, tout le clan les avaient déjà vu au loin, comme des sentinelles autour de leur ancien campement. Mais elle ne s'était jamais rapprochée car c'était le territoire du clan du feu. Elle pencha la tête, toujours intriguée.

Bah ... Oui, de loin !

-Okazeh-

La louve s'engagea à la suite d'Aslan sur le tronc d'arbre. Heureusement, elle n'avait pas encore beaucoup grossi, et avait gardé son équilibre. Ils se mirent à grimper, petit à petit, la montagne. Okazeh, toujours intriguée, le suivait avec entrain. Son énergie était revenue alors qu'elle ne pouvait s’empêcher de se demander : Allaient-ils monter toute la montage ? Elle regarda en haut, et aperçut le pic enneigé qui les surplombaient. Cela paraissait tellement haut ...

Finalement, ils atteignirent assez vite l'endroit enneigé. Le sol sous les pattes de la beta se fit plus humide, mais le froid ne l'atteignait pas. Le sport qu'ils étaient en train de faire l'empêchait de vraiment souffrir des basses températures, et couplé à son poil dense d'hiver, la protégeait même contre la neige. Un chemin semblait avoir été fait dans la neige. Était-ce un lieu connu des anciens Feux ? La trace était fraiche, et semblait n'avoir été faite que pas un seul loup, ou deux. Peut-être qu'Aslan y avait déjà amené quelqu'un plus tôt, Triss peut-être ...

Le vent s'intensifiait, sifflant dans les oreilles des deux loups, et peu à peu la fatigue commençait à se faire ressentir. Aslan se plaçait régulièrement aux côté de la louve pour la protéger du vent, et elle le gratifia d'une léchouille sur le museau pour le remercier. Okazeh voulait continuer, aussi essayait-elle de ne pas montrer de signe de fatigue? Néanmoins, elle serait bien heureuse lorsqu'ils arrivrèrent en haut.

Le bruit sifflant empêchait toute conversation, favorisant plutôt la pensée. Okazeh avait mis son corps en marche automatique, et son regard était régulièrement fixé vers son objectif. Le haut du pic était brillant, le soleil semblait encore le toucher de ses derniers rayons. Elle avait à la fois hâte d'y arriver, et envie que ce trajet dure pour toujours. Ses pensées divaguèrent, vers ses parents, vers Triss, vers ces petits en train de se créer ... Sauraient-ils qu'ils avaient déjà gravit une montagne avant même d'être nés ? Elle se sentait déjà fière de ses futurs enfants. Peut-être graviront-ils des montagnes eux aussi, qui sait.

-Okazeh-

La piste continuait, et le vent s'intensifiait. La beta avait replié ses ailes pour éviter qu'elles ne prennent pas le vent, mais elle était convaincue qu'avec cette force, si elle les étendait elle pourrait s'envoler et planer jusqu'en bas. Heureusement, le mâle continuait de la protéger du vent, et l'exercice empêchait son corps de se refroidir trop rapidement. Le bout de ses pattes commençaient à peine à s'engourdir, mais elle pouvait sentir qu'ils étaient presque arrivés. Aslan se tourna vers elle pour essayer de lui dire quelque chose, mais elle ne comprit pas tout :


La noble acquiesça sans vraiment avoir compris. De toute façon, elle ne comptait pas faire de pause avant d'être arrivée ! Le soleil commençait à se coucher, ses rayons froid touchaient l'horizon. Ils étaient dans l'ombre de la montagne, mais bientôt ils seraient en haut et le soleil pourrait réchauffer leurs pelages. Les deux betas continuaient leur périple dans la neige, sous le vent.

Soudain, la montée s'estompa peu à peu. Galvanisée par l'arrivée, Okazeh accéléra légèrement le pas. Après une petite poignée de minutes, le soleil resplendissant apparu. Ils n'étaient pas encore en haut, mais étaient passés à présent dans la partie encore ensoleillée. La louve ailée plissa les yeux, la lumière se réverbérant sur la neige vierge lui brulant un peu la rétine. Heureusement, le soleil était en train de se coucher, et l'intensité lumineuse n'était pas à son maximum.

Le haut de la montagne était juste devant eux à présent, mais Okazeh était un peu déboussolée par le soleil. Elle se contentait de suivre la queue d'Aslan, essayant d'habituer ses yeux bleus à la luminosité. Elle avait envie, très envie de regarder autour d'elle, pour voir jusqu’où ils étaient montés, mais elle ne le pouvait pas pour le moment. Et puis le mâle ne s'était toujours pas arrêtés, donc ils n'étaient pas tout à fait en haut. Elle ferma les yeux un instant, appréciant la chaleur qui commençait à caresser ses poils. Le paysage devait être magnifique.

-Okazeh-

Ils étaient enfin arrivés en haut de la montagne, Okazeh le sentait. Il n'y avait plus rien devant eux, plus aucune montée. Son cœur battait encore fort de l'effort qu'ils venaient de faire, mais sentir le vent mordant dans ses poils lui délivrait un délicieux sentiment de liberté. Ses yeux n'arrivaient toujours pas à s'accoutumer à la lumière autour d'elle, mais rien qu'entendre les bourrasque qui l'entourait, comme lorsqu'elle utilisait son pouvoir, et sentir la chaleur du soleil couchant l'emplissait de plénitude.

Okazeh fit encore quelques pas avant d'ouvrir progressivement les yeux. Elle apercevait la silhouette imposante d'Aslan devant elle, et elle le rejoint le temps de pouvoir ouvrir complètement ses paupières sans bruler sa rétine. Finalement, elle regarda autour d'elle, et ne put s’empêcher de sourire comme une enfant. Le monde s'étendait sous ses pattes comme un dessin, tout était petit, si petit ! Les montagnes autour d'elle, à contrario, étaient toujours aussi grandioses. La voix d'Aslan la tira de sa contemplation :



Okazeh baissa la tête pour regarder son clan, l'endroit ou elle habitait. En effet, le campement entier ne représentait qu'une tache, de taille ridicule face à l'ampleur de la nature autour d'eux. La beta sentit l'émotion lui monter à la gorge face au monde resplendissant que Dalnar avait créé, et elle dut retenir ses larmes pour ne pas pleurer. Elle qui savait se maîtrises habituellement avait du mal. Elle mettait ça sur le compte de la grossesse. Elle répondit au mâle d'une voix légèrement chevrotante :

"Oui ..."

Sa voix s'étouffa dans sa gorge. Elle se tourna vers Aslan. Le soleil se reflétait dans ses poils, et elle pouvait voir à présent pourquoi il avait du succès auprès des femelles. Sa longue chevelure battait son dos au rythme du vent, tout comme ses poils longs d'hiver. Okazeh sourit. Elle espérait que les petits qu'elle portait prendrait de sa force et de sa droiture, c'était pour ça qu'elle avait accepté de s'accoupler avec lui.

Elle se retourna une fois de plus vers le paysage. Ses pattes commençaient à souffrir du froid, mais elle ne pouvait quitter du regard ce qui l'entourait. Au loin elle pouvait reconnaitre leur ancien campement, celui des Airs. Elle pouvait reconnaître les chemins qu'elle avait emprunté gamine, ceux qu'elle avait parcouru adolescente, et ceux qu'elle utilisait aujourd'hui, comme une immense fresque représentant son histoire. Une nouvelle vague d'émotion la submergea lorsqu'elle réalisa que c'était ce spectacle qui devait attendre les loups qui volaient. Elle avait toujours regretté d'avoir des ailes trop courtes pour voler. Mais aujourd'hui, c'était comme si elle éprouvait l'ivresse du vol pour la première fois.

Soudain, elle sentit une douce chaleur fourmiller dans ses pattes. Elle regarda Aslan, qui avait laissé pendre sa langue hors de son grand sourire. Elle lui sourit également, pour le remercier silencieusement, puis reporta son attention devant elle. Le soleil se couchait lentement, laissant ses dernier rayons s'embraser dans le ciel de feu. Elle prit une grande inspiration, se gorgeant une fois de plus de l'air pu et glacial. Elle aurait voulu que ce moment dure pour toujours.

-Okazeh-

Toujours absorbée par le paysage, Okazeh fixait le ciel. Ses pensées étaient à présent complètement calmes, et le temps semblait s'être arrêté. Elle pensait à son futur, évidemment, mais aussi à son passé. La louve qu'elle avait été plus jeune, celle qui s'était battue pour devenir une guerrière aurait-elle été fière de celle qu'elle était devenue ? Devenir mère n'avais jamais été une évidence, mais plutôt un espoir, comme un murmure à l'arrière de sa tête à chaque chaleur. Et maintenant.... Elle ne sentait pas encore les petits bouger, mais cela viendrait. Elle pensa une énième fois à eux, et se promis de leur donner tout, tout ce qu'il y avait de meilleur en elle, tout ce qu'elle pouvait leur donner.

Soudain sous les yeux du couple le ciel s'embrasa. Le soleil rendait son dernier soupir, et son chant du cygne était tout ce qu'il y avait de plus beau. Les couleurs s'harmonisaient comme si les Dieux peignaient leurs pensées sur les nuages. Alors quelle ne pouvait quitter ses yeux du spectacle époustouflant que leur offrait la nature, elle sentit le mâle à ses côté enfouir sa tête dans les poils epais de son cou. Elle se crispa de surprise, puis se détendit. Si elle était habituée à un Aslan aux petits soins pour elle et ses futurs petits, ce genre de geste était surprenant... Mais agreable. Elle appuya sa tête contre celle du mâle et se laissa aller,le regard toujours perdu devant l'immensité de la montagne. Sa gorge se serra et elle sentit les larmes monter à ses yeux. Ce n'était pas la tristesse qui l'eprenait, mais plutot une catharsis. Ces derniers temps avaient été intenses, riches en événements, aussi bons que mauvais, et même si elle se pensait forte, Okazeh avait besoin d'extérioriser. Elle laissa donc les larmes couler sur ses joues sans les retenir. Elle avait confiance en Aslan, et elle se sentait si bien avec lui que ça aurait été une bêtise de briser ce moment silencieux pour se cacher.