-Doom-

Doom venait juste de terminer une petite chasse, qui l'avait laissé bredouille. Les proies étaient rapides, et il s'était laissé avoir : le mulot qu'il avait cherché à tuer s'était engouffré dans une crevasse du sol et il n'avait pas pu le déloger, la terre étant trop dur pour qu'il puisse creuser à la suite de l'animal. Il avait vite abandonné : de toute façon, les réserves étaient suffisantes pour le clan, les chasseurs de gros gibiers avaient reprit les chasses des troupeaux migrateurs et ils la nourriture suffisait pour tout le clan.

La faim avait poussé le chasseur à revenir au camp pour piocher dans la réserve et se remplir l'estomac. Cette réserve... Ha cette réserve ! Pour un ancien solitaire, la tanière où étaient entreposé les stocks de proies était une caverne aux merveilles. La première fois qu'il l'avait visitée, il avait failli en perdre la tête. Tant de nourriture, ça devait être illégal ! Mais non. Il s'y rendit d'un pas leste, son poil roux et luisant au soleil. Il avait bien reprit du poids depuis son arrivée au Désert, et avait même grossi. Lui qui était si maigre avait à présent une petite bedaine et même une couche de gras sur les épaules. Son corps, habitué pendant des années aux privations, avait continué à stocker tout ce qu'il mangeait. Mais peu lui importait tant qu'il mangeait à sa faim !

Il entra dans la tanière pour saisir une pièce de viande, mais n'arrivait pas à choisir. Du lièvre ? Ou un cuissot de biche ? Ha, que le choix était difficile ! Il salivait d'avance. Le choix était cornélien, et alors qu'il hésitait, un autre loup entra dans la tanière derrière lui.

Je vois que je ne suis pas le seul à vouloir prendre un goûter.

Doom lança un regard en coin au mâle, son instinct de protection de ses ressources le rendant soudain mécontent. Il savait que toute cette nourriture n'était pas qu'à lui, mais il avait du mal à s'y adapter. Il regarda le mâle se servir, serrant les crocs. Pas de grabuge, ou il perdrait tout. Il se décida avec sur un jeune lièvre, le saisissant de ses crocs avant de sortir avec son butin. Une fois dehors, il posa sa proie et répondit :

Il faut bien nourrir son loup !

Il commença à manger, un peu plus apaisé d'être sorti de la tanière. Il pu alors détailler un peu mieux le mâle qui lui avait adressé la parole : une couleur sable, des cheveux noirs, un regard effilé. Typiquement le genre de look qui faisait craquer les femelles du Désert. Ou bien les mâles. Il n'en savait rien. Il avala une nouvelle bouchée, sentant son ventre le remercier silencieusement.

Comment tu t'appelles ?

-Doom-

Erkan, je suis potier et toi ? Je t'avais jamais vu par ici.

Doom pouvait lui retourner la remarque, c'était bien la première fois qu'il voyait ce "potier" ici. Il reprit une bouchée, essayant instinctivement de finir sa bouffe le plus vite possible, bien qu'aucune menace e viendrait la lui piquer cette fois-ci. D'ailleurs, le seul autre loup était cet Erkan, et il avait l'air aussi affamé que lui, à voir les bouchées qu'il prenait. Doom renchérit, sans plus de politesse :

Moi c'est Doom, et j't'avais jamais vu non plus. C'est quoi "potier" ?

Les claniques avaient des habitudes étranges, et il semblait que ce "potier" était l'une d'elle. Le roux avait bien peu d'imagination, aussi ce nom ne lui évoquait rien du tout, et il n'avait pas tellement envie d'essayer d'imaginer quoi que ce soit. D'abord, manger, ensuite jouer.

-Doom-

Potier, c'est faire des gamelles en terre.

Doom s'arrêta de manger un instant. Des gamelles en terre ? Il pouffa, avant de réaliser qu'en effet, les claniques avaient ce genre de choses. Des sortes de contenants, bien pratiques pour transporter l'eau et les différents liquides, surtout aux plus faibles. Doom reprit son repas, plus tranquillement. Les claniques avaient vraiment cette manie de garder tous les loups, de soigner tout le monde, de nourrir tout le monde. Les faibles, les vieux, les blessés. Doom avait énormément de mal à comprendre, mais pourtant, il devait admettre que cela fonctionnait. C'était pas mal comme système, et il y participait magré tout en ramenant ses proies en trop.

Et toi Doom ?

Le roux avala sa dernière bouchée avant de se lécher les babines. Il sourit, repus, se sentant bien mieux après son bon repas. Lui ? Il nourrissait le clan finalement, c'était un peu grâce à lui que les deux loups mangeaient maintenant. Il avait envie d'une sieste à présent, mais ne se sentait pas assez en confiance pour se détendre assez. A la place, il se lécha la patte, un peu à la manière d'un chat, puis répondit d'une voix lascive :

Moi j'suis chasseur, de petites proies. Mais je suis pas là depuis très longtemps, j'étais solitaire avant alors je sais un peu tout faire, enfin pas des pots en terre !

Il rit légèrement, puis redevint sérieux en un instant, plantant ses yeux dans ceux d'Erkan :

Tu me montrerai une de tes gamelles ?

-Doom-

Une fois qu'il eut terminé, le beau mâle se mit à lécher consciencieusement ses pattes et sa gueule. Doom le regarda faire, un peu fasciné par les mouvements répétitifs d'Erkan, par son poil brillant et son air concentré. Il était vraiment bizarre lui, mais sympa. C'était un peu le seul à sembler apprécier Doom dans ce clan.

Si tu veux je pourrais t'en faire une pour ta propre tanière.

Le roux dressa les oreilles. En faire une pour sa tanière ? Pour quoi faire ? Il pencha la tête. Il n'était pas un loup civilisé, comparé à ceux d'ici. Lui, ce qu'il faisait c'était chasser, manger, dormir et c'est tout. Par contre il se demandait bien comment est-ce que le beau loup faisait pour les faire, ses pots. Pour lui, la terre c'était dur, parfois liquide, parfois sableux, mais jamais ... en forme de pot. Un fin sourire se dessina sur ses babines alors qu'il répondit :

Tu pourrais me montrer comment tu fais ?

Un éclat de curiosité perça dans les iris de l'ancien solitaire. Jamais dans sa longue vie il n'avait rencontré quelqu'un qui accepterait de lui montrer quoi que ce soit. C'était toujours de l'agressivité, de l'ignorance ou de la peur. Jamais amical. En même temps, Doom savait que la plupart du temps, il le cherchait. Mais il aimait ça, le conflit. Il aimait agacer, énerver, faire tourner en bourrique, pousser à bout. Enfin, sauf son petit frère. Lui il l'aimait bien tout court.

-Doom

Le lendemain matin, le loup roux s'était levé alors que le soleil était déjà bien levé. Erkan ne lui avait pas donné d'heure précise, alors le loup avait profité de sa nuit, dormant jusqu'à la fin de matinée. Doom n'était pas de ceux qui cherchaient vraiment à respecter ses promesses, au contraire, il détestait ce genre de contraintes. Mais cette fois-ci, c'était différent. Les paroles du loup à la crête résonnaient encore dans sa tête : il comptait sur lui.

Jamais personne n'avait compté sur lui pour quoi que ce soit, peut-être à part Héraku. Doom aurait voulu dire qu'il s'en fichait, qu'il était solitaire dans l'âme, mais il ne pouvait pas nier que ça lui faisait un peu plaisir. Mais juste un peu. Il trotta à travers le campement, demandant son chemin vers la tanière d'Erkan. Finalement, il arriva comme une fleur devant la tanière ou on lui avait dit que se trouvait le mâle, et l'appela :

Erkan ? T'es là ?

-Doom-

Une voix l'appela, l'invitant à entrer. Le roux s’exécuta, regardant autour de lui, un sourire enfantin sur ses babines. C'était la première fois que quelqu'un l'invitait ... Chez lui. C'était tout nouveau pour l'ancien solitaire, déjà d'avoir un "chez-lui", et que les autres aussi aient des "chez-eux". Alors, il profitait, sa curiosité enfin assouvit alors qu'il regardait partout. Des tas d'objets en terre, des petits trucs dont il ne connaissait pas l'utilité, un couchage ...

Tu arrives pile à temps, je vais commencer. Tout d'abord tu prends la terre appelée Argile, et tu la met ici.

La voix d'Erkan le tira de ses observations. Il s'approcha du loup, qui s'était installé devant une sorte de rondin de bois. Curieux, il s'assit, sa queue reptilienne battant lentement derrière lui. L'installation ne payait pas de mine, on avait presque l'impression qu'il venait de la récupérer dans les bois. Mais elle avait des marques de terres, des encoches signifiant qu'elle était probablement beaucoup utilisée. Doom regarda sans rien dire le mâle prendre cette "argile", de la terre marron sans aucune autre particularité selon Doom à part qu'elle brillait un peu plus. Puis, il trempa délicatement le bout de ses pattes dans l'eau, et lui expliqua :

Mouiller la terre évite de la casser, ça empêche le séchage et permet de la modeler comme tu veux par la suite. Est ce que tu as des questions avant que je commence ?

Doom tiqua. Alors c'était une sorte de boue ? Ca brillait plus avec de l'eau dessus, la texture avait l'air ... agréable. Il releva doucement le museau, plus calme, et demanda :

Je peux toucher ?

-Doom-

Le loup se mit à rire, avant d'accepter. La face du roux, les yeux à moitié couverts par ses cheveux bruns, s'illumina comme celle d'un louveteau. Il s'assit avant de tendre les pattes pour recueillir un peu de cette "argile" entre ses doigts serrés. C'était mouillé et froid, glissant aussi. Et surtout, très agréable ! Il la fit glisser entre ses doigts, en appuyant, mais la terre glissa entre ses pattes pour venir s'écraser en sol en tâchant ses pattes gantées de blanc. Zut.

L'argile est très douce tu vois, c'est très agréable et malléable contrairement à de la simple terre.

Doom ramassa sa terre au sol. Elle était un peu poussiéreuse, mais toujours mouillée. En attendant, Erkan maniait une corde qu'il passa autour d'un morceau de bois. Avec tout ça, Doom n'était pas beaucoup plus avancé : les pots, c'était dur, et ça contenait des choses. Là, c'était juste de la terre ! Il tendit l'argile vers son comparse avant de demander :

Mais comment ça se transforme en pot dur ?

-Doom-

Erkan eut l'air d'avoir terminé de s'occuper de la corde, et il lui répondit : il laissait simplement sécher les pots au soleil. Le roux pencha la tête, faisant tomber ses oreilles au poil ras sur le côté de son crâne. Juste en séchant, ça allait devenir dur ? C'était magique ? Ou bien, un peu à la manière de la boue qui en séchant faisait des croutes ? Sûrement plutôt ça, mais on ne savait jamais avec les claniques. En tout cas, Erkan semblait mener une belle vie : il travaillait meme pas en hiver, si ça c'était pas le pied !

Tu as compris comment on fait ? Aller vas y, j'ai commencé ce pot, je te laisse le terminer ! J'ai toute confiance en toi Doom.

Doom redressa la tête, une drôle d'expression sur le visage. S'il avait ou rougir, il l'aurait sûrement fait : le loup lui ... faisait confiance. C'était étrange, car on lui avait souvent dit qu'il n'était pas quelqu'un de confiance. Pourtant Erkan, par deux fois, lui avait accordé sa chance. Et pour la deuxième fois, Doom n'avait étrangement pas envie de le décevoir.

Alors, il s'avance avec précaution pour saisir la corde entre ses crocs. Il l'enroule autour de la pierre, comme Erkan lui avait montré, puis essaye de la tirer pour faire tourner le pot (67). Mais il l'a mal fixée, et elle dérape, venant bousculer le pot en terre, le déformant. Il relâche immédiatement la corde. Voilà, il a tout gâché, comme d'habitude. Les oreilles couchées, il ne dit rien. Pour une fois, il aurait aimé arriver à faire quelque chose de bien.

Doom sembla bien dubitatif quant au fait de simplement laisser sécher la terre argileuse. C'est vrai que pour une utilisation optimale, il faudrait en réalité faire chauffer chaque éléments, mais Erkan n'ayany aucun pouvoir lié au feu, il ne peut pas réellement chauffer les plats. Il pourrait aller à cette fameuse forgé ou trouver un loup avec un pouvoir de feu, mais s'il fait cela, alors ses plats en terre cuite dureront beaucoup plus longtemps et si ça dur dans le temps alors le clan aura moins besoin de lui. C'est un cercle vicieux que le mâle maintient pour ne pas se faire éjecter.

Donc il ne pouvait pas dire la vérité à Doom même s'il était son ami. Peut être un jour si jamais les deux amis entretiennent vraiment une longue relation. Pour le moment personne n'en était la. Alors Erkan se contentera de regarder son ami essayer de finir son œuvre.

Doom fit cela avec la plus grande des prudence, s'avança T doucement, prenant la corde délicatement, etc. Bien sûr que l'exercice n'était pas simple. Erkan le savait et il savait parfaitement que son ami ne pourrait pas réussir du premier coup à moins d'avoir grandi dans sa famille égyptienne. Mais peut importe, il voulait au moins lui montrer, lui apprendre, c'était la premiere fois que quelqu'un s'intéresse vraiment à lui et sa terre humide, alors autant en profiter un peu. L'apprenti du jour tira sur la corde, mais cette derniere mal fixée envoya tout valdinguer. Il coucha tout de suite ses oreilles comme si le sableux allait le gronder. Mais il n' en fit rien au contraire il rigola d'un ton léger.

Ce n'était pas grave du tout ! En plus la nouvelle forme du pot était plutôt originale, pas obligé d'être toujours parfait en tout point. Le mâle s'approcha de son ami, il lui plaça la corde sur le rondin correctement et avec son grand sourire, annonca :

- Aller vas y la c'est bon! C'est pas grave pour cette bosse c'est origi ale au moins personne pourra te le voler.

Il lui fit un clin d'œil malicieux et ce de plaça a nouveau pour le laisser travailler.

-Doom-

Erkan s'approcha, et Doom s'attendit à ce que le beau mâle le gronde pour son erreur. Il évita son regard, mais entendit un rire léger. Pas moqueur, non, juste ... Léger. Doom releva les yeux pour voir Erkan, détendu, reprendre la corde avant de la renouer autour du tour. Son pot avait à présent une drôle gueule, toute cassée, mais Erkan le rassura : ça lui donnait de l'originalité. Tout content, il se replaça, et offrit un grand sourire à Erkan. Il se sentait bien avec lui, presque pas bizarre comme il avait pu l'être avant. Alors, il continua son pot avec application jusqu'à ce qu'il soit terminé.