Cela faisait plusieurs semaines que je m'entrainais sans père, il avait délégué la tâche à l'un de ses subalternes, je ne méritais même plus sa présence. Au début j'avais tenté de faire en sorte que les séances soient moins ardues, je faisais valoir ma position au sein du clan et ma supériorité hiérarchique, mais ça ne fonctionnait pas, et j’écopais seulement d'une séance plus longue au rocher.

Je n'étais qu'une femelle, une chair ambulante dont mon père ne se préoccupait pas, simplement parce que j'étais femelle. Si, mon père se préoccupait de moi, dans la mesure où je ne devais être abîmée pour lui donner un héritier valable, mais le reste, il s'en fichait. Je n'étais que l'instrument de ses sombres dessins, j'avais toute ma vie chercher à voir la fierté dans son regard, comme le bout du tunnel, la lumière après une vie de ténèbres, mais jamais je ne la verrai, sauf le jour où je lui donnerait ce qu'il voulait, signifiant ainsi la fin de mon utilité pour lui. Je ne savais plus quoi penser, tout mon univers s'écroulait, un père qui ne m'appréciait guère et ne voyait en moi que la résolution de ses projets personnels, une mère qui préférait un déviant à sa fille saine, j'avais l'impression de n'être plus rien d'intéressant, un bout de chair qui marchait, sans famille, dont la destinée était déjà tracée bien avant la naissance. Je n'avais le droit de faire aucun choix concernant mon futur, pas même le loup que j'aimerai.


La journée était longue, j'avais mal partout, des difficultés à tenir sur mes pattes, c'était dur pour moi d'avancer, mais je ne devait pas montrer ma faiblesse. J'étais l'héritière des cavernes, je n'étais pas n'importe qui. L'entrainement avait été terriblement dur, horrible, je ne sentais plus mes pattes, j'avais l'impression d'avoir été déchirée de partout, pourtant à par quelques bleus, aucune séquelle n'était visible. Interdit d'abimer la pauvre fille du roi. J'avais pourtant l'impression que mes professeurs prenaient un malin plaisir à me faire souffrir, mais peut être que je psychotais.

Après une courte marche qui me sembla pourtant interminable, j'arrivais enfin, épuisée, devant la tanière. Je sautais mollement au dessus des racines, et une fois dans l'embrasure, je tendis ma patte pour avancer encore, mais je n'arrivais plus à marcher. Mollement, épuisée et éreintée, je m'effondrai à l'entrée. Levant les yeux, je voyais ma mère dans le fond, avec Edwin collé contre elle. Je n'arrivais même pas à dire un mot à l'égard de l'infirme, ma chute avait raisonné dans la caverne. J'avais si mal... un long gémissement sortit de ma gorge malgré moi, de toute façon je n'étais rien, personne ne viendrai m'aider, je devais me lever et continuer d'avancer.

Je rassemblais mes pattes contre moi et tentais de me relever, mais encore une fois, lamentablement, je m'affalais au sol. Néanmoins j'avais réussi à avancer d'environ cinq centimètres, si je répétais l'opération suffisamment, je serai assez proche de ma couche pour m'y trainer.

Alors que je tentais de me relever à nouveau, Mère se leva, laissant l'infirme seul dans son silence, elle se dirigea vers moi et je me figeai, perplexe. Pourquoi venait elle? Je la regardais les yeux plissés, puis me roulais sur moi même malgré la douleur que cela me procurais, je ne voulais pas d'aide! Etre aidé, c'était être faible, et je n'étais pas faible.

Néanmoins j'étais si fatiguée que je ne pu résister longtemps, sans un mot aucun, je me laissais lentement faire, me détendant, me relevant en me tenant contre elle. Mes pattes tremblaient comme celles d'un nouveau né, je respirais rapidement sous l'effort que cela me demandais. Ma couche n'était pas si loin, et pourtant il me fallu beaucoup de temps pour y arriver.

Finalement je sentis le sol sous mes pieds devenir mou, et je me laissais tomber en poussant un râle. Tâchant de trouver une position qui puisse me faire le moins de mal possible, je me tournais et me retournais, mais je ne pu pas faire grand chose. Finalement, à bout de souffle, je ne bougeais, les yeux fermés et la respiration rapide, sans porter une once d'attention à ma mère.

Après un moment de silence, j’ouvris les yeux et la regardais, puis je finis par murmurer, comme un souffle.


Parce qu'il était certain que sans elle, je serai encore en train de me trainer sur la roche. Je ne la quittais pas des yeux, tentant de comprendre pourquoi une mère qui ne m'aimait pas m'était venue en aide.

Elle retourna dans son coin au fond de la tanière, avec un Edwin qui la regardait sans rien dire, comme à son habitude. Elle sembla ramasser quelque chose, en silence. Finalement elle se dirigea vers moi à nouveau, je ne la quittais pas un instant des yeux.

Elle déposa devant moi des pétales de rose. Selon elle, cela m'aiderait à aller mieux. Comment de simple pétales pouvaient ils réduire ma douleur? je décidais de ne pas me poser plus de questions, je ne connaissais pas bien l'utilité médicale des plantes. Je me demandais pourquoi Mère en avait en réserve, sans doute pour l'infirme. Avoir une patte recroquevillée contre soi comme ça, ça ne devait pas faire de bien. Je m'en fichais de toute façon, je me fichais de ce que ressentait l'infirme.

Mère regarda vers lui, et sembla hésiter. Je fixais les pétales puis avançait doucement le museau pour les sniffer. Ils sentaient bon malgré le renfermé de la tanière. J'en pris un dans ma bouche et le mâchais lentement. Il n'avait pas de texture et était très léger. Je l'avalais et pris les deux autres avant de les avaler à leur tour.

Je déglutis pour les avaler, j'avais peut être des bouts coincé dans les crocs, mais j'étais fatiguée. Ma mère ne partait pas, elle laissait Edwin seul tout au fond de la tanière. Ce dernier s'était relevé mais ne bougeait pas du bout de sa tanière, il gardait son regard bas comme d'habitude, mais avait penché la tête. Je le regardais sans rien dire puis levais le regard vers Mère, perplexe. Edwin semblait vouloir rester contre Mère, pourquoi n'allait-elle donc pas vers lui.

En tout cas, ce dernier avait l'air de comprendre qu'il ne devait pas m'approcher, il restait debout e nous fixais, mère et moi, la tête penchée. Je soupirais d'agacement en posant la tête sur mes pattes douloureuses, je fronçais les sourcils, mauvaise idée. Ce geste avait déclenché en moi une vague de douleurs. J'espérais que les fleurs fassent bientôt effet.

Mère s'allongea, et ma perplexité s'amplifia. Elle me toucha, je me figeais, bandant mes muscles. Qu'était-ce! Qu'était elle en train de faire là? C'était quoi ça! C'était doux, agréable, mais j'ignorais ce que c'était, ça me faisait peur.

Mais alors l'autre s'approcha. Mes babines se retroussèrent, exhibant mes crocs alors qu'il s'approchait de plus en plus près. Un grondement surgit de mon poitrail. Je ne bougeais pas, le fixant du blanc de l'oeil avec mes oreilles rabattues contre mon crâne. Seulement Edwin continuait d'avancer, et s'allongea finalement de l'autre côté de Mère, je continuais de grogner, je ne supportais pas cet intrus. Il me volait tout et la seule chose qu'il ne m'avait pas volé serai volé par mon avenir.

Seulement mes grognement ne servaient à rien, après quelques instants, j'arrêtais lentement, toujours sur mes gardes. Je respirais fort avant de reposer ma tête lentement, fixant le mur en face. J'étais tendue, je ne savais pas ce que Mère était en train de faire, et savoir Edwin si proche de moi me mettais hors de moi. Si j'avais pu bouger sans douleur, ma queue se serait mise à taper furieusement contre le sol.

Je levais les yeux vers Mère, j'ignorais pourquoi elle m'infligeait ça, qu'avais-je fais? Était-elle seulement en colère et avait décidé de se défouler sur moi? ça m'étonnais moins que tout autre théorie, c'était ce qu'ils faisaient à l'entrainement. Mais je savais que Mère n'aimait pas père, il fallait pas être un génie pour le voir, surtout après ce que père lui a fait la dernière fois qu'elle s'est retrouvé si proche de moi. Je la regardais.

Je haussais les sourcils, je ne la croyais pas. Bien sûr que si ça avait de l'importance, si elle avait des fleurs pour la douleur, c'est qu'elle avait mal, et si père lui faisait du mal, alors elle aurait encore plus mal. C'était simple pourtant. En parlant des fleurs, je sentais lentement mes pattes s'alléger, la douleur diminuait bien qu'elle fusse encore présente. J'étirais une patte en baillant, ça faisait du bien de pouvoir bouger sans souffrir.

Maintenant que je n'avais plus mal, j'aurai pu me lever pour m'éloigner de Mère. Elle ne m'aimait pas, mais se tenait près de moi. Si je déduisais bien elle était sans doute masochiste. Elle ne bougeait pas alors que père risquait de lui faire du mal, elle ne bougeait pas alors qu'elle ne m'aimait pas. Seulement c'était la première fois d'aussi loin que je me souvienne qu'elle se tenait aussi près de moi, sa chaleur était douce, apaisante. Les yeux grands ouverts, fixant le plafond, j'ignorais quoi faire. J'étais perdue, rien n'était comme d'habitude.

Je me détendis, du moins j'essayais. Je laissais aller mon corps pour qu'il se relâche, j'étais si proche de Mère que ce fut contre elle que je me laissais aller. Je savais qu'elle n'était pas en grande forme, qu'elle avait du poids en trop. Mais je devais avouer que c'était fort agréable ainsi. Finalement, je soupirais avant de me détendre, décidant de laisser de côté le reste, Edwin était de l'autre côté, je ne le voyais pas, ça m'allait. Père n'était pas là et pouvait très bien ne pas venir, ça m'allait aussi. Je fermais les yeux, couchée contre le poil d'hiver épais et moelleux de Mère, et un sourire discret de dessina sur mon visage.

C'était si confortable, je me demandais pourquoi je n'avais jamais connu pareille chose avant, mais je me doutais bien de la réponse. C'était si doux et agréable, si chaud, si confortable. Mais maintenant il n'y avait pas de risque que ça entache mon efficacité à l'entrainement malgré les régulières remontrances de mes professeurs.


Seulement, j'entendis du mouvement, je levais la tête, Edwin s'était levé. Il contourna Mère et s'approchait de moi, je retroussais les babines, sans bouger. Mais il continuait à s'approcher, il ne semblait nullement préoccupé de mes menaces. Mon poil se gonfla, et alors il vint s'installer à côté de moi, me mettant en sandwich entre Mère et lui.



Je fis bouger mes pattes arrières pour essayer de le pousser mais j'avais visiblement encore trop mal pour les solliciter de cette manière. Edwin rampa un peu et se pressa contre mon flanc. Il n'a jamais été aussi proche de moi, nous faisions la même taille. Je le regardais le regard mauvais.


je levais mes yeux vers mère, sans même me rendre compte de comment je venais de l'appeler. Edwin était confortablement installé contre moi, et moi confortablement installé contre mère. Allait elle lui demander de partir? En tout cas, il ne semblait vraiment pas résolu à s'en aller. Je soupirai fortement, faisant voler les mèches devant mes yeux.

J'eus un rire nerveux. Lui? M'aimer? La bonne blague! Je ne l'aimais pas car il entachait la famille, je ne lui avait montré que haine, comment pouvait il m'aimer? Il devait être très idiot. Lui n'avait certainement aucun pouvoir, alors que je me transformais de mieux en mieux. Je pensais alors à parler de ça à Mère.


Ma queue se balança de droite à gauche, j'étais fière d'avoir un pouvoir comme mon père, l'oiseau était magnifique. J'étais encore brouillonne en vol, mais j’étais un rapace, c'était lourd de sens. Je me serai bien exécutée pour lui montrer. Je sentit Edwin s'affaisser un peu plus, je tournais la tête ver s lui le regard mauvais, grondant. Il me fixais moi et mère. Pourquoi ne parlait il pas? Pourquoi était il comme ça ? pourquoi était il toujours en vie?

Mère devait le protéger plus que tout pour que Père n'y touche pas, plus que moi. Moi elle me laissait à l'entrainement, ne s'occupait pas de moi quand je rentrais. Mon regard s'assombrit, Mère était bizarre aujourd'hui, mais il y avait énormément peu de chance qu'elle recommence demain. Je reposais ma tête au sol, tout mon enthousiasme venait de s'envoler.


Ça me faisait mal de m'avouer ça, je m'étais toute ma vie persuadée qu'au bout de longs efforts j'arriverai enfin à satisfaire mon père, mais mon petit monde s'était effondré et je venais d'abattre le dernier pilier. Je fondis en larmes d'un coup, tous mes efforts réduits à néant.

Avachie sur ma couche, et coincée sous Edwin qui avait posé sa tête sur moi, je regardais ma mère se lever lentement. Elle avait sourit au début, mais je n'avais clairement pas prévu qu'elle soit dans une colère telle. Une mère qui n'aimait pas son enfant ne se mettait pas en colère comme ça, peut être que je me trompais depuis le début? Ou alors était -elle simplement en colère de ne pas avoir été consultée, et au final le résultat serait le même, je serais vendue à un loup que je ne connaissais pas, comme chair fraiche, comme mule destinée à se reproduire.

Mère parla si bas que j'entendis très mal ce qu'elle disait, mais sa voix vibrait, elle était profonde, je ne l'avais jamais entendue comme ça. Je levais un sourcils, intrigué, alors qu'Edwin se mettait à gémir. Je soupirais en le regardant, quel boulet celui là!

Mon sang se glaça, Mère ne pouvait pas tuer Père, si elle tuait Père, que me resterait-il? Mère serait punie pour ça et le trône de mon père serait rudement disputé. Et je deviendrai quoi moi? Mon père, c'était ma figure de proue, il me délaissais mais je ne pouvais me résoudre à laisser tomber si vite ce qu'il représentait pour moi. Sur ma couche, je séchais honteusement mes larmes. Je n'avais pas le droit de pleurer, c'était pour les faibles et les incompétents, je n'étais ni l'un ni l'autre. Mère voulait tuer père, mais elle n'y arriverai pas. Je la fixais, attendant que sa colère passe, elle passerait forcément.

Mère ne bougeait pas, et je la fixait si intensément, tentant de faire abstraction d'Edwin, que quand elle eut un mouvement je sursautais. Contrairement à mes craintes, je n'eus pas mal aux pattes, je pourrai donc virer le boulet de la !!

Alors que j'allais le pousser de mes pattes, je m'immobilisais dans mon geste peu douloureux et je regardais mère les yeux grands ouverts. Quoii ?? Je devais aller crécher chez ce loup raté et indigne d'être le fils de mon père ? QUOIII ? Je devais prendre ce boulet avec moi ? C'était impensable ! Avec un alpha à côté de moi je ne pouvais plus espérer me débarrasser de lui, lui qui visiblement voulait toujours rester collée à moi.


Je n'eus pas le temps de terminer ma réponse, elle vint et posa sa langue sur ma truffe. Je la laissais faire, figée et perplexe. C'était quoi ça maintenant? Je la vis faire la même à Edwin et la queue de ce dernier se mit à battre. C'était donc gentil ? Ça n'avait donc aucun intérêt à part être gentil ?

Je la regardais partir, je ne comprenais pas. Mère n'avait jamais pris le soin de me donner un ordre, elle laissait à père le boulot. Que devais je faire ? Je devinait sans mal que je ne retournerai pas à l'entraînement si j'allais chez ce... Frère. C'était impensable, comment deviendrais-je la meilleure combattante si j'arrêtais l'entraînement ? D'un autre côté, ne plus voir ces faces de troll et ces faces de pets me procurait un réel plaisir.

De toute façon, mère avait donné un ordre, et j'y obeirais.