Amélia était assise, regardant la frontière au delà du fleuve. La louve était pensive. Elle était vieille et pourtant n'avait presque rien vu de ce monde. Elle ferma les yeux, humant l'air ambiant et les odeurs que lui apportaient le vent. Amélia n'était pas sereine, elle ne l'était plus depuis longtemps, mais il y avait de ces moments un peu hors du temps où elle pouvait se laisser rêver. Il y avait comme un parfum de liberté. Quelque chose de positif. Dans le silence, la louve eut un sourire sincère. Même dans la pire adversité, on pouvait trouver un moment de répit... Et Amélia devait en profiter.

Amélia était assise, les yeux fermés, juste attentive à ce que lui apportait le vent. Elle n'entendit pas Gaor arriver, mais que lorsqu'il commença à parler. La Oshur resta un instant sans bouger puis elle se retourna lentement. Son regard se posa sur son fils et lentement Amélia se mit à sourire. Ses yeux se remplirent de larmes. Elle était réellement heureuse de le revoir... Mais Gaor était dans un état terrible. Il avait tellement souffert.

Amélia s'avança vers lui, puis finit par poser sa tête contre l'épaule intacte de Gaor. La louve était douce. C'était son fils. La louve ne pouvait qu'être fière de lui. Il n'y avait presque pas de bruit, seulement celui du vent et de la rivière proche. Amélia répondit :

-Je suis contente de te voir.

D'un simple regard, elle vérifia qu'il n'y avait personne aux alentours. Elle savait que Gaor avait de lourdes charges, ajouter des conflits avec Yogrenn n'était pas une bonne idée. La louve prit le temps de regarder son fils. C'était un adulte responsable, mais elle ne pouvait s’empêcher de s'inquiéter pour lui. Il avait découvert ce qu'était la guerre. Et Amélia aurait aimé que ça ne soit pas le cas... Elle hésita puis se ravisa. La louve aurait voulu lui poser des questions sur la vie de Gaor, sur Mya. Mais c'était des sujets sensible et il ne valait peut-être mieux qu'elle ne sache pas.

GAOR

Sa mère se retourna lentement, comme si elle avait peur que tout ne soit qu'un rêve si elle se retournait trop vite. Une fois qu'elle fut sûre qu'il n'allait pas disparaître, son sourire s'étendit sur son visage. Il était aussi doux que dans ses souvenirs, mais dans ses yeux, il lisait une grande souffrance. En partant il avait éloigné le seul rempart entre sa mère et Yogrenn. En voyant dans son regard tout ce qu'elle avait enduré, il eut des remords. S'il n'était pas parti, Mya serait surement restée elle aussi, et il aurait été assez fort pour s'opposer à Yogrenn. Aujourd'hui, même si le Big Bad Wolf avait vieilli, il n'était plus en mesure de lui faire mordre la poussière. Il détourna le regard, honteux.

Il observa le fleuve un moment, il n'y avait pas un bruit. Peut-être un calme avant une tempête, mais les oiseaux chantaient, le silence n'était pas lourd. Le poids de la tête d'Amélia contre son épaule le fit sursauter. Il ne s'attendait pas à ça, Yogrenn avait toujours interdit ce genre de contact entre leur mère et eux.

Je suis contente de te voir.

Elle jeta un regard furtif autour d'eux. Il ressentit une bouffée de haine l'envahir pour son géniteur. Il n'avait plus le droit de rien lui imposer aujourd'hui. Il était adulte, alpha, il n'avait pas le droit de l'empêcher de voir Amélia.

Je ne le laisserait plus te faire du mal, je n'aurai jamais dû partir Maman...

Il y avait deux nouveaux petits de ce que lui avait dit Widys, Sygrid, sa petite soeur, suivait le chemin que Yogrenn aurait voulu le voir suivre. Mais elle ne s'imaginait probablement pas qu'il la marierai de force à la première brute venue et qu'il la ferait s'accoupler jusqu'à ce qu'il ait obtenu le mâle qu'il espérait tant. Il eut une grimace de dégout qui tordit les cicatrices de son visage. Et le deuxième avait survécu pour son malheur. Il s'étonna d'ailleurs qu'il ne soit pas avec leur mère.

Widys s'est installée avec moi. Nous te feront une place à toi et à mon frère et ma soeur. Je suis prêt à faire ce qu'il faut pour vous éloigner de lui.

Relâchant la tension qu'il avait maintenue à cause de l'ombre de son père, il attira la louve bleue contre lui et la serra fort contre son coeur. Il avait été heureux au clan de l'eau, et pendant ce temps, sa mère souffrait... Pendant ce temps, sa soeur errait seule, fuyant les assassins de Yogrenn...

Maman, j'étais heureux au clan de l'eau, j'avais mes enfants adoptifs, mon frère d'arme, un loup que je pouvais considérer comme un père. Je m'en veux tellement... Je vous ai oublié, toi et Mya. Puis Nansaa l'a retrouvée, et j'ai eu un neuveu et deux nièces à protéger. Je crois qu'un de ses fils est resté avec elle. Aux dernières nouvelles, elle était planquée à la Plage. Mais Nansaa ne l'a pas vue depuis que la source à annexé le territoire... Elle est débrouillarde, elle se sera sûrement cachée ailleurs, elle ne pouvait pas prendre le risque que Yogrenn la retrouve.

Gaor parlait comme s'il pouvait réellement faire quelque chose. Mais ce n'était pas le cas, la situation ne pourrait pas évoluer de toute façon. Le loup était dégouté par la situation, cela le rendait malheureux. Mais il n'y avait rien à faire. Il la serra fort contre lui. Amélia était heureuse de sentir sa chaleur, cela faisait tellement longtemps qu'elle avait besoin de faire un câlin à son fils.

Amélia était à la fois très heureuse de le voir, mais de la voir ainsi lui déchirait le coeur. Elle aurait aimé pouvoir lui prendre sa douleur. Qu'il puisse avoir une vie heureuse. Mais même avec les meilleurs sentiments du monde, Amélia ne pouvait être que devant le fait accomplis. Gaor rêvait de beaucoup de choses. Il était encore jeune.

-J'ai vraiment hâte de revoir Mya. Je sais qu'elle saura se débrouiller, comme toujours.

La louve aurait pu parler de Nepthys mais elle ne souhaitait pas aborder ce sujet pour le moment. Elle continua :

-Je suis fière de ce que tu es devenu. Tu es quelqu'un de bien Gaor.

Elle sourit. La louve avait beaucoup échoué dans sa vie. Amélia était malheureuse mais de voir que son fils était devenu quelqu'un de bien malgré tout ce qu'il avait parcouru lui réchauffait doucement le cœur. Il parlait de la protéger, mais Amélia savait ce qui arrivait aux loups qui avaient essayé de l'aider. Et malgré les apparences, la noble avait conscience des enjeux politiques du clan. Une guerre ouverte dans caverne et clan de l'eau n'était pas une bonne idée... Il y avait déjà eut suffisamment de mort. La louve ferma les yeux un instant, elle savait que pour Gaor cela allait être compliqué. Il faudrait continuer de l'aimer de loin. Ne rien dire, ne rien faire, rester dans le silence et lisser les autres vivre.

-Ce n'est pas à toi de me protéger. Les enfants n'ont pas à s'occuper de leur parent. Je suis contente que tu ais pu partir du clan, que tu es pu trouver des gens qui te rendent heureux au clan de l'eau. Tu n'as rien à regretter. Tu as bien agis.

Comment lui expliquer ? Comme faire pour qu'il puisse comprendre ? Gaor était un guerrier. Amélia agissait simplement pour limiter la casse. La révolte n'était pas une solution... Il n'y avait pas de solution.

-Je resterai auprès de Yogrenn. C'est ce qui est le plus raisonnable. Une guerre ouverte entre les cavernes et le clan de l'eau n'est pas acceptable pour le moment.

Elle soupira, pendant un instant elle pensa à Sygrid. Non pas sa fille, mais son amour de jeunesse. Elle était morte depuis longtemps... Pourtant elle l'aimait toujours.

-Il y a déjà eut beaucoup trop de sang versé... Et il faut que tu prenne soin de toi.

GAOR

Le géant sentait que sa mère était réticente. Il ne comprenait pas pourquoi. Quand il était enfant, malgré les rebuffades de Yogrenn, elle était toujours entièrement à lui quand elle lui faisait un calin. Il recula pour la regarder de son oeil valide. Elle avait plus vieilli qu'il ne l'avait admis en la voyant un peu plus tôt. Ses pattes, en partie abîmées par l'arthrose, croulaient sous la surcharge pondérale de la louve. Amélia se laissait aller. Pire que cela, un mauvais pressentiment lui donna l'impression qu'elle se laissait mourir. Une peur viscérale lui tordit le ventre à cette simple idée.

J'ai vraiment hâte de revoir Mya. Je sais qu'elle saura se débrouiller, comme toujours.

Elle sembla hésiter à dire quelque chose d'autre mais se ravisa. Gaor doutait qu'elle revoie un jour Mya. Son aversion pour les clans n'avaient fait que se renforcer avec le temps. Et avec la venue d'Akui, elle était sûrement partie se planquer hors du pays avec son dernier fils. Nansaa ne l'avait pas vue depuis que son fils avait eu un accident. Ils avaient dû se disputer à cause de Zelvect. Puis il avait décrété que plus personne ne devait sortir, pas même son frère d'armes.

Je suis fière de ce que tu es devenu. Tu es quelqu'un de bien Gaor.

Elle sourit mais son sourire ne monta pas dans ses yeux. Yogrenn avait réussi. Il avait brisé la louve bleue. Il ne restait de la mère qu'il avait connu qu'une coquille brisée. Gaor ne pouvait pas l'accepter, il l'aimait. Il l'a protègerait de lui, il ne le laisserai plus la frapper. Il trouverait un moyen diplômatique. Il était certain que Karara supportait encore moins le père que le fils, il pourrait négocier...

Ce n'est pas à toi de me protéger. Les enfants n'ont pas à s'occuper de leur parent. Je suis contente que tu ais pu partir du clan, que tu es pu trouver des gens qui te rendent heureux au clan de l'eau. Tu n'as rien à regretter. Tu as bien agis.

Oui mais à quel prix? Sa patte, sa queue, son oeil, tout ça ce n'était rien. En partant, il avait laissé sa mère et sa soeur à la merci du Big Bad Wolf. Mya avait fui, et de ce qu'il savait, s'en était plutôt bien sortie. Mais sa mère avait donc subi le double de violences. Combien de fois son père l'avait-il violée pour enfin obtenir une autre descendance? Combien de fois avait elle pris des drogues pour perdre ses portées?

Je resterai auprès de Yogrenn. C'est ce qui est le plus raisonnable. Une guerre ouverte entre les cavernes et le clan de l'eau n'est pas acceptable pour le moment.

Une guerre? Il n'avait pas besoin d'une guerre pour sauver sa mère, juste de faire tomber la tête de Yogrenn. Mais aujourd'hui, il n'avait plus le corps qui le lui aurait permi. S'il était resté au clan, il aurait pu le défier un ou deux ans plus tôt, il l'aurait vaincu, probablement. Mais il était trop tard... Il trouverait quelqu'un. Il y avait bien un Oshur assez fort ou un Ytens assez ambitieux? Non un Oshur, les Ytens n'accepteraient jamais... Un hybride peut être... Il risquait de déclancher une nouvelle guerre entre les familles, et les Ytens gagneraient dans le sang. Amélia serait dévastée.

Il y a déjà eut beaucoup trop de sang versé... Et il faut que tu prenne soin de toi.

Il cracha par terre. Il avait assez pris soin de lui pendant les années qui avaient précédé sa prise de pouvoir au clan de l'eau. Il trouverait une solution. Il savait que Yogrenn était loin d'être aimé.

Je te sortirai de là Maman, je te le promet. Je trouverai une solution. En attendant, prends soin de toi et de mon petit frère et de ma petite soeur.

Amélia était affaiblie. Elle prit le temps de respirer. C'était elle la vielle mais son fils était gravement blessé... Elle aurait dû faire plus, faire autre chose. Mais Amélia était fatiguée de tout ça. La louve avait finit par atteindre son point de rupture.

Gaor finit par cracher au sol, laissant apparaître sa colère. Il ressemblait à sa mère quand elle était plus jeune. Amélia recula et ne regarda le vide, évitant les yeux de son fils. Elle prit une longue respiration puis finit par regarder Gaor. Elle commença par sourire puis son visage finit par se tordre. Elle grimaça et posa son regard sur le sol. La louve s'était mise à pleurer, elle finit par répondre lentement :

-C'est trop tard.

Elle repensa à sa dernière portée. Elle était incapable de s'en occuper correctement... Amélia était trop vieille et trop désespérée pour y arriver.

GAOR

Sur le visage de sa mère, plusieurs émotions se succédèrent. Fierté, amour, honte, mélancolie, tristesse et regrets. Les larmes se mirent à couler sur ses joues et le coeur du géant se serra. En à peine un peu plus de deux ans, son père avait réussi à détruire la louve qu'il avait connue. Mais il savait qu'elle était au fond, toujours plus forte que ça.

C'est trop tard.

Le géant redressa la tête. Le regard de son oeil unique était brûlant. Il n'abandonnerai pas, pas maintenant qu'ils s'étaient retrouvés.

Je ne l'accepterai pas.

S'approchant de la petite forme qu'était sa mère, il la serra avec force contre lui. Puis il retourna vers le camp, il avait du travail s'il voulait pouvoir la protéger, elle, son petit frère et sa petite soeur. Il se tourna une dernière fois vers elle.

Je t'aime maman, je ne le laisserai pas te détruire.

Il repris sa route de sa démarche boitillante.

Amélia ne bougea pas. Elle ne quitta pas des yeux Gaor. La louve était partagé, le voir dans cet état lui faisait mal mais elle ressentait aussi de la fierté. Il continuait de se battre, malgré tout ce qui avait pu lui arriver. Amélia se mua dans le silence. Elle n'était plus comme lui... Se battre toute une vie c'était trop long. Perdre tout ses proches c'était trop difficile.

Gaor disait qu'il pouvait la sauver. Mais ce n'était pas ce dont la louve avait besoin. Amélia voulait juste que tout s'arrête. Elle avait trop perdu... Et trop vécu pour les autres. Si elle ne servait plus de symbole aux cavernes, si elle n'était plus le défouloir de Yogrenn, que restait-il ? Une mère qui n'avait pas pu protéger ses enfants.

Amélia prit une grande respiration. Elle devait cesser de réfléchir... Après tout, la louve devait juste vivre.