- Foret des lys de feux-

Irwell

Le loup blanc aux longs cheveux marchait dans l'ombre. Entre les arbres, en ce début de journée, il ne pouvait être plus voyant, avec son pelage de neige. Voilà quelques temps, déjà, qu'il avait rejoint le clan du Désert, sur ces terres peuplée de loups dont les qualités étaient dans la maîtrise des éléments naturels. Au début, il s'était senti très à l'écart, après tout, il n'était pas un loup comme eux. Certains jouissaient d'une longue ascendance, d'une fierté sur leur pureté de race que le blanc n'avait d'abord pas réussi à comprendre. D'où il venait, il n'y avait que des loups, mais là, il avait découvert de nombreuses bêtes canines différentes. C'était fort étrange.

Il se coula entre deux larges troncs puis s'assit un instant, dans la tranquille ombre des larges branches de la plante. Les feuilles des arbres étaient passés du vert d'été aux teintes brunes, ocres et jaunes de leur décès. Et plus l'automne avançait, plus les feuilles chutaient, créant un épais matelas de cadavres de plantes sur le sol de la forêt.

Il se sentait si négatif, à utiliser de tels mots, mais c'était les seuls qui lui venaient.
Il ferma un instant les yeux, et respira profondément. Les odeurs de la forêt s’engouffrèrent dans ses narines. Le parfum frais de l'hiver, qui avançait discrètement, gelant tout sur son passage, les odeurs douces de la terre mélangé à celle de la décomposition des feuilles, plus sucrée et douce.
Des choses bien étranges se déroulaient dans le clan, et, médecin promu tout neuf, il avait du mal a suivre. Déjà, il avait intégré la majorité de la hiérarchie de son clan, mais malheureusement, les retentissements, et actes de chacun lui échappaient parfois. De plus, il se sentait parfois inférieur. Il n'était qu'un loup, d'autres avaient des allures de dragons, ou s'étaient proclamés purs race de l'Air ou du Feu... Tout n'était pas compréhensible, pour le blanc guérisseur.

Alors il resta un instant là, en silence, a contempler les Lys.
De si belles plantes, il ne savait si, dotés des capacités enchantantes qu'il avait vues mises à l'oeuvre lors de la tombée de la nuit, elles étaient capables de survivre au froid mordant de l'être hivernal. En tout cas il l'espérait.

Il regarda autour de lui. C'était étrange, tout de même, qu'il se retrouve seul dans ces lieux si silencieux. Peut être n'était ce qu'une impression ?

-Okazeh-

La noble ailée courait, les yeux écarquillés et le souffle court. Elle bondissait entre les troncs et les lys, zigzaguant pour tenter de semer son poursuivant. Derrière elle, un immense cerf, mâle furieux dans toute sa splendeur, galopait à toute allure. Okazeh serra les dents. Elle pris un virage serré derrière un tronc, un peu trop serré : elle percuta violemment un lys de feu et se retrouvé couverte de pollen. Le cerf se rapprochait derrière elle, elle entendait son souffle rauque au milieu des bruits de sabots frappant le sol. L'ailée ignora les cris de protestation de son corps, et bondit par dessus le cadavre de lys qui pendait à présent tristement au sol pour continuer sa course, le cerf toujours collé à ses pattes;
Merde merde merde.

La journée avait pourtant plutôt bien commencé. Elle s'était levée et avait décidé de partir en chasse pour s'échauffer dans le froid du petit matin. La forêt des lys de feu serait aujourd'hui son territoire, avait-elle décidé. Elle avait pisté de vieilles traces, mais était restée bredouille : les proies se faisaient de plus en plus rares à l'approche de l'hiver. Soudain, une tache marron avait éveillé son attention : un petit lapin se réchauffait au soleil, cherchant quelques brins d'herbe sous les feuilles mortes. Elle l'avait pris en chasse, il lui avait échappé. Ne voulant pas avoir à traquer encore pendant une heure, elle l'avait suivi dans la forêt. Absorbée par sa proie, elle n'avait pas remarqué les autres odeurs qui se faisaient de plus en plus fortes, et au détour d'un arbre, était tombée en plein milieu d'une clairière. S'y tenait une poignée de biches géantes et au centre, un immense mâle, en pleine période de rut. L'arrivée de la louve créa la panique chez les animaux, et le cerf, dans un réflexe de survie, chargea la louve et lui donna un grand coup de ses bois. Okazeh avait voltigé à travers les branches, et à peine avait elle eut le temps de se relever que déjà l'animal la poursuivait. Elle avait pris la fuite, espérant qu'il se lasserait.

Okazeh sentait ses muscles s'engourdir. Son flanc ruisselait de sang à l'endroit ou le cerf l'avait frappé. Ce n'était pas une blessure profonde, mais elle était restée ouverte longtemps, et elle commençait à perdre beaucoup de sang. Il fallait absolument qu'elle arrête ce cerf. Elle huma l'air, sentant vaguement l'odeur d'un de ses congénères. Y avait-il quelqu'un d'autre ? Elle n'avait pas le temps de s'en préoccuper. Elle venait d'avoir une idée.

La louve repéra un rocher devant elle. Elle bondit au-dessus, mais bifurqua immédiatement derrière, faisant un demi tour. Le cerf la suivit, avec un léger temps de retard, ce qui lui laissa le temps de se placer derrière l'animal. Ce dernier se retourna, toujours aussi furieux et agressif, et prêt à repartir de plus belle. Okazeh se campa sur ses deux pattes, et activa son pouvoir. Une grande tornade se créa tout autour d'elle. Elle n'avait pas choisi son coin au hasard : le sol était recouvert d'une confortable couche de feuilles mortes, certaines immense. Toutes furent violemment projetées dans les airs, créant une sorte d'immense créature de feuilles mouvantes autour de la louve. Le cerf eut un réflexe de recul face à la pseudo-créature inconnue, puis fit demi tour et s'enfuit dans la forêt. Il devait être loin de son territoire lui aussi, et la tornade avait été la goutte d'eau : il avait abandonné la poursuite.

Okazeh maintint le vent autour d'elle quelques secondes avant de s'écrouler au sol. Les feuilles retombèrent tout autour d'elle et sur son corps en une danse silencieuse et paisible. Elle lâcha un gémissement : tout ses muscles lui faisait mal, ainsi que son flanc droit qui dégoulinait encore de son sang, et son dos à cause de sa chute. Elle avait utilisé toute son énergie restante pour créer la tornade, et était exténuée. Elle n'avait qu'une seule envie : fermer les yeux et dormir. Mais elle ne voulait pas être une proie pour d'éventuels disciples d'Akui.

Irwell

Il contemplait la lys, mais soudain, des bruits de course le tirèrent de son observation silencieuse. Le blanc redressa ses oreilles, pivotant la tête, en cherchant l’origine de ces bruits de pattes et de sabots. Un loup, et un gros animal, probablement cervidé, d’après le timbre des pas. Le blanc leva la tête, en appelant son corbeau puis s’élança, regardant partout autour de lui. D’où venaient ces bruits ? Ses cheveux blancs en longue queue de cheval flottaient dans son dos, alors qu’il tournait la tête, bondissant par-dessus un buisson par là, se glissant sous une branche basse par ici. Mais où était le loup ? Le loup poursuivait-il la proie ? Ou le loup était-il en danger ? Irwell n’arrivait pas à savoir avec juste les bruits des pas à l’appui. Il se pris une mèche dans une branche et tira d’un coup de tête, levant le museau pour humer l’air. L’odeur de cervidé en rut lui parvenait sur la fine brise qui réussissait à couler entre les gros troncs d’arbres, et il coucha ses oreilles.

Hypothèque loup qui va se faire empaler venait de se confirmer, avec le léger fumet de rouille sanguine dans l’air. Le blanc grogna un coup et s’élança vers le bruit. Il courrait après une course, c’était ironique, mais important. Son côté galant le pressait. Quelqu’un st en danger, bouge son derrière, va l’aider !
Flèche blanche qui passait entre les arbres, il déboucha soudain sur un espace un peu moins renfermé, jonché de pierres. Et devant lui, un cerf disparaissait entre les arbres, mais entre lui et la bête, une tornade de feuilles. Le blanc recula, surpris, puis les feuilles retombèrent, et parmi elles apparut une louve beige ailée, l’air fatiguée. Et Irwell devina qu’il devait là s’agir du pouvoir de la louve, probablement louve de l’air.

C’était fort poétique, cette louve beige, blanche et bleue qui apparaissait entre deux feuilles ocres son regard de saphir déviant un peu. Mais le tableau devint rapidement macabre, lorsque le regard du médecin tomba sur sa blessure teintée du même rouge que les feuilles d’automne.

Le loup blanc s’avança, espérant que son odeur de loup du même clan l’atteindrait, et qu’elle ne se croirait pas face à un inconnu non-bienvenu. La délicate louve (qui pourtant, pour avoir autant couru ne devait pas être si délicate que ça) s’était laissée tomber sur le sol. Le blanc s’approcha, et posa sa patte sur son épaule.

« Madame, est ce que vous m’entendez ? » demanda-il, inquiet, espérant qu’elle n’avait pas perdu conscience, ou qu’elle n’était pas fort sonnée.

« Je suis médecin, je vais m’occuper de vous ! » lui expliqua-il.
Il tourna la tête, et arracha le tissu noir qu’il avait habituellement autour de la queue pour s’en envelopper la patte, et compresser la plaie. Elle ne semblait pas être profonde, mais les mouvements de course de la louve de l’air avaient empêché la vasoconstriction des vaisseaux, et avaient prolongé un saignement qui, au repos, n’aurait pas duré plus de quelques secondes.

« C’est le cerf qui vous a attaqué ? » demanda-il, ses oreilles pointées vers la jolie louve.

En tout cas, il pouvait mettre à la poubelle sa galante fierté de mâle qui sauve les femelles en danger. La beige s’était très bien sauvée toute seule, mais peut être qu’il pourrait l’aider à panser sa plaie.

-Okazeh-

La louve ailée sentait son corps commencer à flancher. Elle ne devait pas fermer les yeux, sinon Dieu sait ce qu'il se passerait ! De plus, la période de chaleur avait commencé il y a une semaine pour elle, et elle était déjà la proie de loups maladroits ou peu scrupuleux. Alors qu'elle tentait de rassembler ses forces pour se relever, elle aperçut une ombre blanche s'approcher d'elle. Son cœur se mit à battre à toute allure, avant qu'elle ne reconnaisse l'odeur du clan du Desert sur le nouveau venu. C'était un mâle entièrement blanc qu'elle ne connaissait pas. Elle fronça les sourcils, toujours sur le qui-vive, lorsqu'il s'approcha et lui posa la patte sur son épaule. Elle grogna par réflexe, tentant de s'éloigner, mais le son se transforma vite en un petit gémissement alors que la réalité de ses blessures la ramenait sur terre. Son cœur battait toujours à tout rompre. Le loup n'avait pas l'air physiquement capable de forcer la louve, même dans son état actuel, mais qui sait ? Cependant, il avait l'air inquiet et se mit à parler :

Madame, est ce que vous m’entendez ? Je suis médecin, je vais m’occuper de vous !

Okazeh hocha la tête. Un médecin donc. Il ne lui semblait pas l'avoir déjà vu, et pourtant elle connaissait son clan plutôt bien. Elle se détendit légèrement : le loup blanc ne semblait vouloir que son bien. D'ailleurs, il détacha un morceau de tissu pour commencer à lui bander sa blessure. Elle se laissa faire en serrant les dents. Cette attaque de cerf l'avait bien amochée finalement.

La louve ailée ouvrit la bouche, puis toussa. Son dos la faisait toujours souffrir et l’empêchait de respirer correctement. Elle rit légèrement en imaginant ses parents devant la scène : Elle, noble descendante de blah blah blah, terrassée par une proie et incapable de se défendre. Elle tourna la tête vers le médecin, plongeant son regard dans celui azur du loup, et dit d'une voix enrouée par la course :

"Oui, j'ai dérangé son troupeau en chassant un lapin. Il m'en a voulu apparemment."

Elle sourit en baissant la tête vers son flanc, ou le médecin s'affairait toujours. La blessure arrêterait bien vite de saigner maintenant qu'elle ne courrait plus, et dans quelques minutes elle aurait assez de force pour rentrer au campement. L'entrainement devait avoir commencé à cette heure, et la guerrière allait se prendre une soufflante de sa cheffe d'armée si elle ne rentrait pas vite. Déjà que sa blessure allait faire grimacer ses parents ...

Elle tourna de nouveau son regard vers le médecin, et le détailla un peu plus. Sa longue chevelure blanche cascadait dans son dos, et il avait un drôle d'accessoire qui pendait autour de son cou. Okazeh n'en avait jamais vu de telle sorte : peut-être venait-il de plus loin ? Cela expliquerait pourquoi elle ne l'avait jamais vu ... Elle devait en savoir plus :

"Désolée de te le demander mais ... Quel est ton nom ?"

Irwell

Le loup blanc avait presque fini. La compression avait fait son boulot, et le sang avait stagné, il faudrait désinfecter tout cela avec un peu d’alcool, fait à partir de plantes, puis distillé pour avoir une haute concentration d’éthanol. Il pencha un peu la tête, écoutant cette patiente inattendue lui expliquer ce qu’il lui était arrivé. C’était bien embêtant tout cela. Chasser un lapin pour se faire attaquer par un cerf. Inattendu et embêtant.

Il pansa finalement la plaie, lui faisant un bandage qui tiendrait la compression en place le temps qu’elle se repose.
« Hmm, j’ai vu ça » dit-il avec un léger sourire pour montrer que c'était une remarque amusée, et non moqueuse. Car effectivement, ce cerf n’avait pas eu l’air d’être très commode à la poursuivre tête baissée. Il avait du avoir sacrément peur, ou être sacrément bourré de testostérone pour poursuivre une louve qui avait approché ses femelles aussi loin.
De toute évidence, la louve avait mal choisi son lieu et son jour de chasse.

Et soudain, la louve était passée au tutoiement. Irwell fut assez surpris, et mis à peu mal à l’aise par cette transition d’inconnu à connaissance amicale aussi rapide. Il s’éclaira la gorge, et agita ses oreilles, confus. Il comprenait bien qu’elle veuille connaître le nom de celui qui la soignait, au cas où il faisait une bêtise, et elle voulait lui reprocher, mais ce tutoiement l’avait pris de court.

« Je me nomme Irwell. » lui avoua-il, en lui jetant un coup d’œil. Elle était très sociable, mais surtout très demandeuse d’information à son sujet, quelque chose qui rendait le blanc mal à l’aise. En effet ,il aimait assez peu parler de lui, mais par contre, il était toujours prêt à écouter les autres se plaindre de leurs problèmes. C’était ça, pour lui, d’être un médecin. Un bon médecin. Et plus que ça, sa personnalité était ainsi, il aurait du mal à la changer, maintenant qu’elle s’était confortablement inventée à son adolescence.

« Ce n’est pas un souci » répondit-il à son excuse, avec un léger sourire, de nouveau, dans le but de la rassurer. Irwell souriait souvent pour les autres, il savait qu’un loup qui souriait était un loup rassurant. C’était rare qu’il sourit vraiment parce qu’il était très heureux. De toute manière, même quand il était très heureux, c’était pas forcément comme ça qu’il l’exprimait.

« Est-ce que vous vous sentez capable de vous redresser, Madame ? Il faudrait qu’on rentre au camp du Désert, pour que je puisse mieux m’occuper de votre blessure. »

-Okazeh-

La louve ailée examinait le médecin panser sa plaie. Il avait des gestes surs, et un regard rassurant. Elle se détendit complètement, se laissant faire. Le sol mouillé parsemé de feuilles mortes sous son flanc humidifiait son pelage, et maintenant que l'adrénaline était retombée, elle aurait très vite froid. Elle lâche un petit soupir en bougeant légèrement ses pattes. Elle tremblait à présent, conséquence de sa trop longue course. Elle laissa retomber doucement sa tête sur les feuilles et ferma les yeux un court instant, attendant la réponse du médecin.


Irwell donc. Elle ne l'avait jamais vu. Aussi, depuis que les entrainements avaient repris elle n'était pas passé à l’infirmerie. Elle releva la tête, constatant que le médecin était légèrement inconfortable. Elle avait dit quelque chose de mal ? Il la rassura en finissant son bandage, puis reprit :


Okazeh réfléchi. C'était un loup très poli, il affichait toujours un léger sourire rassurant comme une façade. Cependant, son calme était bien réel, ainsi que son professionnalisme. La noble se demanda quel âge il avait : il semblait jeune, mais avait un comportement posé.

Finalement, son esprit revint à la question du médecin : pouvait-elle se lever ? Elle regarda son corps allongé et sans forces, puis mobilisa sa volonté. Elle commença par rouler, se mettant sur le ventre. Elle sentit la peau de sa blessure tirer douloureusement, mais elle ne montra rien. Elle espéra silencieusement qu'elle ne s'était pas remise à saigner. Elle prit ensuite une inspiration, puis poussa sur ses pattes avant, puis arrière pour se relever. Ce fut laborieux, elle avait l'impression d'être une grand mère. Tous ses muscles lui faisait sentir qu'elle avait exagéré. Elle se tint en équilibre instable une seconde, puis essaya de faire un pas. Cependant, un de ses antérieur lâcha sous son poids, la laissant retomber dans un bruit amorti par les feuilles.

"Ouf !"

Elle se remit sur le ventre et regarda le médecin, un air désolé dans les yeux. Elle lui sourit pour lui montrer quelle allait bien néanmoins. Elle avait juste besoin d'un peu plus de repos.

"Désolée, j'ai beaucoup couru. Je vais y arriver."

Elle retenta la même manœuvre après avoir pris une grande inspiration, puis se leva. Cette fois ci, elle parti d'un pas lent, mais décidé, et son corps suivi. Elle état capable de marcher. Elle se tourna vers le médecin et lui sourit, sourire qui devait probablement être proche d'une grimace à cause de l'inconfort.