Les jugements des pros-Zal suspectés ou avérés se poursuivaient depuis plusieurs jours. Ça devait faire une semaine maintenant depuis la prise de pouvoir de Zal. Ah, Zal. Ce fumier était mort, quelle immense joie ! En plus, Idryss avait pu profiter de l'émeute pour tuer quelques pros-Zal avérés par le biais de sa dragonne. Hé hé, un bonus non négligeable à son bonheur. En tant que juge, elle devait se montrer le plus impartiale possible lors des jugements. Seulement, quand il s'agit de juger des pros-Zal avérés, c'était dur, très dur. C'était même arrivé qu'elle quitte l'audience d'elle-même ou qu'on l'en vire pour qu'elle se calme. Elle avait tendance à vouloir tous les expulser du pays à grand coup de patte dans l'arrière-train ou les tuer de diverses façons : notamment en les lâchant de très haut dans le ciel. Pour se calmer, elle pratiquait le vaudou. Idryss était assez effrayante ces temps-ci, souriant de façon morbide quand un verdict était la condamnation à mort. Il n'y en a pas beaucoup non plus dans ce cas, la plupart sont expulsés du pays, de l'autre côté des montagnes.
Les juges sont donc beaucoup sollicitées ces jours-ci. Les jugements sont étalés au fil des jours, pour prendre le temps.

Aujourd'hui, pas de jugement. C'était repos. Idryss sortit de sa tanière. Tanière qui lui appartenait depuis le départ, qu'elle avait repris au sein du campement. Elle bâilla en ouvrant grand la gueule, émettant même le bruit caractéristique allant avec. Ensuite, elle s'étira, son dos craqua, ça lui fit un bien fou. Elle se sentit tout de suite plus détendue. Elle partit se dégourdir les pattes et quitta le campement, arpentant la forêt des lys de feu.

L'atmosphère était bien meilleure depuis la mort de Zal. Tout le monde se détendait peu à peu. C'était encore frais, le clan n'était pas tout à fait revenu à la normale, comme avant, du temps d'Irène, mais c'était en cours. Il restait encore de la tension, surtout vis-à-vis des prisonniers libérés. Même s'ils n'étaient au final pas des pros-Zal, le fait qu'ils soient suspectés suffisait pour que le clan doute d'eux, pour l'instant. Tout reviendrait à la normale, bientôt.

Elle écouta le doux chant des oiseaux. Le printemps commençait tout doucement. La neige n'était plus présente. Les températures en après-midi étaient douces. Les arbres floraux ou fruitiers commençaient à avoir des bourgeons. Elle croisa un papillon et le regarda voler : le premier de la saison.

Idryss, je songeais justement à vous et à l’idée de venir vous voir.

Elle tourna la tête vers l'origine de la voix, devant elle. Il s'agissait d'Alsham, un médecin de son clan, qui se releva de sa légère révérence. Instinctivement, elle fit de même. Ça faisait un moment qu'elle ne l'avait pas vu. Elle ne connaissait pas vraiment le mâle. Elle ne l'avait vu que quelquefois, notamment quand il était un louveteau, une boule de poils mouvante en ce temps-là, littéralement. Puis du temps de Zal, elle l'avait croisé une poignée de fois à la rivière et ici. Elle l'avait déjà aidé à récupérer des ingrédients, ne sachant que faire de sa journée.

Je suis ravi de vous croisez, comment vous portez vous ?

Elle allait bien, globalement. Elle bâilla de nouveau. Elle était fatiguée de tous ces procès dont certains titillaient ses nerfs et son humeur colérique. Vivement que ce soit fini tout ça...

Bien. Les procès fatiguent, mais ça va.

Elle l'observa ensuite en silence. Il avait encore son poil d'hiver. Il ressemblait à une énorme peluche qui semblait toute douce. Son pelage dense le rendait très volumineux et par conséquent, donnait l’impression d'avoir un guerrier du Feu en face de soi. L'illusion était très bonne, avec ses dents de sabre qui rajoutaient un plus. Quiconque le croisait, pourrait penser qu'il est véritablement un guerrier. Un ours blanc parsemé de couleurs rougeâtres et noir. Il était beau et il aurait pu être son style de mâle. Seulement, il lui manquait un détail non négligeable : des cornes. Son mâle idéal a obligatoirement des cornes. Elle n'était jamais tombée amoureuse encore. Dire qu'elle en pinçait pour lui était faux. Elle le trouvait simplement beau. Dire que quelqu'un est beau, ce n'est qu'un avis.

Tu ramasses des ingrédients ? Demanda-t-elle en regardant la sacoche qu'il portait.

Elle n'employait pas le vouvoiement avec lui. Premièrement, parce qu'il est plus jeune que lui et que ça n'aurait aucun sens. Même s'il était noble, elle n'utiliserait pas le vous. Deuxièmement, parce qu'elle n'utilise le vouvoiement qu'avec les autres nobles, les non-Feux de son âge ou plus vieux le méritant, les Feux de son âge ou plus vieux qu'elle le méritant. Bref, elle le tutoyait, tout le temps et depuis leur première rencontre.

Tu peux me tutoyer. Ajouta-elle.

Alsham la vouvoyez toujours parce qu'elle était noble et qui plus est, une Démonia. Seulement, il n'en avait pas besoin. Elle aimait se faire vouvoyer par certaines personnes, notamment quand ça les faisait chier ou qu'elle se sentait supérieure, mais là, ce n'était pas la peine. Il y avait aussi le protocole social entre deux nobles...

Pensez tout de même à vous reposer.

Il n'était pas le seul à le lui dire. Rien que les juges entre elles se le disaient. Heureusement, elles avaient établi des groupes de jurys et un planning pour que les jugements tournent et ainsi, que les juges se relaient. Il était hors de question qu'un seul groupe soit établi et qu'il se tape tous les jugements. Ce serait intenable et éreintant. Bien que ça lui fait plaisir de juger des pros-Zal et ainsi, participer à la refonte du clan, il faut avouer que ça demande beaucoup de travail et d'analyses. Chaque cas a ses spécificités par rapport à un autre. Des actions diverses, des propos divers et des avis divers. Parmi ceux ayant déjà été jugé, il y avait bien entendu Najah et Noxic. Les deux Athéris n'avaient pas été renvoyé dans leur pays. Ils sont toujours au campement, sous d'étroites conditions concernant Najah. D'autres Athéris Viperae furent, quant à eux, renvoyer. Tout comme des loups du Feu qui furent chasser du clan, du pays, par-delà les montagnes. Une poignée, jugés bien trop dangereux, fut exécutée. Puis, il y a ceux qui sont toujours dans le clan et continue leur rang, ayant été jugé non coupable pour diverses raisons. C'était presque fini. Dans deux-trois jours.
Quand Idryss fit sa remarque vis-à-vis du tutoiement, Alsham lui répondit aussitôt, affichant un sourire :

Pardonnez-moi, mais je suis bien incapable de vous tutoyer… Je crois que l’habitude est trop ancrée en moi.

Ah oui, c'est vrai. Il se refusait à la tutoyer. Il n'y arrivait pas. À chaque fois, elle lui faisait cette remarque et à chaque fois, il lui répondait la même chose. Elle ne pût qu'accepter son refus, une fois de plus. Il faudrait vraiment qu'elle arrête de lui dire à chacune de leur rencontre. Entre-temps, elle oubliait toujours. Il faut dire qu'ils ne s'étaient vue qu'une poignée de fois. Maintenant qu'elle allait revivre pratiquement les moitiés de semaine au sein du campement, une fois les jugements réglés, ils se verront bien plus. De ce fait, elle s'en souviendra à l'avenir et évitera de lui faire derechef la remarque la prochaine fois. Une fois les jugements terminés, Idryss devra retrouver un rythme entre sa tanière au campement et le palais lumineux. Elle pouvait se tromper, mais Kelekt ne descendra peut-être pas au campement pour y vivre... Quoiqu'il en soit, elle n'échappera pas à la navette entre camp et lieu de culte, puisqu'elle faisait de nouveau partie du conseil et qu'elle reste juge.

Voudriez-vous m’aider à faire ma cueillette ? À moins que vous vouliez que l’on se promène un peu ?

Faire la cueillette. Cette activité était récurrente entre eux. Pratiquement à chaque fois qu'ils se voient, Idryss l'aidait à recueillir ses ingrédients. Une fois, Alsham était même venue à sa rencontre spécialement pour ça. En effet, il lui fallait un ingrédient se trouvant dans le désert. Idryss pouvant supporter sans mal la grande chaleur du lieu, et ayant un moyen de transport rapide, elle fut la personne idéale pour cette mission. Mission qu'elle avait accepté sans mal, Alsham lui offrant une occupation. Aider le médecin ne la dérangeait pas, au contraire, ça lui faisait une activité. Du temps de Zal, ses journées furent mornes. Alors quand elle croisait Alsham, elle sautait sur l'occasion pour l'aider à cueillir toutes sortes de choses. La juge cornue était fatiguée, mais elle sortait d'une longue sieste. Elle avait besoin de bouger. Elle fit quelques pas, observant les alentours. Le printemps pointait doucement le bout de sa truffe, bientôt, le pollen flottera dans la forêt.

Qu'est-ce qu'il te faut ?