Être espion amenait à risquer sa vie, certes. C'était un rôle important, mais dangereux et plutôt risqué. Il était, en somme, taillé pour un loup comme toi. Loin d'être bruyant, tu était en plus de cela attentif, et même ta constitution corporelle était, pour la plupart de cette-dernière, faîte pour cela. Ta taille fine, par exemple, n'était pas un avantage à négliger. Par contre, ce pelage vert vif était un lourd fardeau en hiver. Néanmoins, en été, il te permettait de bien te masquer dans l'herbe, et ça, c'était, en soi, plutôt pratique. Malgré tout ça, tu en avait souvent assez, entre les missions, de tenir ce même rôle. Tu marchait avec le bruit d'un pachyderme, et cela ne te gênait pas le moindre du monde. Après tout, ce n'était pas tous ces chasseurs et ces autres loups qui risquaient leur vie à chaque mission, à chaque souffle. Même si tu ne le disait pas ouvertement, tu ne pouvait que t'estimer fier de servir ta meute de cette façon. De toute manière, personne ne pouvait toujours être modeste, du moins, c'était quelque part ta façon de penser. Et donc, il y avait de ces jours ou tu était là, à ne rien faire toute l'après-midi. Alors, tu te baladais. Comme n'importe quelle personne normale.

Tu avais toujours quelque part, dans un coin de ta tête, peur de sortir seul, car si jamais tu te retrouvait piégé, qui sait ce qui pourrait arriver? Avec le danger qui courrait dans la forêt, passer la nuit seul était bien la dernière chose que tu penserait à faire. Autant rester en nombre. Pas que tu ne savait pas te défendre, bien entendu, mais on va dire que tu n'es pas vraiment taillé pour la bagarre. Alors, autant faire comme si tu était un petit louveteau et suivre des horaires plutôt strictes sur tes heures de sortie et d'entrée. Ouai, c'était un peu débile pour un mâle adulte, maaaaais tu n'es pas vraiment de ces bourrins qui savent envoyer des patates à t'en décrocher la mâchoire en un claquement de pattes. Alors, autant faire semblant que tu t'ennui dans la vie, que t'es fatigué, de toute manière, tout le monde te croira. Le pire, c'est qu'avec ta tête, c'est dur de passer inaperçu. Donc, 'faut juste que tu fasses gaffe lors de tes excursions. Ce ne serait pas spécialement une bonne chose que de se faire attaquer parce que tu porte presque un panneau fluorescent sur la gueule.

Tu avais choisis les Chutes Magistrales. Etant petit, tu n'avait jamais approché cet endroit. Tu réalisait que, oui, tu y était bien allé une ou deux fois, mais que tu ne connaissait pas du tout ce lieu. Tu savais que certains loups aimaient y venir irrégulièrement, mais toi, c'était bien différent. Le bruit de l'eau se jetant lourdement dans le lac te titillait les oreilles. De plus, l'altitude était assez impressionnante, et tu n'aimait pas vraiment te mouiller les pattes. Non, monsieur n'est pas une diva, pourquoi vous dîtes ça? Bref, en somme, l'endroit t'intéressait pas mal, maintenant que tu te rendait compte que tu ne le connaissait pas si bien que ça. Tu n'avait aucun mal à te diriger vers ces fameuses cascades, car, en plus du bruit quand on s'y approcher un tant soit peu, il y avait cette certaine odeur, plutôt indescriptible, qui se dégageait de ces chutes portant si bien leur nom. Alors, c'était un endroit nettement simple à trouver, et puis, ça avait le mérite d'être joli, pour la plupart des gens. En effet, tu avait entendu, outre le danger, que ce n'était pas si laid, cet étrange phénomène. Et puis, de ta propre expérience, tu l'avait bien appris.

En avançant sans ménager le bruit de tes pas, tes pattes se dérobèrent sous ton poids, et tu t'écroula dans un grognement rageur. Le bruit du poids sur le sol avait du faire un carnage. Ce que tu était stupide, parfois, perdu dans tes pensés ! Il ne fallait pas tant t'égarer. Ce que tu ne savait pas, en revanche, c'était que cette chute allait attirer bien plus qu'un mauvais bleu sur le ventre. Puisqu'en effet, tu vis un loup surpris par ton idiotie. Tu ne vit pas bien la scène, tu sais juste qu'il revint sur ses pattes en sécurité grâce à quelques "habiles" mouvements. Horriblement honteux, tu sortit des buissons en vitesse, comme un coupable ne pouvant pas supporter le poids de son acte, et puis, aussi, ça t'aiderait à voir si ce loup allait bien ou pas. Ce qui était déjà plutôt utile. Tu rougissait de honte, ne pouvant pas croire que tu avait faillit le tuer. Il te regardait d'un air agressif. C'était un loup de ton clan, au joli pelage vert pâle.

Ne voulant surtout pas défier son regard, tu te concentra sur des brins d'herbes se dandinant joyeusement devant toi. Sans mot, tu savait que tu avait besoin de t'excuser, de t'expliquer ou quelque chose du genre.

« D-Désolé, je... Je ne voulais pas faire peur... C'est que, je suis tombé, et...

Minable. Comme tes pattes semblaient intéressantes aujourd'hui.



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Tu lui jetais des regards à quelques secondes d'intervalle, de façon à surveiller son humeur tout en évitant de croiser son regard. Il arqua un sourcil. Aie. Tes oreilles se baissèrent un peu plus. Tu étais loin d'être confiant en ce moment-même. Peut-être ton boulot faisait-il que tu n'étais pas du genre à être très sociable. On va dire que ce n'est pas ton rôle de parler à tous ceux que tu croisais, après tout. Mais bon, lui, il était de ton clan. Et réussir à te brouiller avec ceux-là ne pouvait rien t'apporter de bon. Mais qu'est-ce qui t'avait pris d'être aussi idiot? Tu aurais dû mesurer tes pas, faire attention à l'endroit ou ton poids devait basculer, à te dresser ou te baisser à chaque pas, à glisser habilement entre les herbes, comme c'était ton habitude, et surveiller la moindre brindille, le moindre galet susceptible d'entraîner une chute ! Tu te reprochais tout ce que tu n'avais pas fait; après tout, tu n'aurais jamais du te laisser aller. La perspective que tu avais failli tuer un camarade te revint en plein dans la figure. Tu te sentais réellement mal. Ton oreille remua lorsque le loup vert se posa au sol, beaucoup moins frustré qu'il ne l'avait paru. Tu continuais de regarder le sol, pétrissant doucement la terre. Qu'allait-il rajouter? Il avait tout à fait le droit de t'en vouloir, après tout.

Les mouvements de sa queue ne te rassuraient guère, tu avais l'impression qu'il tentait de réprimer son envie de te sauter à la gorge, mais que son corps le trahissait. Tu fus tout de suite plus satisfait quand il te rassura: ce n'était pas si grave, et il reconnut même que qu'il s'était bien trop approché du vide. Tu aurais pu discuter la suite, après tout, c'était principalement de ta faute, mais tu n'avais aucunement envie de t'engager sur ce genre de chemin. Pas le temps, le moral, et puis, ce n'est pas un jeu auquel il est bon de s'amuser. Malgré tout, tu te demandais s’il ne disait pas ça juste pour que tu ne poses pas de question, et que tu te taises, mais, qu'intérieurement, il se fichait de tout cela et qu'il t'en voulait. Cette perspective ne t'arrangeait pas le moindre du monde, mais tu préféras ne faire aucun commentaire, tu te tournas vers les chutes. Au moins, ça faisait quelque chose pour attirer ton regard, et te trouver une excuse pour le fait que tu ne puisses le regarder dans les yeux. En vérité, c'était simplement que tu n'aimais pas défier les gens du regard, même en temps normal. Tu trouvais ça mauvais. Malsain. Ce n'était pas bien. C'était ce que ta mère t'avait appris, et le gentil petit Troll, lui, retenait tout ce qu'on lui disait.

Il te demanda maladroitement si tu ne t’étais pas fait mal en tombant. Tu redressas les oreilles, un peu perturbé par la question. Il aurait pu te demander ce que tu faisais ici, ou te demander ce qui t'avait fait tomber, mais... Non. Il n'avait pas pensé à lui, à pourquoi il avait failli tomber. Juste si le pauvre petit Trollounet s'était éraflé en tombant. Tu rougis violemment. Remettre le fait que tu avais été très idiot dans ta démarche au point de tomber ne te mettait guère en bonne posture, mais tu te disais qu'il ne te voulait pas de mal, tu ne le connaissais pas beaucoup, mais tu n'avais pas cette impression de danger qui t'aurait amené à penser qu'il voulait le contraire. Avec un peu plus d'assurance, tu le regardas, et cette fois-ci dans les yeux, et lui répondit:

«-Oh, ahem. Eh bien, pas vraiment. .. Tu dois te dire que c’est bizarre pour un espion d’être comme ça… Mais rassures toi, je ne suis pas aussi pataud en temps normal. C’est juste que parfois, quand je n’ai plus la pression qu’incombe mon rôle, je me relâche un peu. Je ne fais plus attention à rien. Ni au bruit, ni à ce qui se trouve dans mon chemin.»

Tu réfléchis quelques secondes, et comme tu voulais à la fois être poli, et aussi ne pas laisser un blanc, tu devais réfléchir rapidement à ce que tu pouvais et devait lui demander. La moindre des politesses aurait été un bonjour, mais ça te semblait être un peu tard pour ce genre de besognes. Lui demander ce qu’il faisait ici serait un bon début, tu ne penses pas ?

« Eh… Et qu’est-ce que tu faisais ici ? »

Tu replongea ton regard sur tes pattes pétrissant la terre. Des progrès à faire, ça, y’en avait.



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