Lagherta
Cela faisait à présent trois semaines que Gaor m'avait recueillie et pris la décision de m'adopter. J'avais été très heureuse d'apprendre qu'il allait prendre soin de moi, malgré tout, mon cœur avait appris que mes maigres espoirs avaient souvent été déçus, c'est pourquoi je ne m'étais pas trop réjouie dès de le départ, même si m'étais montrée très enthousiaste pour donner l'illusion. Oui, malgré mon jeune âge, je savais mentir, feindre d'être heureuse plus que de raison et tout ce genre de trucs qu'on apprend bien plus tard. Gaor avait été dévasté d'apprendre ce que mes parents m'avaient fait subir et aussi très en colère. Néanmoins, j'avais rapidement compris que jamais il ne s'en prendrait à moi de quelques manière que cela soit. Et ça faisait un bien fou. Me sentir en sécurité, pouvoir dormir sur mes deux oreilles, ne pas avoir à me battre pour ma nourriture, même lorsqu'il n'y avait plus que moi. Mon père ne me donnait jamais mes repas gratuitement, il disait que la bouffe n'était pas gratuite pour lui, alors je devais lui prouver que je la méritais aussi !

Pour l'instant, Gaor avait tenu parole, il prenait soin de moi, je ne manquais de rien, jamais. Malgré tout, il restait une part de mon cœur qui se méfiait de la claque à venir. Car j'avais rapidement appris que rien n'est jamais gratuit, tout se paie un jour ! Alors oui, j'étais heureuse avec Gaor, mais je ne pouvais laisser mon cœur être totalement plein de joie. Je me devais de garder une part à l'abri pour le cas-où une catastrophe quelconque surviendrait. Pour pouvoir faire face et me relever pour continuer d'avancer. Malgré tout, je m'attachais à Gaor, beaucoup même. Il faisait tout pour moi. J'étais immobilisée depuis des semaines maintenant, les guérisseurs avaient dit que je ne devais pas bouger tant que la plaie de mon dos n'était pas refermée au moins partiellement, car sinon, je pourrais perdre l'usage de mes pattes arrières. Alors je vivais un calvaire, enfermée dans cette tanière, à dépendre de Gaor ou des guérisseurs pour absolument tout... Pour rendre mon calvaire un peu moins désagréable, il passait beaucoup de temps avec moi, soit dans la tanière à bavarder, me faire rire, ou simplement rester là, allongé près de moi. Parfois il me prenait dans sa gueule, délicatement et m'emmenait dehors. Il me faisait faire une promenade à un rythme tranquille pour ne pas risquer de me faire mal, puis, il trouvait un coin d'herbe au soleil où il me déposait et nous passions ensuite un moment là, allongés, à profiter des rayons chaleureux et bénéfiques du soleil. Les guérisseurs avaient dit que cela pouvait me faire du bien, tant au moral que physiquement. Mais ce matin, il faisait froid et pleuvait, donc j'avais meilleur temps de rester à l'abri dans la tanière. Gaor était parti chasser. Je l'avais entendu partir, mais en voyant que je m'étais réveillée, il m'avait dit où il allait ce qui avait apaisé mes craintes. Car oui, chaque fois qu'il s'en allait, ou que je me réveillais seule dans la tanière, je ne pouvais m'empêcher d'angoisser, de me dire qu'il était parti... C'était relativement dérisoire dans le sens ou je me trouvais dans sa tanière à lui. Malgré tout les efforts qu'il faisait pour moi, pour que je ne manque de rien, pour l'instant, je continuais de l'appeler Gaor, je ne pouvais pas me résoudre à employer l'un de ces surnoms affectueux que donnaient les enfants à leur parents. Pourquoi, d'une parce que je gardais cette fameuse partie de mon cœur à l'abris, bien emballée, et d'autre part parce que mon père nous forçais à l'appeler "Père" et à le vouvoyer, et lui parler de manière très protocolaire.

Après un long moment à l'attendre, je finis par m'endormir, et si mon sommeil vint rapidement, il ne fut pas calme, loin de là. Mon père m'avait retrouvée et tentait de terminer le travail, sous le regard cruel et satisfait de Gaor qui m'avait dénoncée à mon paternel. Je me réveillais en sursaut, en hurlant ma fourrure trempée de sueur. Je regardais autour de moi, totalement paniquée. Puis le présent me revint en mémoire, j'étais dans la tanière de Gaor, il était parti chassé, et jamais il ne me trahirait en ramenant mon père pour lui permettre de finir le travail, j'en étais persuadée. Même si je gardais une petite partie de mon cœur en sécurité, prête à faire face en cas de drame, je savais que Gaor n'était pas capable de faire une telle chose. Soudain, j'entendis qu'un loup entrait dans la tanière. Avant de le laisser trop avancer, je grondais le plus férocement que je pus et doucement, je me levais. Debout sur mes pattes chancelantes, je grondais, prête à accueillir celui qui venait de pénétrer dans la tanière, car à l'odeur, je savais que ce n'était pas Gaor ni mon guérisseur, vu que celui du jour était déjà passé. Campée sur mes pattes, prête à fuir en cas de besoin, même si pour mon dos, cela était fortement déconseiller. Malgré tout, je n'étais pas une victime, j'étais une combattante, farouche, mon père m'avait assez maltraitée pour que je refuse de me faire croquer sans me battre, c'était devenu un reflexe de survie chez moi !

Mes allés et venus entre le clan et la tanière était fatigant, j’étais épuisé et j’avais des courbatures partout. Ma vie commençait à me filer entre les pattes et je redoutais le jour où mon corps aurait raison de mes désirs. Je n’avais parlé de ça à personne, surtout pas à Gaor qui n’en avait pas besoin en ce moment puisque mon frère d’arme était dans un bien piètre état depuis la mort violente de Lester. Sa compagne Hadanalith avait complètement disparue, j’espérais qu’elle n’avait pas finit en contre bas d’une falaise ou qu’elle n’avait pas croisé un individu indésirable. Je ne savais si Gaor y survivrais ou non. Secouant mon pelage, je savais que mon ami avait recueillit une loupiote comme moi quelques mois plus tôt avec Baelia. J’espérais que nos deux filles s’entendraient bien. Si elles pouvaient être aussi liés que lui et moi j’en serais ravis.

Mais pour l’heure je devais trouver le loup des cavernes pour prendre de ses nouvelles et aussi savoir s’il pourrait reprendre un peu ses fonctions. J’avais réellement besoin d’aide car je savais que je ne tiendrais pas éternellement le rythme. L’idée de quitter le clan de l’eau était d’ailleurs de plus en plus présente dans mon esprit mais ça serait une trahison envers Kaporal que j’aimais et que je respecter donc je ne pouvais pas accepter de lui faire ça. Néanmoins il fallait que je lui parle que je lui dise ce qu’il se passe pour moi, car en ce moment il n’a pas trop le temps non plus et je n’ai même pas pu lui présenter mes enfants tant nous sommes tout les deux occupés.

Soufflant longuement, après être entré dans l’allée des tanières j’entrais dans celle de mon frère avant d’entendre un grondement. Il n’était pas assez fort et assuré pour venir de Gaor. Mais il s’agissais néanmoins d’une mise en garde de la part de l’occupant. L’odeur de Gaor étant très forte je sentais à peine celle de la petite louve qu’il avait prit sous son aile. Mais je n’avais aucune espèce de difficulté à comprendre qu’il s’agissait bien d’elle. Je mis alors les oreilles à l’horizontal, j’étais énorme, aussi imposant que Gaor, et en prime j’avais des ailes. Je ne voulais pas effrayer la demoiselle, mais je savais que ça risquait d’arriver. Je soufflais longuement pour me détendre, je lançais un regard à mon corps, malgré ma masse de poils je savais qu’à la lumière où lorsque j’étais mouillé on voyait que j’avais maigrit. J’entrais en tendant le cou et en pointant le museau avant d’apercevoir la petite louve et de m’asseoir.


Je m’assis calmement, ne dégageant aucune forme d’hostilité ou de méchanceté. De toute façon j’avais un regard de nature plutôt douce et sensible. Après tout j’étais père depuis plus d’un an comme j’avais commencé par adopté Baelia avant d’avoir mes propres enfants. Je pouvais donc savoir comment gérer une loupiote même si ce n’était pas la mienne. Je rabattis ma queue contre mes pattes et observais la petite louve.



Je regardais la loupiote, espérant qu’elle se détendrait rapidement. Je ne doutais pas qu’elle avait du répondant et qu’elle me le demanderait si elle voulait savoir qui j’étais. Mais qui sait peut être que Gaor lui avait parlé de moi. Je n’en savais rien mais comme je ne voulais pas la brusquer je n’avançais pas plus et j’attendis calmement ses réponses. Inutiles de lui en demander plus, c’était déjà suffisant pour entamer une conversation.