- Maïshka -
Forêt Talaïala

L'hiver se terminait, doucement. Les intempéries avaient cessé peu à peu, et la pluie avait reflué. Maïshka était désormais convaincue que leur mauvaise passe était derrière eux, et que tout allait s'arranger. Enfin, tout ... Jeremiah vieillissait à vue d’œil, et Maïshka s'en désespérait : il n'avait pas choisi de femelle avec qui perpétrer l'espèce, malgré le choix, et surtout pas elle. Elle ne pouvait s'empêcher de se demander ce qu'elle avait fait de mal, et parfois le soir, se demandait même s'il aimait réellement les femelles.

Mais les journées restaient classiques. Ce jour là, Maïshka s'était aventurée près de la faille, pour l'inspecter. Elle était à présent remplie d'eau, mais la caverne n'avait pas encore osé la traverser. Elle avance la truffe, la sent : de l'eau douce, sans remous. Mais elle frissonne en pensant à la profondeur de la faille qui reste toujours en dessous, et de ce qu'elle pourrait contenir. Probablement beaucoup de poissons .... Il faudrait qu'elle apprenne à pêcher. Elle baille, relaxée par le soleil.

-Maishka-

Alors que la louve inspectait l'eau du cours d'eau , elle entend venir des pas. Une odeur vient vite titiller sa truffe : c'était Runa. La louve ours et elle étaient devenues plus ou moins amies durant cette épreuve, du moins elles appréciaient de travaller ensemble.une sorte d'alliance féminine s'était formée au sein du clan, uniquement dirigée par Jeremiah, et Maishka ne savait pas vraiment quoi en penser. En attendant...

Salut Runa. Tu viens pêcher toi aussi ? J'ai cru voir un gros truc bouger.

Elle pointe du doigt un endroit un peu plus loin où l'eau se faisait sombre, qui lui rappelle l'eau de la faille. Elle n'avait aucune confiance en cette eau la, aucune,mais il faudrait bien un jour essayer de la franchir pour retrouver maître côté où se trouvaient peut-être d'autre cavernes. Leur clan se mourrait à petit feu, surtout avec Jeremiah qui se refusait à se donner à elle.

-Maishka-

Ses soucis se détournent peu à peu de la faille et de la survie de leur espece pour se tourner vers le poisson. L'ombre qu'elle avait vu était plutôt épaisse, si c'était vraiment un poisson ça leur ferait à manger pour plusieurs. Elle hoche la tête, alors.

Ça me va. C'était allongé oui, grand comme.... Ça.

Elle écarté ses pattes d'une trentaine de centimètre. Un beau morceau. Mais l'eau était plus profond par là-bas, elle ne pensait pas avoir patte. Peut-être faudrait-il l'attirer pour le choper ? Maishka penche une oreille, pensive.

On peut l'attirer, je ne crois pas être assez forte en nage pour l'avoir là-bas.

Elle relève un regard un peu curieux vers sa comparse. Peut-être qu'elle avait des capacités surprenantes en nage ?

-Maishka-

L'épaisse Yten souffle du museau. L'attirer... L'envie n'y était pas. Mais elle se tourne un peu, fourrageant les herbes avant d'en sortir quelques châtaignes. Elle en jette une dans l'eau : le bruit est trop fort, beaucoup trop. Elle soupire, hausse les épaules.

A tous les coups je l'ai fait fuir.

Son regard se perd sur l'eau, le sentiment d'échec la prenant entière. Elle n'y était pas habituée, Maishka, a cette impression cuisante d'avoir raté quelque chose. Mais le poisson n'était pas le seul responsable : irrémédiablement, ses pensées revenaient à Jeremiah. D'une voix un peu absente, elle demande à Runa, changeant de sujet brusquement :

Tu penses qu'il va nous arriver quoi ?

-Maïshka-

Ils leur fallait d'autres mâles ...Le cœur de Maïshka se serre, et elle porte son regard devant elle également, la gorge nouée. Leur groupe allait mourir, Runa avait raison, s'ils continuaient comme ça. Et Jeremiah s'était toujours refusé à elle, visiblement n'était pas allé voir Runa non plus. En un sens, cela était un soulagement pour la louve, mais elle ressentait toujours cette impression d'échec cuisant, surtout face aux mots de la louve-ours.

La gorge serrée, Maïshka se demandait ce qu'elle devait répondre. Mentir, dire que leurs essais n'avaient pas fonctionné ? Ou avouer que Jeremiah n'avait jamais été attiré par elle, alors même qu'elle avait essayé de le séduire, de lui envoyer des signaux, et que leur race se mourrait ? Elle baisse la tête. Elle ne voulait pas être la responsable de leur extinction, mais c'était ce qui était en train de se produire.
Sa voix est étranglée, émotive. Elle relève un regard un peu perdu vers Runa, s'ouvrant un peu aux peurs profondes qui la tourmentaient depuis des années :

-Maïshka-

L'expression de Runa se tend, révélant un peu les mêmes pensées que Maïshka. Leur groupe était dans une situation critique, et peut-être ... Peut-être que cette fois il fallait mettre la cause sur Jeremiah. La gorge de Maïshka se serre. Après toutes ces années à le suivre, à avoir foi en lui, maintenant elle doutait ? Elle était fidèle, comme sa race le voulait. Mais quand cette fidélité entrainait leur mort, que devait-elle faire ?

La louve crème et lie-de-vin écoute son amie, le regard sombre. Repartir, encore ... Elle s'en sentait épuisée d'avance. Mais après quelques secondes de silence, elle hoche la tête.


Elle s'étire, tendue. Son regard porte vers l'horizon : elles allaient repartir, encore. Après tout ce qu'elle avait vécu, Maïshka aurait aimé juste une fois avoir un chez-elle, un endroit où elle pourrait se sentir en sécurité. Elle était casanière, finalement, mais sa vie n'avait été que voyages, exploration et recherche. Elle pose sa tête sur ses pattes, ferme les yeux, soudain épuisée.

-Maïshka-

La question la prend au dépourvu, et pourtant Maïshka n'avait pas l'air de demander la lune. Mais la réponse la fait sourire, d'un sourire qui remonte jusqu'à ses yeux qui se mettent à pétiller. Elle se redresse avant de marcher vers la louve pour heurter doucement son épaule du front.


Elle déglutit. A vrai dire la situation ne la mettait pas très à l'aise : comment l'annoncer à Jeremiah ? Et puis surtout, l'idée de ne jamais revenir l'angoissait profondément. Mais Runa était là, heureusement. Sa question fait relever la tête à la caverne crème :

Voilà, c'était dit. Et ça, c'était la vérité sans aucun filtre.