Le territoire de la terre… un endroit joli. Seulement, comme tous les territoires, je n’y avais pas visité toutes les régions. Et je me sentais curieux. Je brûlais d’envie d’aller quelque part que je n’avais jamais vu. Le désert? Ma fourrure étant épaisse, j’aurais chaud… oui, mais je suis mort, pourquoi m’en faire? Et si je me perdais? La trace de Snowball me ramènerait. Alors décidé! Le désert! Je m’y dirigeai en courant.

Du sable… du sable chaud… du sable sec… du sable qui colle aux poils… du sable qui s’incruste désagréablement sous les coussinets… du maudit sable de désert bien ordinaire. Oh, et des dunes. Des dunes de… sable… rien de passionnant. Pas même un cactus… Mort… Mort comme moi. Est-ce que je le désert aussi buvait du sang? Pas envie de faire le test. Je devais trouver un petit coin d’ombre, trop chaud… de l’eau aussi, soif un peu. Au moins, pas soif de sang. Merde, comment trouver du sang ici! Je commençai à regarder plus attentivement. Sable, dune, scorpion, rocher, rocher, sable, scarabée, sable, rocher, grotte camouflée sous une fausse dune de sable qui était en fait un empilement de rochers… bien! De l’ombre!

L’intérieur ne me déçut pas. De l’ombre, fraîche, et une petite source d’eau au fond! Assez de place pour que moi et deux autres loups de taille normales puissent s’y mettre à l’abris du vent et du sable. La source était pas assez grosse pour se laver, cependant. Pas grave. Je bus quelques gorgées. Froide!! TRÈS FROIDE! Sur le cou je toussai, étranglé. Bien averti, je pris plus calmement les autres gorgées. Bon, une bonne chose de faite. J’allais pouvoir explorer un peu et revenir me reposer ici. Les nuits étaient sans doute froides, mais qu’avais-je à en craindre, avec ma fourrure? Je sortis et commençai à marcher.

Sable, dune, dune, rocher, scorpion, loup agonisant, sable, dune, quoi!? M’arrêtant net, je fixai mon regard à l’horizon, sur ma droite. Un loup. Un loup couché. Son sang battait faiblement. Il était en train de mourir, merde! Je m’approchai lentement, pour ne pas l’effrayer. Il était encore conscient, me regardait. Que pensait-il alors qu’un monstre tel que moi avançait dans sa direction? M’en fou, il était trop faible pour me faire du mal. J’allais le sauver, qu’il le veuille ou non. Le ramener à la grotte, oui! Pas de bonjour, pas de présentation, pas d’avertissement. Pas le temps! Je le soulevai tout doucement par la peau du cou, comme un petit louveteau, et marchai vers la grotte.

Quelques minutes plus tard, un cou à l’intérieur, je le posai près de la source, le museau juste au bord, pour qu’il puisse boire. Il devait avoir tellement soif! Aussi, pendant qu’il se rafraîchissait j’engageai enfin correctement la conversation.

« Je vous demande pardon de vous avoir amené ici de force, mais j’ai jugé que vous aviez besoin de vous reposer à l’ombre, et de boire de l’eau. Mon nom est Sylver, et j’étais ici de passage, quand je vous ai vu. »

Aussi bien ne pas trop en mettre tout de suite. Le pauvre, il devait être étourdis et j’avais de la chance s’il avait seulement compris que je lui adressait la parole… Je me couchai donc près de lui, le fixant avec bienveillance en attendant qu’il me remarque.

Le loup ne semblait pas effrayé. Encore un… J’en rencontrais tellement, ces temps-ci! En même temps, son allure était peu normale… il devait avoir l’habitude qu’on ait peur de lui. Il était… très étrange… enfin, à regarder. Mais il semblait poli. Enfin un loup qui comprendrait peut-être les règles de l’art de la conversation! Bon, fallait pas trop espérer. Et fallait aussi avouer que j’étais meilleur de mon vivant que je ne l’étais en ce moment précis. Si je pouvais me souvenir, seulement, de ma vie… ça faisait quand même 5 ans dont j’ignorais tout! 5 fois plus d’insouvenirs que de souvenirs! Oui, insouvenir n’est pas un mot, mais comment désigner ça autrement? Je me sentais un peu vide, en fait… qui étais-je vraiment? Comment le savoir?

Mieux valait ne pas trop y penser. Méphistophélès, hein? Un peu long. Il faudrait que je vois rapidement à lui demander s’il acceptait un petit surnom. Pas que je sois pas capable de le prononcer, ce nom, mais le prononcer tout le temps au complet, c’est un exercice de diction complet! À peine une fraction de seconde après la réponse, ce qui m’avait été nécessaire pour réfléchir, j’inclinai la tête poliment, en signe de salutation et de respect.

« Et moi de même, sir Méphistophélès. »

J’hésitai. Devais-je demander maintenant? Devais-je attendre? Maintenant. Et puis, au fond, il devait bien y être habitué, qu’on le lui demande. Enfin, s’il croisait d’autres loups…

« Pardonnez-moi, mais… me permettriez-vous de vous appeler tout simplement Méphisto? Disons seulement que votre nom est long… »

Je le regardai, gêné. Quoi faire maintenant? Rien, y’avais rien à faire… attendre sa réponse. S’il voulait engager la discussion, il le ferait, sinon, il allait s’en aller ou demander la paix. Et moi je resterais s’il voulait discuter, et le laisserais partir s’il voulait partir (et attendrait une petite demi-heure avant de poursuivre mon exploration), et m’en irais s’il voulait la paix. Mais au fond, j’espérais qu’il veuille parler. Il m’intriguait… Quelque chose, dans son aura, me faisais penser à moi-même… c’était si étrange…