-Lavande-

La dernière aventure de Lavande avait décidé la sentinelle à enquêter un peu plus profondément sur cette histoire d'apparitions mystérieuse. Ces dernières se multipliaient, et une des possibilités serait l'apparition d'un Onyal dans la forêt des rêves bleus. La bête mythique n'avait pas été aperçue en plusieurs décennies, seuls les religieux se souvenait encore de son nom et de son apparence, mais il était dit qu'elle portait avec elle un grand malheur. Plutôt stoïque face à ce genre de prophétie, la louve violette continuait de croire en une farce, même s'il fallait avouer que la blague était longue.

Evidemment, elle continuait ses rondes de sentinelles, avec son fidèle binôme Joshua. Elle en venait presque à regretter Horik, le petit éclopé, lorsque certains jours comme celui-ci, le temps s'étirait jusqu'à devenir presque immobile. La louve violette aimait son travail, lorsqu'il se passait des choses. Mais à la frontière avec les marais, peu de solitaires osait s'aventurer jusqu'à la Source. Aussi, elle s'ennuyait sec, et était d'une humeur massacrante.

Les deux comparses avaient lentement marché, longeant les marais pour se retrouver en face du cimetière. Une fois arrivée, Lavande leva la truffe vers le ciel : le soleil déclinait lentement. Il serait bientôt l'heure de leur relève. Elle soupira bruyamment : enfin ! Mais une silhouette vint briser le calme et l'ennuie de cette journée interminable. Lavande plissa les yeux, et le premier sourire de la journée vint effleurer ses babines : Ellana. Que faisait la Gothic ici ? Elle fit un signe de tête à Joshua, qui lui répondit : il attendrait la relève ici. La louve trottina, avant d'interpeler la disciple d'Heimdall :

Ellana !

Peut-être que cette dernière avat mieux à faire, mais il était toujours bon de saluer ses compagnons d'escadron, surtout en tant que sentinelle. Le risque d'être en marge du groupe était fort, de plus, Lavande n'avait pas eu l'occasion de féliciter Ellana pour ses résultats aux Jeux. Et puis, sans se mentir, elle s'ennuyait tellement que voir n'importe quelle autre tête que celle de Joshua lui ferait le plus grand bien.

-Lavande-

La Gothic s'arrêta, avant de faire quelques pas en arrière, reculant jusqu'à réintégrer les limites du clan. Elle salua la louve aux longs cheveux qui trotta jusqu'à arriver à sa hauteur, ralentissant peu à peu.


La sentinelle sourit aimablement à Ellana. Cela faisait quelques jours qu'elles ne s'étaient pas vu, Lavande étant occupée à garder cette fichue frontière ou il ne se passait rien avec son idiot de partenaire. Elle s'arrêta, avant de répondre d'une voix égale :

Bonjour. Rien de neuf par ici.

Lavande jeta un œil derrière elle, repérant sans mal Joshua et sa stature de loup de la terre. Deux silhouette s'approchaient de lui : la relève était là. La louve était donc libre de faire ce qu'elle voulait. Elle était tentée de rentrer au campement afin de dormir dans une tanière chaude plutôt que dans les bois, maisle comportement d'Ellana l'intriguait : la Gothic sortait du territoire clanique, ce n'était pas fréquent. Peut-être avait-elle reçu une mission, dans ce cas ce n'était pas ses affaires, mais elle ne tenait pas à ce que la crêteuse se fasse dévorer par un monstre des marais. Finalement, la louve violette recentra son attention sur Ellana, avant de répondre :

Je suis contente de te voir. Je n'ai jamais eu l'occasion de te féliciter pour ta performance aux Jeux. J'aurai aimé qu'on se batte l'une contre l'autre, ça aurait été intéressant.

Elle lui sourit. Les deux louves n'avait pas une relation très ... amicale, parfois le comportement d'Ellana rappelait Nils à la sentinelle, ce qui pouvait la mettre en rogne. Ou peut-être le projetait-elle simplement, car ils étaient de la même fratrie, qui sait. Mais elle n'en avait jamais tenu rigueur à la louve, et espérait que celle-ci lui avait passé ses débordements. Elle demeurait une combattante très efficace, et bien plus appliquée que son frère, ce que Lavande appréciait.

-Lavande-

L'assassine sourit doucement, plus polie que chaleureusement. Les cicatrices de son visage s'étirèrent, laissant Lavande dans une brève contemplation. Elle avait souffert de ses combats, de son rang, s'était entraînée plus que quiconque, et c'était pour cela que Lavande respectait Ellana. D'ailleurs, cela transparaissait également dans le comportement de la louve à la crête verte. Elle n'était pas de celle qui s'ouvrait facilement, comme si un brouillard épais l'entourait toujours.

Lavande hocha la tête, acceptant le compliment. Elle avait plus performé que l'assassine pour ce combat, mais elle était consciente des contraintes qui défavorisaient les assassins, habitués à tuer en peu de temps. L'endurance des sentinelles lui avait bien servi, même si c'était à la fin ses compétences qui lui avaient permis de gagner. Enfin, c'était du passé à présent. Son quotidien était bien vite revenu, ses rondes, la surveillance des terres. Elle releva les yeux, trouvant Ellana jetant un rapide coup d'oeil derrière elle, vers les terres solitaires.


Lavande sourit, mais son esprit était occupé à autre chose : Ellana voulait-elle se rendre au cimetière seule ? La sentinelle connaissait assez les capacité de la gothic pour ne pas s'inquiéter pour sa sûreté, mais la raison l'intriguait. Elle répondit avec politesse :

-Lavande-

La gothic regarda une fois encore les terres solitaires, avant de baisser la tête. Lavande ne répondit rien, cherchant à comprendre la situation. Ce n'était pas une simple mission, à moins qu'elle ne doive s'en prendre à quelqu'un de sa famille ? La sentinelle évita de chercher trop loin : ce n'était pas ses affaires. Finalement, la crêteuse soupira et répondit :


Lavande recolla vite les morceaux dans son esprit : il y a pas si longtemps que ça, Bélial, un ancien grand guerrier, était mort de sa belle mort, entouré de sa famille. Lavande se demanda même si un monument tel que lui ou Gothic n'aurait pas préféré tomber en combat, mais elle garda ses réflexions pour elle. C'était donc l'oncle d'Ellana, et il avait été enterré au cimetière : pas si étonnant que l'assassine veuille s'y rendre. D'ailleurs, elle se redressa, mais ne reprit pas sa marche. Lavande n'était pas douée avec le décryptage des émotions, mais elle se doutait que perdre quelqu'un d'important au point de rendre visite à sa tombe devait l'attrister. D'un ton toujours plus ou moins neutre, elle demanda :

Je peux t'y accompagner si tu veux, je connais pas mal l'endroit.

Ce n'était qu'une semi vérité, Lavande connaissait bien mieux la frontière que le cimetière en lui-même. Mais sous couvert d'assurer la sécurité d'Ellana, elle pourrait peut-être alléger un peu la solitude du deuil, qui sait. C'était sa manière à elle de tenter de réconforter l'assassine, envers qui elle portait une certaine estime.

-Lavande-

La louve à la crête hocha la tête, mais son regard se perdait encore vers leur destination. Si elle avait du deviner, Lavande aurait parié qu'Ellana n'était pas de celle qui pleurait un proche durant un deuil. Pourtant, la douleur était pour tout le monde la même. Lorsqu'elle avait perdu sa mère et sa fratrie, Lavande se souvenait d'avoir beaucoup pleuré, mais toujours seule. En grandissant, elle avait souvent regretté de pas avoir pu offrir à sa mère et ses frères une sépulture, un endroit ou leur rendre hommage, ou se souvenir. La tristesse était d'autant plus grande qu'à présent, il ne vivait plus que dans la mémoire de la sentinelle, et peut-être de Deenos. Elle avait fait avec, s'endurcissant avec le temps, mais le regret était resté. Car elle était convaincue que les cimetières étaient moins faits pour honorer les mort que pour réconforter ceux qu'ils avaient laissé derrière.

Le trajet fut silencieux. Lavande y était habituée, et se rendre au cimetière ne l’impressionnait pas plus que cela : la région était connue comme assez sûre, et même si cela faisait du mal à l'avouer, c'était probablement grâce à l'influence du groupe des tanières. En plus, elle avait sentit le trouble de l'assassine, et ne tenait pas tellement à faire la conversation. Si le trajet était une sorte de pèlerinage, il valait mieux la laisser avec ses pensée. Cependant, il serait dommage qu'elle se morfonde trop longtemps : le clan en perdrait un très bon élément. Peut-être qu'après tout ça, Lavande lui proposerait de partager un repas. Elle pensait à tout cela alors qu'elles avançaient, jusqu'à ce que la silhouette de la première tombe apparut au détour d'un tronc. La brume était subrepticement venu lécher leurs chevilles, couvrant le sol d'une nappe légère et inquiétante. Le lieu n'était pas le plus agréable, mais ce n'était pas le but. Seuls les vivants venu se recueillir étaient autorisés ici, et la silhouette du loup blanc à la faux pouvait parfois être aperçut veillant au calme entre les tombes. Le bruit de pas d'Ellana s'arrêta derrière Lavande, qui en fit de même.


La sentinelle fit calmement demi tour avant d'aller se placer à côté d'Ellana, effleurant son flanc. Elle ne pouvait pas s'arrêter maintenant, il fallait qu'elle aille au bout de son idée, même si cela était difficile. Lavande ne réalisait pas vraiment à quel point la mort de son oncle l'avait impacté, mais elle savait que cette dernière était récente. Alors avec autant de bienveillance que la louve pu, elle l'incita, tout en avançant et en baissant la tête :

Viens. Ça te fera du bien d'y aller.

-Lavande-

L'assassine était figée, son masque de marbre fissuré pour laisser échapper une expression complexe que Lavande aurait eu bien de peine à identifier. Le deuil était différent pour chacun, et elle n'était personne pour juger de ce qu'allait faire la louve verte. Mais finalement, sous son impulsion, elle repartit d'un pas lent vers le cimetière. Le chemin jusqu'à la tombe de Bélial n'était pas long, mais il sembla à Lavande qu'il dura une éternité. Elle s'écarta doucement de la louve lorsque devant elles se dressa la terre retournée fraîchement, sous laquelle gisait le corps de son oncle.

Lavande resta en retrait, essayant de respecter l'intimité de la guerrière. Mais très vite, elle sentit que la volonté d'Ellana s'étiolait : elle s'allonge, posant la tête sur ses pattes. La sentinelle resta statique, ne pouvant s'empêcher de détailler le dos cendré de la femelle devant elle, cherchant malgré elle un signe, une contracture signifiant l'état mental de la femelle. Bien que le cimetière était réputé sûr même pour les claniques, Lavande n'avait aucune envie de tomber sur le mâle dominant qui vivait à côté. Mais le recueillement était important, très important, et une fois encore elle pensait à sa mère, ses frères, qui n'avaient pas même eu le droit à une sépulture.

Poussée par l'empathie envers la louve à crête, Lavande fit un pas en avant, avant d'aller s'asseoir à côté de la femelle, autorisant leur deux fourrures à se toucher. Un contact ténu, mais bien présent, pour tenter de réconforter Ellana. La sentinelle ne dit rien de plus, regardant d'un air morne la terre retournée en face d'elle. Il était rare de voir des morts de vieillesse, mais avec la paix, cela serait de plus en plus la norme. Et c'était tant mieux. Mais Bélial avait été un honorable combattant, et resterait dans les mémoires pour cela. De tout ce que Lavande pouvait faire pour Ellana, le mieux était sans nul doute de respecter son oncle, et de lui rendre également hommage.

-Lavande-

La Gothic ne laissa rien transparaître, au point ou Lavande se demanda même si le contact avec elle était bienvenue. Mais finalement, elle sentit le poids de la louve glisser le long de ses pattes et finalement poser sa tête contre elle. Elle ne bougea pas, la tête basse, sentant le corps de la cendrée tressaillir au fil de ses sanglots, le cœur serré face à la peine de l'assassine. Sans vraiment s'en rendre compte, Lavande n'avait jamais cherché d'amis pour cette raison précise : tout ceux qu'on aimait se voyait un jour prendre par la mort. Mais elle se sentait parfois bien seule, et cela ne l'empêchait pas d'éprouver de la tristesse pour Ellana.

Finalement, au bout de longues minutes, alors que le soleil s'avançait dans le ciel, Ellana se redressa. Les yeux bouffis par les larmes, les poils trempés, elle avait bien piètre allure, mais elle ne sanglotait plus : la tristesse avait au moins été un peu expiée, comme un poison qu'on vomit. Elle évitait le regard de la sentinelle, qui respecta sa gène. Elle était entrée un peu malgré elle dans son intimité, et devait à présent en sortir sans tout gâcher.


Lavande hocha la tête, un fin sourire désolé sur ses babines. Elle était contente d'avoir au moins pu veiller sur elle, si un solitaire avait voulu profiter de son état de faiblesse. Voyant que la cendrée entamait le chemin du retour, elle lui emboita le pas avant de proposer, d'un ton plus léger :

Si tu veux on peut aller manger un morceau ensemble. Ça te requinquera un peu.