Fleuve hibiscus

Spoiler:

-Fuurin-

Le territoire d'Elemenloup s'éveillait, peu à peu, comme encore tout embrumé de rêve. La brume qui annonçait l'automne courrait entre les troncs, la mousse, les arbustes, et les différents végétaux prenaient une teinte oniriques dans cette nappe épaisse. Le soleil ne s'était pas encore levé, mais la lumière blanche et creuse enveloppait déjà la forêt comme un prémisse de ce qu'allait être la journée.

Fuurin s'était éveillée tôt, trop tôt. Elle avait toujours été matinale, mais depuis quelques temps, le sommeil était devenu plus difficile. Ce n'était pas tellement une surprise. La messagère marchait calmement dans la forêt, relevant régulièrement la tête pour sentir l'air froid lui picoter le museau. Elle suivait la piste de Léone, encore fraîche, qui partait vers le fleuve Hibiscus. Il n'était pas coutume de déranger un alpha lorsqu'il n'était pas à sa tanière, surtout si tôt le matin. Mais Fuurin avait quelque chose d'important à faire.

Depuis qu'elle avait perdu son amie, la messagère n'était que l'ombre d'elle-même. Après son retour du puits, elle s'était éloignée de ses amis pour réfléchir à ce qu'il s'était passé, pour digérer sa perte. Elle avait pleuré, beaucoup, mais aussi marché, couru, arpenté les chemins qu'elle connaissaient depuis toute petite. Peu à peu, elle avait eu plus d'énergie, était sortie plus, même si voir un autre loup était encore extrêmement fatiguant pour elle. Après plus d'un mois, il lui semblait, enfin, non pas que sa peine diminuait, mais qu'elle devenait plus forte.

Arrivée au fleuve, elle leva la tête et repéra vite la silhouette de son alpha. Autrefois, elle aurait été anxieuse d'ainsi déranger Léone. Elles ne se connaissaient pas, c'était une ancienne Terre et elle une Eau, rien ne les liaient. Mais Fuurin avait prit sa décision, et malgré sa faiblesse encore apparente, sa volonté était plus forte que jamais. Elle s'approcha, sans douter que Léone l'entendrait approcher, puis parla d'une voix ferme, quoi que rauque :

"Alpha Léone, je dois vous parler"

-Fuurin-

Léone entendit la messagère, et se retourna, légèrement contrariée. Fuurin se baissa légèrement, léchant son museau en une posture de soumission. Son comportement était instinctif, et visait uniquement à montrer à Léone qu'elle n'était pas agressive. L'alpha lui répondit d'une voix neutre :

« Qu’est-ce que tu veux, Fuurin ? »

Soudain, la gorge de Fuurin se serra. Elle avait pensé que ça serait facile, tellement plus facile que d'accepter la mort de Trinity. Mais à présent, devant le fait accompli, elle flanchait. Cependant, elle devait tenter, elle devait le faire. Elle déglutit, les oreilles légèrement en arrière.

"Je suis désolée de vous déranger, je ..."

Elle secoua la tête. Elle n'arrivait à rien. Il fallait qu'elle se concentre. Dans le pire des cas, Léone la mettrait par terre, ou refuserait, et alors ? Elle n'allait pas en mourir. Elle n'allait pas en mourir. Elle prit une grande inspiration et redressa un peu les épaules, sans pour autant oublier à qui elle parlait.

"Vous savez sûrement qu'il y a pas longtemps, Trinity et Ekynox ont disparu pendant qu'ils chassaient. Trinity est ... Était mon amie."

Fuurin ferma les yeux une seconde, tant il lui semblait que ces mots étaient difficiles à prononcer. Son corps tout entier se refusait à l'exercice. Mais ses yeux semblaient avoir pleuré toute l'eau que contenait son corps, et ils restèrent secs. Elle continua, fixant le sol.

"Notre alpha Gaor avait retiré son statut à Trinity, l'avait rendu oméga. Elle ... Elle a fait une erreur, une seule, et on lui a retiré le droit d'être utile à la meute. Elle a cherché, longtemps, à se rendre utile. Elle chassait, elle aidait les médecins, les nourrices, les anciens, elle ... Elle m'aidait moi. Apparemment, ce n'était pas suffisant, et maintenant, elle est morte."

Fuurin serra les dents. La colère lui nouait le ventre. Pourquoi Gaor n'avait-il pas rendu à Trinity sa dignité ? S'il l'avait fait, elle n'aurait surement pas eu à aller chasser, et elle ne serait pas tombée sur ce monstre des marais ... Elle releva le regard, plus déterminée que jamais. Quitte à se brûler les ailes, autant que ce soit par amour pour le soleil.

"Je sais que ce n'est pas tellement votre affaire, mais vous la connaissiez. Vous l'avez sauvée lorsqu'elle est tombée de la falaise, vous l'avez sauvée pour l'union du clan, pour l'union entre les Terres et les Eaux. Je vous le demande aujourd'hui, pas par amitié pour elle que vous ne connaissiez pas, mais pour le clan, pour montrer que nous sommes unis, s'il vous plaît, libérez mon amie de son statut d'oméga."

Elle s’interrompit plutôt brusquement, consciente qu'elle avait bien trop parlé. Elle baissa la tête et la queue, le cœur battant. Le soleil se levait doucement à présent, éclairant la scène d'une lumière dorée, rouge et orange. Le fleuve luisait comme un serpent de feu, et le ciel s'embrasait de milles couleurs comme si les dieux l'avaient peint eux-même. Dans quelques minutes, il serait l'heure. Quel que soit la réponse de Léone, elle devrait partir.

Spoiler:

-Fuurin-

Fuurin garda la tête baissée, le cœur battant. Elle entendit l'alpha s'approcher, et lui relever la tête de sa patte. Son cœur rata un battement, alors qu'elle pouvait déjà lire dans les yeux de Léone la réponse qu'elle allait lui donner.

« Non. Mais je vais t’accorder de t’expliquer pourquoi. Quand j’ai été chercher Trinity, j’ai voulu sympathiser avec elle. Quand j’ai voulu en apprendre plus sur les circonstances de sa déchéance, elle s’est braquée et a explosé de colère contre moi avant de partir. Depuis, j’attendais qu’elle ose se montrer devant moi, au moins pour aborder son mauvais comportement à défaut de s’excuser. »

Fuurin déglutit, en restant immobile, le regard fixé dans celui de Léone. Elle ne savait pas à propos du comportement de Trinity, et ça ne ressemblait pas à l'ancienne polyvalente de réagir comme ça. Néanmoins, elle croyait l'alpha, qui n'avait aucune raison de lui mentir. Peut-être n'avait-elle pas tous les éléments, et elle n'aurait sûrement jamais la réponse à ces questions.

« Au fond, tu as tout ce qu’il lui manquait Fuurin : un minium de cran. Un guerrier se doit d’obéir, mais aussi de venir parler à ses supérieurs quand il a fait une erreur. Faire un rapport, s’expliquer ou s’excuser, voir les trois en même temps. Si Trinity était incapable de ça, alors elle ne méritait pas un rang de guerrière. Elle a préféré se morfondre, malgré mes quelques conseils, et ne rien faire de remarquable. Tu peux prétendre ce que tu veux, j’attends de voir ou d’en entendre parler de la gueule de ceux concernés. De plus, en quoi rendre son titre à une oméga à titre posthume aiderait à la fusion des clans ? A part me montrer complaisante, je ne vois pas ce que ça apporterait. Puis, je refuse de me laisser émouvoir par sa disparition pour me montrer trop généreuse avec elle.»

Après avoir fini sa tirade, Léone laissa le silence s'installer entre elle et une Fuurin hébétée. La petite louve grise baissa la tête. Étrangement, elle n'était pas triste, ni même déçue. Elle se sentait ... soulagée. Une impression de légèreté la prit, elle avait l'impression de flotter. Ses yeux étaient secs, et ses tremblements de peur s'étaient arrêtés. Elle avait réussi, elle avait réussi à demander à Léone. La réponse finalement n'importait que peu. Si elle avait voulu rendre son statut à Trinity, c'était plus pour elle que pour la louve bicolore. Pour se prouver à elle-même qu'elle ne l'oubliait pas, qu'elle lui rendait hommage.

Mais c'était inutile, car Trinity était morte.

Là ou elle était, elle s'en moquait bien d'être oméga ou alpha. Elle se moquait bien des hommages qui lui étaient faits. Par contre, elle ne se moquait pas du bonheur de Fuurin. Si elle était morte, la messagère était bien vivante, elle. Il était temps de commencer à ... lâcher prise.

"Merci."

Répondit-elle, en un souffle. Elle remerciait Léone de sa franchise, et de l'avoir écoutée si tôt le matin. Elle ajouta, plus pour elle-même que pour la louve :

"Il est temps .... de la laisser partir."

A ces mots, elle releva la tête, osant regarder l'alpha dans les yeux. Un sourire se dessinait sur ses babines, un sourire timide, mais sincère, probablement le premier depuis les longues semaines qui venaient de s'écouler. Fuurin ne se sentait pas heureuse, la tristesse emplissait toujours tout son être et écrasait son coeur, mais elle se sentait plus forte, plus forte que le désespoir, et pour la première fois, elle avait de nouveau envie de vivre. Elle salua lentement son alpha, sentant son corps, ses poils, le sol sous ses pattes comme si c'était la première fois, et prit congé :

"Je ne vous dérange pas plus longtemps. Au revoir, alpha Léone."

Après l'avoir saluée, elle fit demi tour, et marcha jusqu'au lieu de rendez-vous, à la forêt des rêves bleus.


Le soleil se levait tranquillement, illuminant les lieux d'une aura dorée presque mystique. Les arbres semblaient s'embraser, et la brume qui se levait petit à petit se glissait encore entre la mousse qui jonchait le sol. Le lieu de rendez vous était tout proche des plantes mouvantes, en forêt. Là, la veille, Fuurin avait érigé une stèle. C'était une simple pierre, très blanche, même pas très grande, qu'elle avait mis plusieurs heures à déplacer à l'endroit voulu : une clairière ou se trouver un petit cours d'eau. Le son doux de l'ode fraîche courant entre les pierres rendait le lieu apaisant et idéal pour la méditation, c'est pourquoi Fuurin l'avait choisi. Elle avait voulu graver la pierre, mais face à la difficulté de la chose, elle avait abandonné, épuisée.

La messagère s'assit près de la pierre, appréciant le calme des lieux. Elle avait convié quelques personnes ce matin, y compris Lagherta, les parents de Trinity, Bélial, ainsi que Verd qui devait faire la cérémonie. Si Lagherta et Verd lui avait confirmé sa présence, celle des parents de Trinity et d'Ekynox étaient toutes sauf sures. Fuurin leva les yeux vers le ciel, qui prenait peu à peu une teinte laiteuse, annonçant une journée claire. Ils ne devraient plus tarder à présent.

Keiss venait de quitter son entrainement. Il était inquiet pour la santé de Lagherta et leurs petits. Le camp était un endroit sécurisé, ils n'étaient pas en tant de guerre et pourtant... Le loup ne pouvait s’empêcher d'avoir une certaine angoisse. La mort de Trinity avait été brutale. Il n'avait pas été là pour son amie... Alors qu'elle avait en partie sauver lors de la venue de Médée. Keiss avait été minable.

Le loup finit par arriver lentement, en silence. Il lança un bref regard à l'assemblé. Sa chérie était en train câliner Fuurrin. Le guerrier les laissa tranquille. Elles avaient besoin de se soutenir l'une et l'autre. Keiss se posa à une distance respectueuse. Il posa son regard sur la stèle... lorsqu'il avait eu besoin d'aide, elle avait été là. Trinity était morte en étant oméga, sans rien. Il n'était qu'un piètre ami. Le deuxième mort était un chasseur du clan de la terre. Un loup que Keiss n'avait presque pas connu.

Verd portait toujours son deuil. Beaucoup étaient morts durant la guerre... Mais ils n'étaient pas les seules victimes. Trinity, une oméga et Ekynox étaient mort durant un accident de chasse. Le cousin Verd avait été un héro, mais comme Ragnar, il était mort en étant juste. La druidesse avait le coeur lourd. Lorsque Fuurin lui avait demandé de venir, Verd n'avait pas hésité une seule seconde. Elle espérait que leur âme avait pu être récupérées et ramenées auprès des Dieux. Ils avaient beau être mauvais et cruels par moment, ils valaient mieux être auprès d'eux plutôt que de rester à hanter les marais.

Verd arriva lentement, la lenteur était un acte de respect envers les morts. Elle ne connaissait pas bien les différents membres du groupe. Il n'y avait que Lagherta, la louve qui avait été sa belle-soeur pendant si peu de temps. Encore une fois, Lagherta était auprès d'une autre. Verd avait un immense respect pour elle. La louve ne s'était pas effondrée... Alors que la druidesse n'arrivait pas encore à gérer ces événements correctement.

La louve se posa à distance raisonnable, attendant un signe de Fuurin. Il fallait rendre hommage à Ekynox et à Trinity.

-Fuurin-

La première à arriver fut Lagherta. Elle avait bien récupéré de son accouchement, et pendant une fraction de seconde, Fuurin se sentit désespérément coupable de ne pas avoir été là pour la soutenir. Mais elle repoussa cette sensation. Son amie avait compris qu'elle avait cherché la solitude. Et elle se rattraperai, plutôt mille fois qu'une. La jeune mère vint l'enlacer de ses pattes, et la messagère se laissa faire, fermant les yeux un instant.

Lorsqu'elle Lagherta la lâcha, elle rouvrit les yeux et aperçut Léone. Son visage resta neutre, mais une pointe de colère traversa son cœur alors que l'alpha s'approchait. Après avoir refusé sa demande, voulait-elle venir enfoncer le clou devant tout le monde ? Mais Fuurin croisa le regard de la chienne, un regard neutre, sans colère aucune, et elle comprit qu'elle resterait respectueuse et juste.

« Tu devais beaucoup tenir à Trinity pour en faire autant. Je respecte ça. »

Fuurin baissa la tête pour remercier Léone, un peu intimidée. Les parents de Trinity arrivèrent peu après. Fuurin était un peu soulagée de les voir, après qu'ils ait renié leur fille pour son erreur. Mais la douleur intense d'avoir perdu un enfant se sentait dans tout leur être, et ils étaient là eux aussi pour faire leur deuil, et rendre hommage à l'ancienne polyvalente une dernière fois.

très vite, les autres arrivèrent : Keiss et Gaor, Tanyxoth, et Ystrelle et Cynthia. Verd aussi fit son entrée,revêtant à merveille son rôle de prêtresse malgré son propre deuil. Fuurin la salua légèrement, la remerciant encore une fois des yeux. Enfin, le deuxième alpha Zephilian arriva, créant un léger vent de surprise chez Fuurin. Elle ne l'avait pas invité, mais tous étaient les bienvenus tant que c'était dans le respect.

Finalement, après quelques minutes, Fuurin se rendit bien compte que Bélial ne viendrait pas. Le loup ne devait pas tant tenir à son fils que ça, ou alors devait détester les évènements sociaux. peut-être les deux. La messagère se tourna vers l'assemblée, beaucoup plus nombreuse que prévue, et sa gorge se bloqua. Elle n'avait jamais aimé parler en public, et cela faisait un mois qu'elle n'avait que des contacts très éparses avec ses congénères. Prise d'une bouffée d'angoisse, elle tourna vers Verd un regard mi-paniqué mi-implorant, et lui fit un signe de tête, signe qu'elle pouvait commencer la cérémonie.