chutes magistrales


Keiss était le plus heureux des loups. Il était père d'une magnifique portée. Les petits allaient bien, sauf Horick auquel il manquait une patte. Mais si le jeune père était inquiet, il s'était promis de s'occuper en particulier de ce petit pour l'aider à devenir un adulte accompli. Keiss avait vécu dans une bulle pendant deux jours, mais maintenant qu'il était bêta, il devait prendre ses responsabilité et ne pouvait pas rester auprès de sa famille. Le loup voulait rentrer le plus rapidement possible pour être avec eux. Le temps passait trop vite pour ne pas en profiter au maximum.

Le soleil déclinait lentement et il était temps de rentrer. Keiss avait dû se rendre chez certains sentinelles. Il fallait calmer les esprits... Et contrairement à son habitude, le loup ne s'était pas du tout mis en colère. Keiss était serein et heureux. Mais sur le chemin du retour, le loup reconnu une odeur particulière. L'immortel l'aurait reconnu entre tous... Et le loup décida de la suivre.

Keiss avait aussi un fils. Un enfant qu'il n'avait pas pu s'occuper. Le temps perdu ne pouvait pas se rattraper, mais le loup souhaitait essayer de connaître cet enfant. Le loup souhaitait que Doom rentre dans le clan afin qu'il puisse se reconstruire dans un endroit sain. Après avoir marché pendant de longues minutes, Keiss finit par le trouver.

Ils étaient quelques mètres de l'un de l'autre, Keiss n'était pas agressif. Il l'appela simplement :

-Doom !

-Doom-

L'été avançait à grand pas. Les saisons étaient l'unique chose qui rythmait la vie du solitaire, avec évidemment l'alternance jour/nuit quotidienne. Cela ne lui déplaisait pas, loin de là. Il n'avait aucun soucis, rien à penser, rien à faire à part chasser, boire, et s'amuser. Finalement, Doom était heureux. Il appréciait jouer avec les sentinelles, surtout de la Source. certaines le connaissait maintenant, quelque unes rentraient même dans son jeu, sachant qu'il partirait plus vite une fois qu'il se serait amusé un peu. D'autre étaient moins ... Compréhensives. Il avait encore des cicatrices sur le dos, laissées par un de ces sales cavernes. Elles ne partiraient probablement jamais à présent. Il n'était pas encore retourné à leur frontière, de peur de se faire de nouveau presque tuer.

Aujourd'hui, il avait le ventre plein. Les proies étaient nombreuse, et son instinct aiguisé lui permettait d'en chasser beaucoup en été. C'est pourquoi il avait décidé de rejoindre la frontière de la Source. Il avait marché longtemps, et s'était posé des questions, ce qu'il détestait. Pourquoi restait-il autant près de la Source ? Était-ce car son père y était ? Son inconscient n'était qu'un gouffre sombre pour lui, et ses pas étaient souvent uniquement guidés par son instinct. Peut-être qu'au fond la vie de solitaire ne lui allait plus, qu'il enviait son père et sa compagne, qu'il cherchait ... Une famille ?

Doom secoua la tête. Nan. il aimait être seul, boire l'eau du fleuve hibiscus sans que personne ne lui fasse de remarques. Il ne supporterait pas de vivre dans un clan, c'était sur ! Il réfléchissait trop ! Il arriva près de la frontière, mais il n'y trouva personne. Soupirant, il fit demi-tour avant de marcher en sens inverse. La nuit allait tomber et il était loin de sa tanière ... Il lui fallait trouver un endroit ou dormir. Il s'était arrêté dans une petite clairière, cherchant du regard un abris de fortune.

Soudain, il entendit une vois l'appeler. Il releva la tête, les oreilles tendues en avant, avant de reconnaître la silhouette de Keiss, sa queue reptilienne qui lui ressemblait tant à la sienne. Il sourit avant de s'approcher ,ne la franchissant pas. Son père était assez loin de la frontière, que faisait-il là ?

"Salut Keiss ! C'est rare de te voir par ici, Lagherta t'a jeté de la tanière ?"

Il lui fit un regard taquin. Les deux loups s'étaient revus plusieurs fois depuis leur première rencontre, même si Doom n'avait jamais revu Lagherta. Finalement, même s'il avait toujours un sentiment étrange à l'égard de Keiss, il l'appréciait en tant que loup. Il émanait de son père quelque chose qui lui rappelait lui-même, une aura de solitaire. Doom se disait qu'une fois qu'on avait été libre, on ne pouvait vraiment jamais revenir dans un clan sans garder ce côté là de con caractère.

Puis, une pensée lui traversa l'esprit. Keiss était assez loin de la frontière, et surtout du camp. S'il lui arrivait quelque chose ... Le visage de Doom se figea, souriant, mais son esprit dérivait. Il n'avait pas assez de force pour renverser son père, encore moins pour le blesser. Et s'il tentait, il détruirait toute la pseudo-confiance qui s'était installée entre eux. Aussi vite que l'idée était apparue, elle quitta son esprit, et Doom retrouva sa sympathie. En apparence, rien n'avait percé de son petit débat intérieur.

Keiss posa son regard sur Doom, le coeur alourdit pas la culpabilité. Son fils était dans un mauvais état, aussi physique que mental. Le bêta en était responsable. Il avait eut des relations avec une louves, sans amour, et il ne s'était jamais préoccupé d'une possible portée. Cette louve était morte, ses autres enfants aussi. Doom était un survivant...

Keiss le regarda de façon bienveillante, se rapprocha encore un peu puis finit par se poser à uns distance raisonnable. Ils n'étaient encore des inconnus l'un pour l'autre... Et le loup regrettait cette situation. Keiss était calme, la portée lui avait apporté beaucoup de sérénité. Il était moins violent et beaucoup plus patient.

-Bonjour Doom.

Il répondit avec un sourire :

-Non, Lagherta va bien... Et je ne suis pas ici à cause d'elle. J'ai senti ton odeur près de la frontière et je suis venu à ta rencontre.

Il prit une respiration, il avait longuement réfléchi à ce qu'il allait dire :

-J'aimerai mieux te connaître et jouer le rôle que j'aurai dû avoir... Je sais qu'il est trop tard pour beaucoup de choses, mais si je peux t'aider, je serai là désormais. A la première pleine lune de chaque mois, tu pourras me trouver à la frontière du clan, ici-même si tu le souhaite.

Keiss ne savait pas comment bien expliquer. Il avait fait des efforts conséquents.

-Donne-moi une chance.

Le loup avait promis à sa compagne d'être un bon père et il le serait... avec tous ses enfants.

-Doom-

Son père s'assit à une distance raisonnable de lui, et le salua. Il avait l'air fatigué, mais relaxé. Une odeur étrange parvint au museau de Doom, qui le fronça. Il sentait .... bizarre. Pas comme d'habitude. Le roux ne releva pas, attendant la réponse de son père.


Le solitaire releva un sourcil. Tiens donc, il était venu pour lui. C'était étrange. Personne n'attendait jamais Doom, personne n'allait le chercher. Il n'avait pas d'ami, pas de famille, et ne comprenait pas bien comment cela fonctionnait. Mais le vieux mâle semblait s'être entiché de lui, et continuait à venir le voir quand il pouvait. Il prit une longue respiration, et parla, le regard intense :


Doom ne bougea pas. Lui donner une chance ? Il pencha la tête, le sourire figé de son visage devenant presque sinistre. Son cœur battait lentement, trop lentement presque. Il était froid, glacial. Puis, il secoua la tête, et lâcha un rire qui résonna le long du ruissellement de l'eau. Peut-être allait-il offenser Keiss, mais il s'en fichait royalement. Pour une fois, il n'avait pas bu l'eau du fleuve et pourtant il se sentait étrangement amusé. Finalement, il laissa son rire mourir dans sa gorge, et reporta son attention sur son père, redevenant mortellement sérieux à l'instant même ou il posa ses yeux sur lui.

C'est un peu tard je crois.

Doom lui fit un petit clin d’œil. Il ne savait pas vraiment comment il se sentait à propos de Keiss, mais le fait que cet inconnu tente de se rapprocher de lui le faisait bien marrer. Personne n'avait jamais voulu ça, qui le voudrait ? Lui-même ne se connaissait pas. Il n'y avait rien à connaître, rien à chercher. Cependant, il devait se rendre à l'évidence : voir son père le rendait plutôt joyeux, et comblait ses faibles besoin en interactions sociales. Il avait beau essayer de se voiler la face, même les solitaires avaient besoin de parler un peu.

Mais je veux bien te retrouver ici à chaque pleine lune.

Il fixa son regard amusé sur Keiss, détaillant son visage. Il était vieux. Il était encore fort, avait été bien nourri ces derniers temps. Il se sentait si loin, si loin de ce père qu'il ne connaissait pas. Il dit, de sa voix toujours amusée, qui tranchait avec son regard froid :

Je ne te déteste pas tu sais. Tu es le seul à te torturer ici. Ma vie n'est pas si mal en Terre Solitaires, on s'amuse bien.

A la manière d'un félin, il lécha le dessus de sa patte et se nettoya le museau. Le mâle n'avait fait que dire la vérité. Son père avait l'air de se torturer pour que leur "relation" évolue, pour que son fils se sente bien, mais il n'y avait rien à faire.

Plus Keiss regardait Doom, pus il était attéré par l'aliénation de cet individu. Le jeune loup riait, mais il 'y avait rien de drôle dans ce rire. C'était un cri de douleur, de souffrance étouffée. Doom avait tellement souffert... Et sa première phrase était criante de vérité. Le temps ne pouvait pas être rattrapé. C'était douloureux à entendre.

Keiss resta immobile, souhaitant surtout garder contact avec cet enfant qu'il ne connaissait pas. Il ne voulait pas le brusquer, ni le faire fuir. La réponse de Doom était satisfaisante, le loup accepté ce premier pas vers lui. Keiss espérait pouvoir tisser des liens et de pouvoir jouer son rôle de père.

Doom continua de parler. Mais dire qu'il ne détestait pas Keiss était presque plus inquiétant. Le bêta avait l'impression que cet enfant était comme mort à l'intérieur... Quand Keiss avait passé des moments difficiles, c'était la colère qui lui avait permis de tenir et d'avance. S'il n'y avait cette flamme en lui, il était comme mort. Dans ce cas là, le loup n'avait été qu'une loque ambulante.

Keiss resta silencieux, conservant ses réflexions pour lui-même. Il ne savait pas comment continuer la conversation. Le loup ne connaissait rien de la vie de son enfants, de ses peurs ou de ses rêves. Il ne connaissait pas ses goûts, ni ces réelles compétences. Est-ce que Doom avait réussi à tisser des liens sur ces terres ? Keiss n'osa pas demander, ayant peur de le faire fuir.

-Tu sais où dormir ? Est-ce que tu trouves de quoi chasser ?

Le loup demanda ensuite :

-As-tu rencontré d'autre solitaire ?

Enfin Keiss expliqua :

-Doom, si tu souhaite un jour rentrer dans le clan des sources, je ferai tout ce qui est mon pouvoir pour que cela puisse se faire.

Le bêta faisait cette proposition, mais en réalité, il ne connaissait pas les attentes de Doom.

-Doom-

Keiss resta immobile et silencieux, de marbre. Il semblait un peu inquiet néanmoins, mais c'était normal pour un clanique. Doom le fixa, essayant de déterminer s'il était vraiment inquiet pour son fils ou s'il avait juste peur que Doom vienne déséquilibrer sa nouvelle famille. Le mâle Source lui posa une série de questions :


Doom leva les yeux au ciel, insolent. Qu'est-ce qu'il essayait de faire de toute façon ? La chasse lui souriait en ce moment, pas les femelles à son plus grand dam. Mais il n'était pas bien fort, et peu attirant pour les solitaires. Il répondit, un sourire narquois sur les babines :

Je me débrouille, je me débrouille. Mais ce n'est pas pour rien qu'on nous appelle les solitaires.

Le sourire de Doom se teinta d'amertume. Les claniques étaient tous comme ça finalement, à considérer que leur mode de vie éyait le meilleur. Mais jamais Doom ne voudrait échanger sa liberté totale contre la sécurité d'un clan. Il n'avait que faire d'avoir une famille, d'avoir d'autres loups. Tout ce qui pourrait lui faire plaisir, ça serait une femelle pour une nuit, mais c'est tout. Il aimait être seul. Il répondit, sur le ton de la blague :

Tu penses vraiment qu'un clan voudrait de moi ? Et même si c'était le cas, les claniques me dégoute. Se regrouper à autant au nom de la "sécurité", ça me dégoute.

Ce débrouiller... Cette réponse inquiétait Keiss. Se débrouiller, c'était le système D. Ce n'était pas réussir. En même temps, le loup avait déjà sa réponse rien qu'en posant les yeux sur son enfant. Il n'allait pas bien, cela se voyait physiquement. Le corps abimé par la faim, mais surtout la solitude. Le bêta comprenait, peut-être mieux que pouvait le penser Doom. Keiss avait perdu la perte de ses proches, il avait eut une vie d'errance et difficile. Il avait connu la faim et surtout, son esprit s'était cassé pendant un temps. Les murs de sa pensée s'étaient rapprochés au point de le pousser dans une certaine forme de folie. Keiss avait fait beaucoup de mal... Mais Lagherta l'avait trouvé, sa présence l'avait soignée et sauvée. Peut-être que Doom avait besoin de quelqu'un comme elle ? Ou peut-être que cet enfant n'était pas récupérable...

Keiss osa faire un pas, un petit pas vers son fils. Le loup ne voulait pas lui faire peur, juste lui montrer qu'il était là. Le loup répondit, d'une voix profonde et calme. Keiss n'avait jamais autant ressemblé à son propre père à cet instant.

-La sécurité est une chose... Que cela soit celle du territoire ou de l'alimentation. Mais ce n'est pas pour ça que les loups se réunissent et vivent en groupe. Je ne dis pas que c'est toujours facile, mais cela permet d'avoir quelque chose de plus.

Que lui apportait la vie dans le clan ? Sa famille, avant tout. C'était ce qui lui permettait d'avoir ses proches auprès de lui et de pouvoir les protéger.

-Le clan, c'est avoir un groupe qui te dis quand tu ne fais pas quelque chose de bien, mais qui t'aide aussi à te relever quand tu as échoué. Seul tu peux aller plus vite, mais dans un groupe tu vas bien plus loin.

Cela permettait aux individus de progresser,

-Je sais que cela peut paraître étrange, mais cela apporte beaucoup de bien-être de faire partie d'un groupe... C'est ce qui m'a permis de m'apaiser.

De devenir autre chose qu'un loup sauvage, peu bavard et violent. Et Keiss espérait seulement que son fils puisse éprouver un certain bien être.

-Ce que je veux dire, c'est que cette possibilité existera toujours. J'ai été nommé bêta du clan, je trouverai le moyen de te faire rentrer dans la meute si tu le souhaite.

Ce n'était pas une proposition anodine.

-Doom-

Keiss répondit, après avoir fait un pas dans la direction de son fils, d'une voix grave, calme. Il se mit à parler du clan. De son clan. De la sécurité, du groupe. Doom resta de marbre, jusqu'à ce que Keiss parle de lui-même :


Doom grimaça. Sa poitrine s'emplit d'une froideur, de celle qu'il connaissait bien, de celle qui finalement ne partait jamais vraiment. De sa colère. Il n'était que ce que son père, ou plutôt son absence, avait fait de lui. Il n'avait pas besoin d'un clan, il n'avait plus besoin d'une famille, et Keiss ne semblait pas le comprendre. Il était un solitaire, pour lui la forme la plus pure de vie des loups. La plus naturelle. Et si le loup bleu se bornait à ne pas comprendre ...

Beta hein ? Ses petits camarades lui avaient même donné un titre, pour le récompenser de s'être sorti de son terrible état, de sa folie peut-être. Sauf que c'était cette folie qui avait engendré Doom, et son destin en avait été marqué à jamais. Son coeur battait toujours dans sa poitrine, lentement, calmement, alors que la colère l'envahissait, aussi destructive pour lui que pour ceux autour de lui. Il releva les babines, montrant ses dents, hérissant son échine par instinct. Il fixa son père dans les yeux. Il était tentant d'essayer de se jeter sur lui, de venir le renverser pour lui montrer, lui montrer, lui montrer qu'il n'était pas grand chose, que son clan ne le protégerait pas éternellement de ses erreurs. Mais il était plus fort, nettement. Doom n'avait aucune chance.

Le silence tendu qui s'était installé avait perduré bien plusieurs longues secondes. Finalement, Doom s'ébroua pour faire retomber la tension, un gout amer dans la bouche. Il avait toujours été faible. Fuyard. Un trait familial apparemment. Il cligna des yeux avant de répondre d'un ton léger, qui tranchait parfaitement avec sa réaction de quelques secondes avant :

Si t'as rien d'autre à me dire, je me tire.