-Okazeh-

Le vent battait les oreilles de la beta, faisant virevolter ses plumes et ses poils en tout sens. Les pattes solidement ancrées dans le sol, Okazeh était concentrée. Devant elle, planté dans la terre sèche et rocailleuse des montagnes, se trouvait un arbre mort, les branches tristement dévêtues lancées vers le ciel gris. Elle se concentra, intensifiant encore le vent autour d'elle, et d'un soubresaut créa un tourbillon faisant voler la poussière autour de l'arbre. Mais ce dernier était trop bien ancré dans le sol pour s'arracher. Elle poussa un grognement de rage, les muscles contractés, et déchaîna le vent autour d'elle. En un grincement lugubre et terrible, les racines noires de la carcasse s'arrachèrent, centimètre par centimètre, du sol. Puis, comme s'il avait abandonné, l'arbre entier se détacha , prit dans le vent, et tomba à la renverse.

Okazeh relâcha son pouvoir, faisant immédiatement taire le vent, et prit une grande inspiration. Elle avait réussi, mais la concentration nécessaire avait été intense : jamais elle ne pourrait arriver à un tel niveau de concentration en combat.

Les pouvoirs étaient revenus depuis peu. Pas pour tous, seulement pour les magies les plus élémentaires. Son pouvoir, issu de l'Air, avait été l'un des premiers à revenir, et depuis elle rêvait de s'entraîner. Le rush d'adrénaline, la sensation de puissance, tout cela lui manquait cruellement depuis plusieurs mois. Elle avait donc choisi un jour plus tranquille pour partir, à la frontière entre la forêt et la montagne, pour s'entraîner tranquille.

Soudain, alors qu'elle reprenait son souffle, elle sentit une odeur musquée. Un loup, un étranger. Immédiatement en alerte, elle tendit le cou et suivi la piste, un peu plus au cœur de la forêt. Pénétrant lentement dans la forêt, aux aguets, elle suivait l'odeur qui se faisait de plus en plus intense. Puis soudain, elle aperçut l'étranger, qui avait traversé la frontière d'à peine quelques mètres. Elle gronda, menaçante. Il n'avait rien à faire ici, la frontière était bien marquée.

Le solitaire, en l'apercevant, s'assit, l'air perdu et penaud. Okazeh resta immobile. Il n'avait pas l'air menaçant, seulement perdu. C'était un imposant mâle, principalement noir, mais son expression démontrait de son pacifisme. Il prit la parole, d'une voix venue d'ailleurs, aux accents roulants du nord :


Okazeh plissa les yeux. Elle n'avait jamais été confrontée à un solitaire ayant traversé une frontière, et même si elle savait qu'elle était sensée le renvoyer hors du territoire du clan, ce mâle semblait plein de bonne volonté. Elle se redressa légèrement, se détendant imperceptiblement mais restant sur ses gardes.

La route la plus courte serait de suivre la frontière. Mais tu arriveras vite à la mer, et à moins de savoir bien nager, tu seras bloqué. Qu'espères-tu en allant par là-bas ?

-Okazeh-

Dès qu'elle s'approcha, le mâle rentra la queue entre ses pattes, présentant sa nuque dans une posture soumise. Il ne semblait pas être un danger, peut-être avait-il traversé la frontière justement en espérant tomber sur un clanique pouvant l'aider ? La vision de l'étranger en si basse posture, se recroquevillant, inspira de la pitié à Okazeh. Elle se détendit, presque sans s'en rendre compte, le poil de son échine se baissant.


La voix grave du solitaire fit soupirer la beta. Il était vraiment perdu celui-là. Elle secoua la tête, puis s'assit. Elle choisissait d'avoir confiance en cet étranger qui avait l'air si paumé, après tout, elle n'était pas sentinelle, et elle n'aimait pas laisser un autre loup en detresse, même si c'était un mâle aussi imposant.

La mer, c'est une sorte de grande étendue d'eau salée, avec des vagues et des poissons. Imagine de l'eau jusqu'à perte de vue, imbuvable, et qui peut t'emporter et te noyer.

Okazeh eut un léger frisson. Elle détestait les vagues, elle détestait les eux profondes et la sensation de peur qui la prenait quand elle perdait le contrôle. Peut-être qu'un jour elle travaillerai sur sa peur de l'eau, ou pas. Elle n'avait pas tant envie. Elle reporta son attention sur le loup en face d'elle. Avait-il tout compris ? Parlait-il bien leur langue, déjà ? Elle décida de lui donner un avertissement, au cas ou la ligne olfactive qu'il avait franchie n'était pas suffisante.

En tout cas, étranger, tu ne peux pas pénétrer sur les terres du clan. Il va falloir que tu fasses demi-tour.

-Okazeh-

Au fur et à mesure de l'explication de la beta, les oreilles du mâle tombèrent le long de sa tête en une expression de désespoir. Son visage, avant neutre, se teintait d'une tristesse sans nom. Il reprit la parole, longuement, pour lui expliquer sa situation.


Le cœur d'Okazeh se serra. La voix tremblante du loup la convainquit (36) qu'il disait la vérité. Elle n'osait pas imaginer l'horreur d'une telle scène, se mettant naturellement dans la peau du loup en face d'elle.


Il finit par faire demi tour, avançant lentement vers la frontière. Okazeh grimaça, à l’abri de son regard. Elle n'avait pas grand chose à faire de ce solitaire, mais elle avait un cœur, et son histoire la touchait, peut-être trop profondément. De plus, il était un mâle en pleine possession de ses moyens, et pourrait être utile au clan. Régulièrement, des sentinelles rapportaient de nouveaux membres, qui s'intégraient ensuite plus ou moins bien au sein du clan. Pourquoi pas celui-ci ? La louve ailée se devait de réfléchir encore un peu. Elle ne pouvait pas prendre le risque d'amener un individu dangereux, surtout seule. Mais la frontière était gardée, et en hurlant elle pouvait probablement alerter les sentinelles qui surveillaient cette zone. Finalement, voyant l'individu s'éloigner peu à peu, elle l'invectiva :

Attends, solitaire !

Alors qu'elle regagnait son attention, elle lui dit d'une voix calme, encore méfiante bien que bien moins qu'au début.

Ton histoire me touche. Notre clan n'accepte pas les meurtres, surtout ceux de junéviles. Si jamais ce fou ose mettre une patte sur notre territoire, il sera jugé pour ses actes.

Le regard de la louve se fit plus intense, intéressé. Elle tentait de sonder le mâle, pour savoir s'il était digne de confiance. En attendant, elle pouvait bien le présenter à l'alpha, sous bonne garde. Il avait une carrure svelte mais musclée, mais rien que les guerriers Désert ne puisse arrêter.

En attendant, nous pouvons peut-être t'offrir l'asile, si tu sais te rendre utile et respecter les règles d'un clan.

La beta avait insisté sur le "peut-être". C'était la première fois qu'elle rencontrait ce cas de figure, car les solitaires ne désiraient en général pas rejoindre le clan, ou bien ceux qui le faisaient avaient déjà des connaissances au sein du clan, comme Deenos. Elle se devait d'avoir d'autres avis si le mâle désirait rejoindre le Désert.

-Okazeh-

Comme prévu, le mâle s'arrêta pour l'écouter. Il garda sa posture soumise, inoffensive, et répondit ;


Okazeh hocha la tête. Elle n'allait pas l’empêcher d'aller là ou il souhaitait se rendre. Il commença à marcher vers la mer, quittant le territoire du Desert, avant de se retourner et d'ajouter :


Okazeh ne dit rien. Une légère pointe glacée perça dans son ventre, comme un pressentiment. Qui était vraiment ce mâle ? Elle le regarda s'éloigner lentement, jusqu'à ce qu'il ne disparaisse, caché par les arbres. Puis, elle se leva, et rentra au clan. Elle fit un rapport à son alpha, autant sur l'étranger que sur ce fameux fou furieux qui le poursuivait, au cas ou les sentinelles tomberaient dessus, puis rentra chez elle.