Il y a de ça peut-être deux heures, Le Faucheur venait de terminer son travail auprès d'Ekynox et Trinity. En principe, il s'arrêtait à la récupération de l'âme et allait vers Rhéa, mais il avait décidé de faire autrement. Cette fois, il allait annoncer la mort de ces deux individus. Cet élan lui était venu parce qu'il s'était dit que vu l’emplacement des corps, quelqu'un mettrait peut-être du temps à les trouver, voire ils ne les trouveront jamais. Ils étaient très proches des marais et la femelle s'était faite tuer par l'un des monstres. Par simple logique, ce monstre devait encore roder dans les parages du désastre et serait tenter de se nourrir de leurs corps. C'était peut-être même déjà fait. Il avait deux individus à aller voir : Bélial, le père d'Ekynox et Fuurin, une louve grise qui fut très proche de Trinity. Il souhaitait faire les annonces ce même jour, pour que tout s'enchaîne et ne pas laisser trop de temps se passer. Puis, comme il était dans le secteur, il n'allait pas repartir chez lui pour revenir. Il n'allait pas non plus coucher dans les plantes mouvantes pour reporter ça le lendemain. S'il le faut, il arrivera de nuit auprès de la messagère grise.

Nous étions au crépuscule, l'environnement s'était assombri par rapport à tout à l'heure, mais le soleil encore présent au sol, éclairait de façon tamisée et d'une belle couleur orangée les lieux, s'alliant avec le bleu foncé du ciel.
C'est aux cascades à l'envers qu'il trouva Bélial. Celui-ci était couché en sphinx au bord du bassin et regardait les remous en lévitation d'un œil distrait. Le Faucheur s'était arrêté et l'observa un instant. Il n'avait pas la moindre idée de comment le crêteux réagira. Tristesse ? Colère ? Dégoût ? Il y avait plusieurs possibilités concernant Bélial. Dans les souvenirs d'Ekynox, il avait pu apercevoir la relation qu'ils entretenaient. Père et fils n'étaient pas tellement proches. Même si le fils se montrait enthousiaste sur leur relation, ce n'était pas pareil pour le père. Bélial l'était plus avec ses enfants dit légitimes, qu'il avait dû abandonner à son frère à contre cœur durant Pandore, et qu'il avait retrouvé à son retour au pays. Ekynox était arrivé dans sa vie comme un cheveu dans la pâtée. À ce type de bouleversement, le père avait réagi de façon cordiale et l'avait accepté, mais pour lui, sa relation avec son fils fut neutre.

Bélial, j'ai une nouvelle pour toi.

L'annonceur était à présent à deux mètres de lui, resté debout. Le crêteux n'était pas stupide et il savait très bien ce qu'il était. Par conséquent, le guerrier retraité devait se douter de pourquoi il venait. Le Faucheur n’annonçait pas des nouvelles réjouissantes en temps normal.

Bélial ne fut pas inquiet de voir Le Faucheur. Il ne semblait pas non plus inquiet à l'idée de cette nouvelle, sachant pourtant qu'il s'agirait d'une mauvaise. Il se montrait même sûr et un peu revêche, bien qu'il ne le provoqua pas. Monsieur est contrarié de se faire déranger ?

J’imagine que tu viens pas m’annoncer la naissance d’un gosse dont j’ai oublié la mère. De quoi s’agit-il ?

A ces paroles, le loup blanc eut un rictus amusé. Effectivement, il ne venait pas lui annoncer la naissance d'un enfant illégitime. Ce serait plutôt Odine qui ferait ça. De toute façon, un de plus ou un de moins, qu'est-ce que ça lui ferait s'il ne le connaît pas ? Les frères cendrés ont disséminé leurs gênes à droite et à gauche, profitant pleinement des chaleurs durant leur jeunesse. Quoique Bélial semble le faire encore et après tout, il peut bien. Les Gothic se trouvaient autant à l'intérieur qu'à l'extérieur de ce pays. La branche principale constituait une petite meute dans une grande et ils pourraient très bien construire la leur sans la Source avec la certitude de vivre parfaitement.

Non, pour ça, c'est Odine qui viendrait. Je ne m'occupe que des fins.

Quelques secondes après, Le Faucheur se racla la gorge brièvement tout en fermant les yeux, reprenant son sérieux. Il avait une chose à faire et ce n'était pas le moment de divaguer. Après, peut-être. Avec Bélial, il savait qu'il n'y aurait pas besoin d'y mettre les formes. Ainsi, Le Faucheur n'y alla pas par quatre chemins et annonça de but en blanc, sans prendre de pincettes :

Ekynox est mort aujourd'hui, d'un cerf géant, en sauvant Trinity, une oméga de chez vous. Ils sont tombés dessus au cours d'une chasse.

C'était clair, net et concis concernant la circonstance de la mort. S'il voulait d'autres détails, libre à Bélial de les lui demander. Néanmoins, Le Faucheur n'était pas sûr qu'il les lui demanderait, sachant la relation qu'il estimait pour son fils. Peut-être se fichera-t-il des détails, se contentant de ce résumé.

Comme je le pensais, sa mort t'indiffère. Je sens même de l'amusement face à la circonstance de sa disparition.

Est-ce qu'il en voulait à Bélial de se ficher de la mort de son fils ? Est-ce qu'il ressentait un certain énervement ou une baisse d'estime à son encontre ? Pas vraiment. Bien entendu, c'était toujours quelque peu désagréable pour Le Faucheur que quelqu'un se fiche, voire soit plus ou moins amusé par la mort d'un proche. Néanmoins, s'il s'en offusquait et trouvait cela horrible au tout départ de sa prise de fonctions, après environ 250 ans à voir toutes les réactions possibles et inimaginables à l'annonce d'une perte, il s'était accommodé à l'indifférence. Seules quelques situations l’énervaient encore. Même lui pouvait rire de la circonstance d'une mort. Tout le monde pouvait avoir ri au moins une fois dans sa vie d'une mort de merde, incongrue ou paradoxale, surtout quand on ne connaît pas la personne. Parfois, c'était peut-être mieux d'en rire ou au moins de bien prendre la chose que de se morfondre.

- Je n’avais pas vraiment d’affection pour Ekynox. C’est dommage qu’il soit mort et j’irai quand même voir le lieu où il sera enterré, si tant est qu’il le soit. Mais bon, ça ne va pas changer grand-chose à ma vie.
- Si tu veux voir son corps et l'enterrer, il se trouve à la frontière vallée et marais. Mais je doute qu'il soit encore là... Trinity est morte à cause d'un monstre des marais, il a très bien pu aller manger Ekynox ensuite. Pour ma part, je n'irai pas ramener son corps chez moi. Si vous souhaitez le cimetière, alors c'est à vous de l'apporter et d'y creuser sa tombe. Je n'effectue le rôle de fossoyeur que dans certaines situations.

Si pendant plusieurs années il le faisait à chaque fois, cela fait bien longtemps qu'il a arrêté de rapporter les cadavres au cimetière, de creuser un trou, de mettre le corps et de reboucher le trou. Comme il l'avait dis, il ne le fait plus que parfois : quand il connaissait bien la personne ou l'estimait, quand quelqu'un meurt chez lui tel Adrian et Hybris ou quand le corps ne se trouve pas loin et que ce n'est pas trop contraignant de l'embarquer.

Quelque part, je suis presque content que le sort ait décidé que ça soit lui et pas un autre. Je sais pas ce que toi, le représentant de la mort, tu peux bien en penser, mais j’avais le pressentiment qu’un proche allait mourir depuis un moment. Un peu avant la Bataille des Éléments pour être précis. J’ai pensé à un drame sur le champ de bataille, mais rien n’est arrivé et Gothic n’a même pas été blessé par Yogrenn. Je pensais que c’était qu’un bête tour de l’esprit. Maintenant j’ai un doute, mais c’est peut-être un simple hasard.

Le guerrier retraité lui explication quelque chose. Est-ce pour justifier sa réaction auprès du Faucheur ? Ou juste parce qu'il se posait des questions sur ce qu'il avait pressenti ? En tout cas, Le Faucheur comprenait mieux le sentiment de soulagement éprouvé. Étant donné que Bélial ne fut pas proche d'Ekynox, il préférait que ce soit lui et non un autre. La perte ne l'affecterait pas pour le restant de ses jours comme ce serait le cas pour un autre membre de la famille. Il avait eut un mauvais pressentiment, avant la bataille des éléments, sachant que quelqu'un allait y passer.

Les pressentiments peuvent être faux comme s'avérer justes. Comme tu le sais, nous sommes tous dotés d'un sixième sens. Certains l'ont plus aiguisé que les autres. Il nous permet notamment de sentir les catastrophes naturelles arriver, mais je ne dois rien t'apprendre. Il peut aussi nous alarmer sur un changement qui viendrait affecter notre groupe sans pour autant savoir ce qui se passera, juste qu'on a la certitude qu'il se passera quelque chose. Ou qu'une louve que l'on connaît va mettre bas. Quelquefois, il nous permet de sentir le Destin de quelqu'un s’atténuer et s'arrêter, en ayant une idée ou pas de la personne concernée. Les rêves prémonitoires font aussi partie de ce 6ème sens. En bref, c'est tout ce qui fait notre instinct. Concernant la mort, je suis à part de vous, car il est particulièrement développé chez moi, au point que l'on peut dire que j'ai un 7ème sens. En tout cas, c'est tout à fait normal et il se pourrait qu'un jour ce pressentiment revienne lorsque ton frère partira, par exemple. Pourquoi l'as-tu senti alors que la perte d'Ekynox t'indiffère ? Peut-être à cause des facteurs environnants qui ont aussi joué.

Ce fut à son tour de hausser des épaules. Il détacha son regard de cendré, regardant le ciel étoilé. Il devait aller porter la triste nouvelle à Fuurin. Il en avait fini avec Bélial. Inutile de rester plus longtemps, aucun des deux n'en avait envie. Dommage quelque part, peut-être auraient-ils pu poursuivre en parlant un peu d'autre chose. Il reporta son regard sur le retraité.

Au r'voir Bélial. Au fait, un garde annoncera leurs morts au clan dans la matinée.

Ensuite, il tourna des talons et alla s'enfoncer dans les plantes mouvantes, faisant cap sur le campement où Fuurin s'y trouvait probablement.