Tanyxoth avait l'impression d'avoir fait un grand bon en arrière. A l'époque où il était jeune, et seul. Seulement à cette époque là, ça ne le dérangeait pas, c'était dans ses habitudes, il ne s'en préoccupait pas plus que ça. Puis il avait rencontré cette petite boule de poil brune, et il avait pris soin de lui, et il l'avait vu grandir et devenir un fier et puissant guerrier.

Il avait aussi rencontré Abby, il avait profondément aimé la louve, ils avaient eu une portée, qui avait péri, et Abby était partie.

Puis sa petite boule de poil était partie aussi, à la guerre. Il avait sauvé tout un peuple, tout un pays, pas tout seul c'était vrai, mais il l'avait fait. Seulement il en était mort.

A présent Tanyxoth ne ressentait plus rien, ni peine, ni douleur, ni colère. Plus rien. De son coeur il ne restait que des cendres, Tanyxoth avait tout perdu, même sa beauté en perdant ses bois, qui maintenant repoussaient et semblaient ridicules.


Alors Tanyxoth se donnait à fond dans la dernière chose qu'il restait de lui: son rôle. Peut être même un peu trop, le cerf ne dormait presque plus, faisant plusieurs rondes par jour, quérissant plusieurs rapport des sentinelles. Il doutait qu'il y aie une revanche des cavernes, mais il n'était jamais trop prudent. De plus, il s'assurait chaque jour que les médecins avaient tout le nécessaire, et passait le reste du temps à s'entrainer ou à observer les entrainements.

Il était satisfait de son remplaçant en tant que chef d'armée. De plus, Svalrog était là pour Verd, ce que lui n'avait pas réussi à faire. Sa belle fille, enfin... son ancienne belle fille devait être démolie, dévastée, tout autant que lui, mais Tanyxoth n'avait pas réussi à faire un pas vers elle.

A la fin de l'enterrement de son fils, il était allé voir Lagherta, mais n'avait rien dis. Il aurait voulu la remercier, de ne pas avoir résisté concernant l'écharpe, mais il pleurait trop, elle aussi, et il n'avait rien pu dire. Il avait simplement baissé la tête et lui avait donné un coup de museau, c'était à ce stade le plus grand signe de soutien qu'il avait pu lui offrir. Depuis, il n'avait pas non plus fait un pas vers elle, il ne le pouvait tout simplement pas. Il voyait son fils à travers elle, à chaque fois qu'il la croisait. Bien qu'ils ne se ressemblaient pas, le même sang coulait dans leurs veines.


Ce jour là, il avait fait ses rondes, s'était enquis de l'état des réserves des médecins, puis avait assisté un groupe de chasse qui revenait avec un gibier imposant pour le tracter jusqu'au tas, ensuite il avait remplacé un garde pour une raison plus que naturelle: ce dernier devait assouvir ses instincts de mâle avec sa compagne.

Parce que Tanyxoth ne s'était même pas rendu compte que c'était les chaleurs, il ne faisait plus attention à ce genre de détail.


Après cette journée lourde, il s'était enfoncé dans les plantes. Il marcha longtemps, passa près de la tombe de Karara, ferma les yeux un instant, par respect pour sa mémoire. Puis il avait marché un peu plus, et s'était arrêté devant sa tombe.

Les plantes avaient noués leurs racines tout autour, au printemps prochain, la tombe serait entourée de fleurs blanches. La terre retournée reprenait lentement ses droits, de la mousse poussait dessus. Tanyxoth s'assit, baissa la tête et resta là très longtemps.


La lune était déjà haute dans le ciel quand il soupira, avant de se lever. Il regarda la tombe de son fils puis fit demi tour, il devait dormir un peu. Lentement, il repris sa marche à travers les plantes, marchant droit vers le camp. Tout ce qui faisait du bruit cette nuit là, c'était les créatures nocturnes. Peut être qu'il croiserai l'un ou l'autre chasseur qui appréciaient particulièrement leurs gouts.

Alors qu'il était sur le point de quitter le cimetière, il entendit des branches se casser, suivit d'une course effrénée. Il s'arrêta, peu envieux de se prendre la course en pleine poire.

Soudain, un cerf géant, relativement jeune vu sa musculature encore svelte, déboula en face de lui. Il tendit les pattes, sursautant, figé. Un éclair surgit alors et le cerf se retrouva au sol, à quelques mètres à peine de lui. Il regarda le bétail, abasourdi. Une louve qu'il ne reconnu pas tout de suite était sur lui et l'achevait. Il ne fit pas un pas, ne sachant détacher son regard.

Finalement la louve se recula et il reconnu Eden, une redoutable chasseuse. Elle s'excusait platement, savant que le cerf aurait très bien pu ôter la vie du bêta en le piétinant. Il ne réalisa pas tout de suite. Finalement il secoua la tête et posa ses yeux sur la louve.


Il s'approcha du cerf, réellement mort cette fois, malgré la pénombre, il voyait très bien le sang couler, et le pelage déchiqueté du cou du cerf. Un geste parfaitement accompli. S'il n'était pas dans un état second, il aurait sifflé.



C'était peut être un cerf juvénile, la nuit il vallait tout autant qu'un cerf adulte. Tanyxoth tourna la tête vers les tombes, regardant celle de son fils. Son ventre se tordit à l'idée qu'on vienne piétiner sa scépulture. Il retourna la tête vers Eden.

Il hocha lentement la tête, satisfait par la persévérance de la chasseuse, pensant un instant qu'il était bien chanceux de l'avoir dans son plutôt que d'être ennemi avec. La chasseresse posa fièrement une patte dessus et Tanyxoth ne pu retenir un sourire en coin, elle avait de quoi être fière, et malgré toute l'expérience qu'elle pouvait avoir, elle savait être fière de "si peu", c'était important.

Il hocha la tête et se releva pour l'aider. Il ne releva pas la plaisanterie, avoir des bois qui poussaient et tombaient comme les cerfs ne faisait pas de lui l'un des leurs, il en mangeait toujours, bien qu'il préférait le gout des vaches ou des lapins. Toutefois, l'air amusée de la louve le détendit, et il se permis finalement de rire avec un sourcis levé. Cependant son rire roquailleux était rouillé, il n'avait pas ris depuis longtemps.


Cela faisait du bien aussi d'être traité comme tout le monde. Si Tanyxoth se plaisait de son rôle et était fier d'être bêta, parfois les marques de respect constants le fatiguait, après tout il était comme tout le monde, même si supérieur hiérarchique.

Mais oui, Tanyxoth, au delà d'être un hybride, était un loup grand, fort et imposant. Il passa la tête sous le cou de la bête pour la hisser sur son dos, la moitié pendait encore de l'autre côté et il regarda Eden le temps qu'elle se prépare avant de prendre la direction du camp.

Tanyxoth sourit, ne réfléchissant pas à savoir si c'était de l'ignorance, de l'inconscience ou de la stupidité de la part de la louve. Etait-ce peut être même un peu d'humour? Ce qui le rassurait, c'était qu'elle était cheffe de son groupe de chasse, on n'atteignait pas ce rôle sans rien faire, surtout dans la chasse au gros gibier. Eden savait ce qu'elle faisait.

Cela lui faisait du bien, de ne pas devoir penser à grand chose. Son pelage s'imbibait du sang odorant du cerf. S'en préoccupait-il? Pas tellement. Il ne sentait qu'à peine l'épaule de la louve contre la sienne, le frôlement de leurs poils. Il marchait, simplement, supportant le poids du cerf comme s'il était en plumes. Il l'aurait peut être pris en entier, mais après tout Eden avait simplement demandé un coup de patte.

Sa queue battait lentement, Tanyxoth retrouvait un semblant de sérénité, il faisait quelque chose de simple, ne pensait pas à grand chose, et commençait à oublier la raison de sa présence ici. Sauf que son visage s'assombrit. Il se rappela qu'il n'était pas le seul à avoir vécu un drame, Eden ayant perdu son compagnon pendant l'ère d'Akui. Pourtant, elle semblait s'en remettre si bien... Tanyxoth ne voulu rien lui dire à ce sujet, ni lui poser de question ni lui demander si elle allait bien , de peur de faire disparaitre la vie qui émanait d'elle et non plus de lui. Il se racla la gorge, soucieux de changer mentalement de sujet.

Tanyxoth entendit le grondement de l'estomac de la chasseuse, mais ne fit aucune remarque. Le sien aussi grondait au début, mais il s'était rapidement habitué à l'anorexie. Toutefois, il ne pu vraiment pas se retenir de rire devant la moue d'Eden, et encore moins devant sa répartie. C'était vrai, Klank était d'un démonstratif sans borne.



Il se tut, entrant dans le clan, quittant avec une difficulté dissimulée le refuge de son fils. Mais il gardait le rythme pour ne pas déséquilibrer la louve avec sa proie. Ses oreilles se tendirent toutefois, mais il ne répondait pas. Son estomac était silencieux, et il était trop habitué à cette sensation de faim qu'il ne la sentait même plus. Mais Tanyxoth était un gentleman, il ne pouvait refuser l'offre. Il hocha lentement la tête alors qu'ils s'approchaient du tas de proie, où ils ne déposeraient donc pas le cerf fraichemnet tué.



Certes, il faisait nuit et la majorité du clan se reposait, ce n'étiat pas le cas de tous et l'odeur pouvait très bien réveiller ceux au sommeil plus léger. Tenant toujours sa moitié de cerf, il conduisit la louve près d'un arbre, dans un endroit plus paisible, avant de poser sa part. Désignant le cerf géant, il resta debout.



La hiérarchie voulait qu'il commence le repas et que personne n'y goute tant qu'il n'y avait pas planté ses crocs. Toutefois ce n'était pas lui qui l'avait abattu, et s'il en avait porté la moitié, il ne l'avait ni traqué ni poussé dans ses retranchements, l'honneur de la première bouchée ne lui revenait pas.

Le rire cristallin de la louve le fit légèrement sourire. Il resta debout, attendant de sa patience légendaire qu'elle finisse de découper sa cuisse. Il la suivit du regard, bon observateur, tandis qu'elle s'installait. L'odeur du sang et de la chair lui chatouilla à nouveau les narines, mais repoussait encore plus le peu de faim qu'il ressentait.

Il leva un sourcils alors qu'elle répondait enfin. Elle se coucha près de son morceau, et Tanyxoth la regarda sans bouger, le temps de quelques secondes. Décidement, il ne comprendrait jamais les femelles... Au moins, elle a choisi son morceau en premier, c'était déjà ça, parce que Tanyxoth savait qu'il n'allait pas manger beaucoup. Il haussa les épaules.



Il s'approcha du reste de la carcasse, cherchant un morceau assez tendre pour ne pas agresser son estomac affaibli par le manque d'approvisionnement. Il ne tenait pas à régurgiter ce cerf si bien chassé. Il planta finalement ses crocs dans l'encolure de la bête, tandis qu'Eden faisait de même sur son cuissot. Il aurait pu le retourner pour prendre le deuxième, mais après l'effort de l'avoir porté jusqu'ici, il ne se sentait pas de taille pour le renverser, et puis cela aurait forcé Eden à changer de place, ce qui n'était pas digne d'un gentleman.


Alors qu'il mastiquait lentement, prenant son temps sur le petit morceau de viande qu'il avait arraché, il remarqua la louve les yeux fermés, complètement ravie par le repas. Celle là au moins elle prenait ça à coeur! Cela avait certainement meilleur gout quand on passait la nuit à le chasser. Il continua de l'observer, mâchant son morceau déjà réduit en bouillie, tout en tentant de décrypter ses expressions.


Au bout d'un moment toutefois il dut changer de visuel, sachant pertinnemment que fixer quelqu'un comme ça rendait mal à l'aise, et ne se faisait pas. Retenant la nausée, il avala sa bouillie.




Puis il reprit un morceau.


Lentement, ils finirent tous deux leur repas. Tanyxoth, N'ayant pratiquement rien mangé, se leva pour aider Eden à remettre la carcasse sur le tas. Il lui dit bonne nuit et la regarda s'éloigner. Puis, alors que la nausée se faisait de plus en plus violente, il s'éloigna au pas de course vers un endroit discret, pour rendre tout le peu qu'il avait avalé, et que son estomac fragile n'avait pas pu supporter.