-Doom-

Les temps n'étaient pas très glorieux pour Doom. Après avoir eu la certitude que les adeptes ne chassaient plus les solitaires, il s'était senti enfin plus en sécurité sur ses terres, et avait recommencé à les arpenter comme il le faisait avant. Les dernières chaleurs l'avait fait tourner en bourrique, et il avait beaucoup trainé près des frontières des claniques, jusqu'à agacer les sentinelles qui à présent le chassait à vue. Il avait dû s'exiler plus loin. Il avait décidé de retourner vers le cimetière, mais était tombé sur de nouveaux territoires inconnus, à présent marqué par l'odeur forte d'un troisième clan. Ses terres s'étaient encore réduites. Il avait essayé de tester un peu les frontières de ce nouveau clan, mais avait vite appris qu'il ne valait mieux pas s'y frotter. Il était reparti blessé après qu'un de leur guerrier ait refusé de discuter. Il s'était donc rabattu sur les marais. La chasse était compliquée ici, et dangereuse. L'hiver avait été rude, et même sous son poil épais d'hiver on devinait la pointe saillante de ses côtes et de ses omoplates. De larges griffures mal cicatrisées lui déchirait le flanc et le faisait encore souffrir, souvenir d'une rencontre peu plaisante avec un des reptiles qui résidait ici. Mais Doom n'était pas du genre à s'inquiéter. Il ne pensait pas vraiment à demain, juste à aujourd'hui. Et justement, il savait quoi faire.

Le printemps commençait à pointer le bout de son nez, et les chaleurs remontaient enfin. Doom avait trainé son corps faible sur les rives du fleuve Hibiscus. Il savait qu'il aurait du chasser pour se nourrir, mais il préférait nettement passer un bon moment près de ce fleuve aux vertus formidables. Il y retournait régulièrement pour en boire l'eau, mais ne restait jamais très longtemps, par pur instinct de survie. Il arriva près des lieux, et les odeurs puissantes de la frontières le prirent à la gorge. Il aurait pu remonter plus loin, au moins il n'aurait pas eu l'odeur de la Source dans les narines. mais il savait également que ce bras de fleuve, à cause d'un élargissement, bénéficiait de remous qui amplifiait la densité de particules psychotropes dans l'eau. En bref, les trips étaient mieux ici.

Il avança lentement vers le fleuve, regardant avec suspicion aux alentours. Les sentinelles de la source auraient pu le reconnaitre, mais il ne semblait y avoir personne. Il s'assit calmement près du fleuve, regardant ses remous, puis plongea le museau dans l'eau. L'eau lui ruissela dans la gorge, cette eau au gout si particulier. Il en but quelques gorgée avec satisfaction, puis se releva. Il jeta encore un regard autour de lui, il n'y avait personne. Il était vraiment très proche de la frontière, et la tentation de la traverser était très forte. De l'autre coté il pouvait apercevoir un petit bassin naturel ou les poisson s'ébattaient. Il serra les dents. Son ventre grognait, et sa décision fut vite prise.

D'un bond, il franchit la frontière. il marcha dix mètres environ, attentif, avant de se poster près du petit bassin. Les poissons pullulaient ici, et il sourit. Il se concentra, comme il savait si bien le faire, puis d'un geste vif et précis, il plongea la patte dans l'eau et en sorti un poisson. Il se jeta sur la proie encore vivante pour la dévorer. Un sourire lui barrait le visage : il avait fait d'une pierre deux coups avec cette expédition,et dans quelques minutes les effets de l'eau commenceraient à se faire sentir. Il pourrait alors regagner sa planque dans les marais, et se laisser aller.

-Doom-

Le ventre plein, Doom avait commencé à faire demi tour avant de se figer. Une odeur lui chatouilla les narines. Il se retourna lentement, la tête basse, les yeux vifs, comme un serpent. Une silhouette se dessina devant lui : c'était un clanique. Merde. Il ne devait pas être là depuis longtemps sinon Doom l'aurait repéré ... En attendant, le loup venait droit vers lui. Il plissa les yeux, prêt à s'enfuir, mais un petit détail le fit hésiter : c'était une femelle. Elle s'approchait, la fourrure gonflée et les crocs retroussés. Elle avait une chevelure noire rehaussée de bleu, et le corps recouvert de parures métalliques. Un sourire carnassier s'étira sur la bouche de Doom. La frontière était à une dizaine de mètres derrière lui, il l'aurait franchie en un instant. Si elle était seule ... il pouvait essayer de s'amuse un peu. La jolie louve finit par lui parler :

—"Etranger, que fais-tu ici ? Tu te trouves sur les terres de la Source, et tu n'as rien à y faire. Va-t-en avant que je ne te chasse à coup de croc et que je ne donne l'alerte."

Doom pencha la tête, prenant un air faussement confus. Il regarda autour de lui, se forçant à se détendre. Il restait néanmoins alerte : sous son poil hérissé, la jeune en face de lui cachait des muscles visibles. C'était probablement une combattante.

"Je suis sincèrement désolé, je n'avait pas conscience que j'étais déjà sur vos terres ... La faim me rendait fou et vous avez un étang si poissonneux ..."

Il tourna la tête vers l'étang, laissant la lumière glisser sur son pelage terne et accentuer la maigreur de ses flancs. Il savait qu'il avait l'air misérable, et suivant la personne en face, il pouvait potentiellement obtenir un peu d'attendrissement. Il dirigea de nouveau son regard sombre vers celui, si bleu, de la louve en face. Maintenant qu'elle était assez proche, il pouvait détailler les courbes de son corps. Elle était tout à fait à son gout. Dommage que les chaleurs soient déjà passées. Il lui fit un petit sourire.

"Tu sais, cet air colérique ne vas pas sur le visage d'une si jolie louve comme toi. Détends toi donc, j'vais partir puisque tu me le demande ..."

Il fit mine de reculer, mais ne bougea pas vraiment, attendant la réaction de celle d'en face. Selon le caractère de la louve, il pourrait très bien jouer encore un peu, ou bien se faire attaquer toute griffes dehors. Il jouait avec le feu, mais il adorait ça.

Keiss avait un peu de mal à réfléchir. Il était en colère. Les loups du clan de la terre l'énervaient. Enfin le pire était de devoir obéir à ce chef d'armé. Svalorg. Le guerrier marchait rapidement afin d'évacuer cette énergie négative. Il se devait d'être plus calme. Il avait rendez-vous avec Lagherta et cette idée lui faisait du bien. Mais quand il arriva sur les lieux, il se rendit compte qu'ils n'étaient pas seul.

Son regard se détacha de Lagherta pour se fixer sur cet étranger famélique. Au niveau de cet individu, Keiss avait tout pour le détester. Il était en train d'emmerder Lagherta, c'était un étranger sur les terres du clan. De plus le guerrier était très énervé par le clan de la terre ces derniers jours, alors ça pouvait être un très moyen de se défouler.

Le loup s'avança au côté de Lagherta, il montra les crocs :

-Dégage de là vil abruti avant que je te fasse la peau.

Keiss n'avait pas eut besoin de parler fort. Il montra les dents, grognant et envie de se battre. Le petit loup ne faisait clairement pas le poids. Le guerrier s'avança de nouveau, fouettant l'air avec sa queue et prêt en découdre. Pourtant il n'arrivait pas à arracher ce sentiment de malaise qui l'habitait. Le gamin lui disait vaguement quelque chose. Il demanda :

-D'où est-ce que tu viens ?

-Doom-

Les paroles du loup roux semblèrent d'abord apaiser la louve, tirant un petit sourire au solitaire. Cependant, sa tentative de dragouille se soldat par un échec cuisant : ses crocs se dévoilèrent de nouveau, et un grognement sourd jaillit de sa gorge. Doom se renfrogna. Il s'en doutais après tout, il n'avait jamais eu de succès auprès des femelles. A vrai dire il n'en avait rencontré que très peu. Il valait mieux déguerpir avant qu'elle ne décide de se jeter sur lui, comme l'autre fou de caverne qui lui avait déchiré le cou d'un coup de crocs.

—"Cet air colérique sera la dernière chose que tu verras de ta vie, si tu ne quittes pas ..."

Un bruit se fit entendre dans les fourrés, et un deuxième Source apparut. Un mâle cette fois. Un rictus narquois se peignit sur le visage de Doom. Ces deux là étaient-ils ensemble ? Ils semblaient se tenir bien proches l'un de l'autre. Le nouveau venu semblait encore plus agressif que la belle louve, montrant les crocs, fouettant l'air de sa queue. Doom savait bien qu'il ne faisait pas le poids face à un guerrier bien entrainé. Cependant, il y avait quelque chose ... Quelque chose qui le fit hésiter.

-Dégage de là vil abruti avant que je te fasse la peau.

Le roux soupira intérieurement. Ces claniques était d'un ennui ! Il fit demi tour, décidant d'abandonner la partie là. Cependant, il y avait encore quelque chose, quelque chose dans ce mâle qui venait d'arriver, qui le retenait encore. L'autre lui posa une question :

-D'où est-ce que tu viens ?

Doom tourna la tête et tira la langue au mâle.

-"Des terres solitaires. Si ça peut te rassurer, je n'ai aucun lien ni avec Akui, ni avec ce nouveau clan des cavernes. "

Il fit un petit clin d’œil à la louve avant de continuer, sur un ton amusé.

-"Je m'appelle Doom, pour peu que ça vous intéresse, et je m'en vais. Juste avant de partir ... Je peux savoir vos noms ?"

Il était tourné de trois quart vers la frontière, la tête penchée vers les deux loups, parfaitement immobile dans une posture légèrement écrasée de pacifisme. Il ne savait pas vraiment pourquoi il avait demandé leur noms aux deux autres, peut-être espérait-il un jour de revoir la belle guerrière aux cheveux turquoise ? Et il aurait été malpoli de demander seulement à la femelle !

Le solitaire prenait les choses à la légère. Il se mit à tirer la langue, puis à continuer de faire du rentre dedans à Lagherta. Keiss était en colère et aussi met à l'aise face à cet individu. Ce gamin venait des terres solitaires... Keiss pouvait très bien avoir des cousins la-bas, son père était un immortel qui avait pu avoir des gamins un peu partout. Le problème était que Keiss et cet individu se ressemblaient un peu trop... Et puis quel âge avait ce gamin ? Deux ans ? Trois ans ?

Le solitaire se présenta et Lagherta fit de même. Doom était au seuil de la frontière... Keiss n'était pas certain de vouloir des réponses, mais fit plusieurs grandes enjambées. Il se positionna de l'autre côté de Doom, le coinçant entre lui et Lagherta. La guerrier avait changé de posture, il n'était plus agressif, mais curieux et inquiet.

Ses souvenirs de cette période était plutôt flou. Il avait sombré dans quelque chose de terrible. Pendant cette période, il n'avait pas parlé ou presque. Mais il avait rencontré des individus. Il s'était battu et avait profité des chaleurs. Keiss ne s'était jamais posé la question du fruit de ces relations. Une portée était pourtant une conséquence normal de ce genre d’événement...

Keiss eut une sensation de vertige. Il demanda plus calmement, hésitant même sur la fin :

-Qui est ta mère ? ... Et ton père ?

Le loup ne savait plus réellement quoi faire. Il avait posé une question, mais il ne souhaitait pas avoir de réponse.

-Doom-

La louve répondit d'une voix hésitante. Un éclat dans son regard interpela Doom juste avant qu'elle prononce les deux noms.

—"Je suis Lagherta, et voici Keiss, mon compagnon."

Doom pencha légèrement la tête. Keiss. Ce n'était pas un nom courant. Son regard se posa lentement, calmement sur le mâle aux côté de cette Lagherta. Il reconnaissait ces zébrures, et cette queue reptilienne pour les avoir tant de fois vues dans le reflet d'un lac ou d'une flaque d'eau. Un sourire amusé teinté d'amertume se posa lentement sur ses babines. Finalement, il n'était pas mort, son père.


Ce dernier semblait d'ailleurs avoir perdu de sa superbe. Doom croisa un instant son regard. Il savait, lui aussi. Il demanda d'une voix hésitante maintenant :

-Qui est ta mère ? ... Et ton père ?

Le rapport de force venait instantanément de changer, et le loup roux adorait ça. Il eut une pensée pour sa mère et pour Taht, morts tous les deux. Ce Keiss, celui qui les avait abandonné aux mamelles d'une mère droguée, au cœur d'une forêt habitée par des loups monstrueux, méritait-il vraiment de savoir ? Il était trop tard de toute façon. Il avait apparemment refait sa vie, sans même se soucier de son passé, avec une charmante louve, un charmant clan. Doom pencha la tête de nouveau, avant de se mettre en route vers ses terres, les terres solitaires. Il allait partir, puisqu'il n'était pas le bienvenu ici. Il passa à côté de Keiss et lui dit d'une voix neutre :

-"Je crois que tu le sais déjà."

Il marcha d'un pas lent, regagnant les terres austères ou il vivait. Les deux avaient tout le temps de l'arrêter s'ils le désiraient. Un sourire flottait sur ses babines : pour une fois qu'i se faisait désirer ! Il comptait sur la curiosité de Keiss, mais surtout de sa compagne pour prolonger cette entrevue. Sinon ... Tant pis. Il savait que son père était vivant, mais il était clanique, et Doom se refusait à entrerdans un clan pour le rejoindre.

Keiss regardait Doom sans savoir quoi faire, ni penser. Il y avait énormément de choses qui se bousculaient dans son crane... Le sourire du gamin n'avait absolument rien de positif.

C'était donc vrai. Keiss était bien le père de ce gamin.

Le guerrier le regarda, restant dans le silence. De nombreuses questions restaient en suspens, mais Keiss avait été absent. Doom était un loup famélique, abimé par la vie, né à cause de Keiss et sans quelqu'un pour le protéger. Le passé ne pouvait être réparé. Keiss n'avait pas été là quand il le fallait. Il ne l'avait pas protégé, ni aimé. C'était trop tard.

Lagherta fit plusieurs bonds en avant, bloquant Doom. Elle posa plusieurs questions. Keiss finit par répondre lentement :

-Il a raison.

Keiss aurait voulu avancer, mais il se sentait écraser par la sensation de vertige. Il baissa la tête, en tentant de retrouver le prénom de la mère de Doom. Il finit par relever les yeux. Il ne savait pas tout ça. Il n'aurait jamais laissé des louveteaux seuls de cette façon... Lagherta risquait de ne pas accepter la situation. Il ne voulait pas la perdre non plus. Il prononça le prénom de la louve à voix basse :

-Angalia.

Il regarda Doom et commenta simplement :

-Tu lui ressemble.

Il finit par demander :

-Est-ce qu'elle est sur les terres des elemenloups ?

Ils étaient peut être venu à deux.

-Doom-

Comme prévu, la réponse de Doom interloqua les deux loups. Il entendit la femelle le rattraper et se placer devant lui pour lui bloquer la route. Le solitaire s'arrêta, fixant Lagherta d'un regard vide. La rencontre commençait à la fatiguer, et les effets de l'eau de la rivière prenait peu à peu leur emprise sur son corps. Ses muscles se détendaient, et il n'avait plus qu'une envie, c'était de retourner dans le trou de roche ou il avait établi un camp provisoire pour se reposer.


—"En es-tu bien certain ? Crois-tu réellement que mon compagnon puisses être ton père ? Quelles preuves pourrais-tu fournir ? Et toi, mon amour, qu'est-ce qui te fait penser qu'il pourrait avoir raison ?"

Doom ferma les yeux. Cette manière qu'elle avait de dire ces mots, de prononcer "mon amour" avait le don de le mettre hors de lui. Comme si la femelle se moquait de lui, lui frottait au visage un futur qui aurait pu être tout autre, un futur ou ni son frère, ni sa mère n'étaient morts. Un futur ou il n'aurait pas eu à s'inquiéter chaque jour de sa survie, un futur ou il ne passerait pas chaque hiver au fleuve hibiscus à tenter d'oublier qu'il n'y avait personne sur cette terre qui serait triste s'il mourrait. Les yeux toujours fermés, il entendit la voix de Keiss, de son géniteur,.

-Il a raison. Angalia. Tu lui ressemble. Est-ce qu'elle est sur les terres des elemenloups ?

C'en était trop. Doom se retourna lentement, ouvrant les yeux et les plantant dans ceux gris du clanique. Sa queue reptilienne qui ressemblait tant à celle de son père fouettait l'air nerveusement, alors que tout le reste de son corps restait parfaitement immobile. Une rage immense s'était mise à bouillir en lui alors que tous les souvenirs qu'il avait réprimé lui revenait à la mémoire. Sa vision était parsemée de petite lucioles rouges et blanches qui donnaient à la scène un aspect irréel. Le roux laissa planer un léger silence avant de cracher en un grondement :

-Elle est morte. Mon frère Taht aussi.

Il fit demi-tour, et se remit à marcher pour de bon cette fois-ci. Il en voulait profondément aux deux loups, non pas pour ce qu'ils étaient, mais parce qu'ils avaient réussi à le mettre de mauvaise humeur. Maintenant, il n'allait plus pouvoir profiter pleinement des effets de l'eau du fleuve. Il passa à côté de Lagherta en franchissant les frontière, faisant claquer ses mâchoires pour l'éloigner, et lui jetant un "Casse toi" au passage. Il en avait assez. Si sa provocation échauffait assez le sang de la guerrière, elle viendrait le choper et qui sait, peut-être mettrai-t-elle enfin fin à sa vie de paria. Doom en serait presque soulagé.