EXEMON

Cela faisait plus de trois semaines qu'il était enfermé dans l'arène. Trois semaines de vision troubles, de rages explosives et d'incapacité à aligner trois pas sans se vautrer lamentablement. Les médecins avaient fini par demander à Urion de l'enchaîner tant il était agressif. Il avait d'ailleurs renvoyé un apprentis médecins se faire recoudre la croupe par ses pairs. Sur les trois semaines et demi, il en avait passé deux et demi enchaîné.

Ce jour là, le médecin était passé pour lui dire qu'il semblait être en transition vers la santé. Il lui avait craché à la figure. En transition vers la santé, connerie oui. Il souffrait d'être bourré et d'une gueule de bois monumentale simultanément. il avait une envie folle de fracasser des crânes et de trancher des gorges. Le docteur avait échappé de justesse à un coup de croc mal placé, sauvé par la longueur ridicule de la chaîne qui le maintenait attaché au mur.

Il ruminait, couché sur le sol dur et poussiéreux à la base de la statue de Zexal, grommellant contre les chaînes qui lui blessaient la peau, libérant une lave qui s'encroutait sur le métal.

EXEMON

Dans les brumes de son esprit, il lui semblait voir Danea danser avec ses victimes du nord, puis les combats qui s'étaient déroulés dans l'arène depuis la nuit des temps. Parfois, les combats passaient près de lui et il se levait pour y prendre part, mais les chaînes le ramenaient à la réalité, le clouant au sol. Il gisait là, grommelant quand une silhouette immaculée avança dans le brouillard de sa vision perturbée par l'alcool que produisait son propre corps. Foutue maladie, voilà qu'il délirait encore. Mais la vision sembla s'encrer dans la réalité et il reconnut Kelekt.

Elle s'avança jusqu'à la limite de portée que lui imposait les chaînes; il aurait bien voulu voir le blanc de sa fourrure se tinter de rouge. Elle posa un petit contenant avec du liquide, et une proie.

Tu sais pourquoi je suis là, Exemon. Alors je vais faire simple. J’apaise un peu ton calvaire et tu me dis ce que je veux savoir.

L'odeur de la proie réveilla la nausée qui contractait son estomac vide depuis des jours. Il la repoussa faiblement. Dans son crâne, son cerveau cognait contre tous les obstacles qu'il pouvait trouver. Il posa un regard haineux et douloureux sur la juge. Il ne parvenait pas à la voir clairement.

Putain éloigne ce truc puant de moi, j'vais gerber.

Joignant le geste à la parole, il se leva et pu faire à peine deux mètres avant que son estomac ne se contracte, lui faisant recracher une bile épaisse et acide. Le liquide ne l'inspirait pas plus que la proie. Il s'affala de nouveau sur le sol, sa tête ne supportant pas le bruit de sa propre voix. Il la prit entre ses pattes et tenta de se soulager en pressant ses tempes.

EXEMON

Kelekt sembla surprise de sa réaction mais elle envoya valser la proie au loin, sur le sable de l'arène. Il se massait les tempes, souffrant atrocement de sa migraine. Il rêvait de quelque chose de froid pour y presser son crâne. Elle se campa face à lui et lui parla de son ton froid habituel.

Ma demande est simple Exemon : Que s’est-il passé dans le Nord ?

La voix pourtant simple sembla claquer comme un coup de fouet sous son crâne. La sale garce, elle avait décidé de profiter de son état de faiblesse pour lui faire parler du Nord. Mais il s'y refusait. Elle pensait qu'elle pourrait le briser d'une simple phrase, elle se faisait des idées. Il grogna.

Mais putain! Qu'est-ce que ça peut bien vous foutre?! J'étais pas dans le clan!

Sous soudain éclat de voix déclencha un éclair de souffrance dans sa tête et il se recroquevilla sur lui-même. La nausée tordait son estomac, amplifiée par sa migraine. Il gémit et se roula sur le sol, déclenchant un cliquetis de chaînes. Un excès de rage l'envahit et il se redressa et se jeta de tout son poids sur la juge. Ses mâchoires claquèrent à quelques centimètres de la truffe de la blanche, elle était tout juste hors de portée pour lui. Mais il sentit le roc dans lequel étaient plantées les chaînes céder très légèrement avant de s'écrouler au sol.

Non, il emporterai Danea et leurs petits dans la tombe. Personne ne saurait la vengeance terrible qu'il avait accomplie en leur noms. Personne. Il roula sur le sol, tentant vainement d'apaiser les pulsations de douleurs qui semblaient vouloir écraser sa boîte crânienne.

EXEMON

La douleur tambourinait dans le crâne du loup dragon. Il avait l'impression qu'un démon cherchait à s'échapper et se vengeait sur son cerveau quand il s'en montrait incapable. Kelekt, cette sale garce, avait compris le mal qui le rongeait. Elle haussa le ton. Sa voix résonna dans son crâne et il gémit, se roulant sur le sol, comme pour éteindre l'incendie qui ravageait son corps.

La déesse Éléonore a hésité plus longtemps que jamais de mémoire de juge. Ton cas a visiblement causé un questionnement important chez elle. Si je te le demande depuis tout ce temps, c’est parce que je veux savoir ce qui a nécessité une si grande réflexion chez la Déesse de la justice ! La décision était de te tuer ou te laisser rejoindre le clan et c’est cette dernière qui a été choisie. Si c’était si simple, pourquoi une prise de décision si longue ? Je veux savoir !

Cela faisait des jours, peut-être des semaines qu'il était enchaîné là, dans la souffrance. Dans son éternelle gueule de bois, il avait revu Danea et ses deux boules de poils rouges et noires. Ses bébés. Ils l'avaient attendus, juste hors de portée de sa chaîne. Dans sa solitude, il avait pleuré. Il désirait mourir, mais personne n'était parvenu à le mettre à bas. Il se dressait toujours, dernier debout parmi les cadavres pourrissants de ses victimes. Il avait offert les vies de tout un clan pour sa louve et ses petits, mais ça n'avait pas suffit. Ça ne suffirait jamais, jamais rien ne pourrait lui rendre la douce Danea et ses enfants. Il s'était aventuré dans un lieu où les dieux n'existaient pas, une offrande ne servait à rien.

Les larmes jaillirent de nouveau de ses yeux. S'il ne pouvait mourir, il ne voulait pas souffrir. Il avait endurcis son coeur aux autres, il s'amusait avec les louves, mais jamais ne leur ouvrait son coeur. Il n'approchait jamais de près ou de loin le fruit de ces jeux, il faisait d'ailleurs tout pour ne pas reconnaître là sa paire de cornes, ici sa longue crête rouge dans les jeunes loups qui rejoignaient les escadrons. Kelekt remuait le couteau dans la plaie à vif, constamment à lui rappeler ce qu'il avait perdu dans le nord. Bien, il allait cracher le morceau, et si elle revenait lui poser une seule question après cela, il verrait si le rouge était une couleur qui lui allait bien.

JE LES AI TUES!!!! Je les ai tous tués, jusqu'au dernier. Aucun n'a survécu sous mes crocs, pas les anciens, pas les louves, pas même les louveteaux!

Il se releva pour faire face à la louve, postillonnant en lui hurlant la vérité à la face. La chaîne qui le retenait tinta, le métal mordit ses pattes. Il poussa, insensible à ces douleurs futiles alors que son coeur était en miettes. Le mur dans lequel les chaines était fixées crissa. Il se jeta en avant et soudain, la liberté, sa prison avait lâché. Il avança sur la louve, l'écume aux lèvres, la lave sourdant de ses plaques dorsales. La chaleur intense qu'il venait de provoquer en activant son pouvoir amplifia sa migraine et ses membres cédèrent sous son poids. Déjà, le fluide visqueux durcissait.

Ils l'ont tuée... Mes petits... ils méritaient de mourir, je devais les punir...

Il murmurait, recroquevillé sur lui-même à cause de la douleur, les larmes roulant sur son visage. Il n'avait plus aucune dignitée, la maladie l'en avait privé. Il voulait mourir, un jour, il trouverait quelqu'un de plus fort que lui, quelqu'un capable de lui rendre Danea pour l'éternité.

EXEMON

Kelekt avait reculé devant la colère du grand mâle. Elle avait peur de lui. Elle aurait d'autant plus peur maintenant qu'elle savait de quoi il était capable. S'il n'avait pas été au plus mal, jamais elle n'aurait su, maintenant, la rumeur se répandrait dans le clan, qu'elle le veuille ou non, une personne de plus au courant, c'était le premier pas vers la connaissance pour le clan entier. Le nain paladin vivait dans l'arène, il n'était pas impossible qu'il ait tout entendu. Bientôt, il aurait droit aux regards de pitiés, et à la peur de certains membres du clan. Il serait probablement temps pour lui de repartir en recherche de cet adversaire capable de le tuer?

Une fois assurée qu'elle ne risquait plus rien de lui, la louve se rapprocha. Tout à coup, il sentit un grand froid l'envahir et se concentrer sur son crâne. La douleur reflua et il soupira, partiellement soulagé.

Je suis désolé d’avoir insisté, d’avoir fait remonter tout ça. Mais tu ne veux pas d’excuses j’imagine. Alors je te soulage un peu. Je sais que ce n’est rien en comparaison, mais je ne peux faire grand-chose de plus. Je ne t’ennuierais plus à l’avenir.

Il grogna, ça lui faisait une belle jambe qu'elle s'excuse. Il évita son regard, il l'éviterait probablement à jamais maintenant qu'elle savait. Il avait honte de ce qu'il avait fait. Il était rongé par ce qu'il avait fait pour venger Danea, mais son manque lui crevait encore bien plus le coeur. Qu'elle parte, il ne voulait voir personne, il n'aspirait qu'à rester roulé en boule ici.