La louve avait attendu que l'hybride finisse son repas, puis quand il s'était éloigné, repu, la louve était restée là, pétrifiée. Il ne lui fallu cependant pas beaucoup de temps pour remonter, de peur de tomber sur le Bourreau. Elle était revenue abattue et avait retrouvé un Kyu à moitié dans les vapes. Il s'était levé à l'approche de la mère et surtout en entendant ses sanglots. Elle se rallongea à sa place, et les petits réveillés se ruèrent sur ses mamelles. Shaïlin et Lydia ne connaitront jamais Saël et Emyel. Elles ne sauront jamais qu'elles n'étaient pas deux au départ.

Kyu était resté, pour lui parler, la détendre, la rassurer, mais rien ne marchait. Il ne pouvait pas comprendre, il n'était pas parent. Il y avait des mots pour beaucoup de chose. Un enfant qui perdait ses parents s'appelait orphelin, un être qui perdait la raison s'appelait fou, un loup devenait vieux quand il perdait sa jeunesse, on dit de quelqu'un qui perd la mémoire qu'il devient amnésique.

Mais ça, rien ne le nommait. Rien ne le qualifiait. Il n'y avait aucun mot pour décrire la peine d'un parent à la mort de son petit. Il n'y a ni mot ni manière d'appeler le parent d'un enfant qui n'est plus. Comme si aucun mot, aucune expression suffisait à évoquer cette douleur atroce qui vous ronge le cœur et vous empoisonne. Et Kyu tendait tant bien que mal de la consoler. Elle n'écoutait pas tellement, mais elle pensa à ne pas oublier de le remercier, quand elle irait mieux, ou du moins qu'elle irait un peu moins mal.

Quelque chose fit de l'ombre à l'embrasure de la porte. Et Imryu se figea. Elle n'avait pas été aussi discrète que ce qu'elle aurait voulu, il avait senti qu'elle avait piétiné son territoire à lui. Et maintenant il venait lui faire payer le prix. La louve plaqua l'oreille contre son crâne tandis qu'elle sursautait au mot sec prononcé en direction de Kyu. La seule fois que le cavalier lui avait parlé, il était dans une colère noire, et l'avait insulté de tous les noms. Normal du coup que la louve aie gardé ce souvenir bien ancré dans sa mémoire, et était plus que terrifiée par le mâle sombre. Kyu déguerpis et elle le regarda partir, désespérée.

Elle enroula alors ses queues autour de ses petites, les emprisonnant dans son poil, les cachant à la vue du cavalier, les protégeant. Cependant Rahawk réussit à les voir, juste avant qu'ils ne disparaissent sous le poil ébène de la louve. Et il ne lui fallu pas beaucoup de temps pour comprendre. Il avait certainement croisé Nemesis. Et les tous petits ossements qui restaient sur le sol. Son visage, déjà bien déformé par la peine, se décomposa encore plus. C'était une véritable torture. Elle ne souffrait pas physiquement, même si l'accouchement avait laissé quelques traces. Mais moralement, elle n'était plus rien. Elle baissa la tête, tremblante.


Elle ravala un sanglot lourd, laissa les larmes couler quelques secondes, le temps de pouvoir parler à nouveau.


Elle pleura, comme toujours. Elle n'avait fait que pleurer. Si ces trois derniers jours avaient été les plus joyeux de sa vie, tout venait de s'effondrer, ce matin où elle avait vu son petit mourir à son tour. Elle avait parlé avec beaucoup de peine, sa voix entrecoupée de sanglots. Elle aurait voulu montrer une autre image d'elle, mais elle était faible et étiquetée comme telle. Elle ne pouvait qu'attirer la pitié, et pas la bonne pitié. Elle gardait la tête basse. Venir ici lui avait offert deux choses: De quoi se venger des traitres qu'elle avait aimé, et des petits. Mais peu à peu elle se rendait compte de tous les aspects négatifs qu'elle avait du prendre avec. Elle se rendait compte de tous les prix à payer. Mais elle ne pouvait plus reculer.

elle fixait le sol, à moitié aveuglée par les larmes. Terrifiée par le loup qui la fixait de toute sa hauteur. Elle ne s’étonnerait pas de lui faire pitié. Elle ne s’étonnerait pas d'un potentiel coup qui viendrai. Elle attendait, c'était tout. Tant qu'elle ne mourrait pas, et qu'elle était tout juste assez forte pour s'occuper de ses petits, il n'y avait aucune restriction. Tout le monde pouvait venir et la mutiler, la blesser. Elle en avait presque l'habitude.

Elle avait fermé les yeux, s'attendant à un coup ou quelque chose. Elle s'était tendue pour absorber le choc, mais rien ne venait. Au lieu de sentir le vent vibrer, et le coup venir, elle n'entendit qu'un soupir. Elle ne se détendit pas, mais leva un peu les yeux, interloquée. Le loup en face d'elle n'était pas le même. Il était intimidant, mais avait perdu sa mine effrayante. Imryu ne comprenait pas.

Il s'était assis alors qu'elle pleurait. Elle devait se calmer. C'était primordial. Il semblait... détendu? Non, rassuré, par l'explication de la louve. Puis il lui parla. Elle ne comprenait pas. Qui était elle pour qu'on aie soudain envie de lui parler? Elle n'avait rien à faire ici... Ici non plus? alors elle n'avait rien à faire nulle part. Elle était venue chercher foyer et reconnaissance. Qu'on sache qu'elle existe. Et elle l'avait eu en venant ici. Mais était-ce un piège? Avait elle été naïve à ce point? Sa voix grave raisonnait dans la pièce et faisait peur. Mais il y avait un ton, quelque chose, une douceur qu'elle n'avait jamais vu chez lui. Était il autre chose que le monstre qu'Akui avait décidé de contrôler?


Elle s'était calmée, ne pleurait plus, seul quelques soubresauts parcouraient parfois son corps. Elle baissa la tête et regarda ses petits, fourrant sa truffe dans leur tout petit pelage. Ce qu'elle avait voulu en priorité, c'était une famille, une descendance qu'elle pourrait aimer et qui ne la trahirait jamais. Elle s'était dénichée un mâle qui correspondait à ses attentes, et il lui avait suffit de dire que c'était pour Akui. Ce n'était pas tout a fait vrai, mais Shaïlin et Lydia étaient à lui aussi, maintenant. Elle les avait fait naitre ici, sous le joug du dieu blanc. Scellant leur destin. Son oreille tomba de honte. Qu'avait elle fait....


Lentement, sa foi en Akui s'ébranlait. Ho pas de beaucoup. Mais elle savait que si son protecteur tombait, ses petits seraient traqués, tués, elle aussi d'ailleurs. Et elle ne le supporta pas. Ho elle était reconnaissante envers le dieu, de lui avoir donné le moyen de se venger des traitres qui avaient détruit sa vie. Mais quand elle l'aura fait, que restera-t-il d'elle?

Il rit. Un rire tonitruant qui raisonna partout dans la pièce. Imryu se ratatina sur elle même en tremblant. Encore quelqu'un qui se moquait, ça ne finirait donc jamais? Partout où elle allait, elle était condamnée à se faire moquer, à se ramasser la honte où qu'elle passe? Elle secoua la tête. Elle ne cherchait pas un père. Elle avait eu un père et il était mort. Akui n'était pas son père et à vrai dire jamais elle ne le considérerait ainsi.


Il se tut ensuite et elle leva ses yeux gonflés vers lui. Il semblait à l'écoute, mais de quoi? Puis il grogna et elle se ratatina encore un peu plus. Alors elle baissa la tête.



Elle ne savait comment accueillir la proposition du cendré vert. Emmènerait elle ses filles là où le monstre vit? là où ses fils se sont fait dévorés? Au final, vu la sollicitude dont le bourreau faisait preuve à son égard, elle se dit qu'elle ferait mieux d'accepter, pour elles, pour ses petites. Elle le regarda avec des yeux reconnaissants. Elle ne connaissait de lui que son nom, mais peut-être n'était il pas aussi mauvais qu'il le laissait croire.