Atamagahen était vivante. Il avait encore un peu de mal à le croire. Ce fut un véritable choc émotionnel de la voir. Akui s'était bien foutue de sa gueule sur toute la ligne : lui faire croire qu'elle était morte, lui révéler qu'il avait un pouvoir morbide et lui infliger une maladie cardiaque mortelle pour le punir d'avoir fait exécuter Till. Si Kaporal avait pu, il se serait cassé du clan pour rejoindre ce mauvais dieu dans le seul but de retourner ce Destin funeste contre ses fidèles et lui. Après tout, peut-être qu'un pouvoir de la sorte atteindrait même un dieu, puisqu'il influence sur le destin. Seulement, Kaporal ne pouvait se venger. Il allait mourir, il n'allait pas bien et ce n'est pas en trois semaines qu'il pourrait changer suffisamment le court des choses sur ce groupe adorateur. Son talent pour se débarrasser de ses ennemis s'arrêtait là.

Cette rencontre fortuite avec la solitaire grise lui avait donné envie de boire. Plus qu'une envie, c'était nécessaire pour se remettre de toutes ces émotions. Justement, ça tombait très bien qu'il soit à la plage, parce qu'il y avait une planque ici. Ainsi, après qu'Atamagahen le quitta et qu'elle fut très éloignée de lui, il se leva et tourna à son tour le dos. Il resta en bord de mer, direction la falaise. Il finit par arriver et longea celle-ci jusqu'à ce qu'il arrive à l'entrée d'une deuxième caverne. C'était ici. Il pourra s'y reposer et surtout, picoler en écoutant le doux bruit des vagues qui s’échoueront sur le sable.

Approcha de la caverne l'intéressant, quelque chose le frappa en suivant : il y avait des odeurs différentes tout autour de l'entrée. Pas d'odeur clanique. L'air marin et son odorat affaiblit dû à l'âge, ne lui permirent pas de sentir la faible odeur de Nansaa, camouflée par celles plus fortes des solitaires. Seulement, elles avaient toute une note familière, mais il n'arrivait pas à mettre des noms dessus. Il avait déjà senti ces individus, mais où ? Il haussa finalement des épaules. Sans doute des mercenaires à qui il avait loué les services une fois. Il n'était pas là pour attendre ces personnes. S'il y avait des odeurs autour de l'entrée, cela signifiait donc que la caverne était à présent habitée. Merde. Il espéra très fort qu'ils n'avaient pas trouvé son trésor... Et il ne pourrait pas non plus s'y attarder pour se reposer... Pour ce dernier point, ce n'était pas bien grave : il y avait quelques autres cavités. Il passa la tête, il ne vit personne. Bon, très bien. Il n'a plus qu'à rentrer, prendre ce qu'il est venu chercher et repartir aussitôt.

Alors qu'il s'apprêtait à rentrer, il entendit un grognement venant de derrière lui. Fait chier, les habitants sont de retour... Il se retourna et tomba truffe à truffe avec un jeune solitaire plutôt costaud, comme s'il avait commencé des entrainements d'armée. C’était un adolescent, en plein dans la fougue de l'âge. Double merde. Celui-là n'avait pas l'air commode. Son attitude était tendue, prêt à défendre ce qui est à présent chez lui. Le russe ne pourra décemment pas se battre contre cet individu si celui-ci est prêt à en découdre. En étant en forme, peut-être, mais maintenant, il ne pouvait plus du tout se battre. Rien que le fait de marcher dans le sable l'avait fatigué. Kaporal pivota ses oreilles vers l'arrière en signe de non agression. Il faisait pâle figure face à ce louvard.

Je suis simplement venu chercher quelque chose qui m'appartient. J'utilisais cette caverne avant que vous logiez dedans.

Il recula de deux pas sur le côté, afin de ne plus être entre la caverne et l'inconnu.

Les paroles de Kaporal ne plurent pas au gardien des lieux. Il leva les yeux au ciel avant de montrer encore plus ses crocs. Pas de grognement, juste un simple avertissement pour l'instant. Il avait encore des dents de lait, il ne devait même pas avoir encore un an. Pourtant, sa carrure intimait le contraire. Il faisait plus vieux que son âge réel.

Personne n'entre avant le retour de Mère ou de Père.

Kaporal ne se laissa pas démonter, ni impressionner. Du moins, extérieurement, parce qu'intérieurement, il se disait qu'il passerait peut-être sous ces crocs, s'il ne fait pas attention. Si jamais l'inconnu l'attrape, il était quasiment sûr qu'il ne pourrait s'en défaire. Il n'avait pas assez de force pour se débattre face à une brute. Il n'était pas en position de force, il le savait très bien, mais il n'en laissa rien paraître. Ne pas dévoiler ses émotions dans ce genre de situation, c'était l'une de ses compétences. Puis remarque, il n'avait plus rien à perdre... S'il devait mourir aujourd'hui, tué par cet presque adolescent, alors soit. Il soupira bruyamment et afficha son air éternellement blasé.

Alors je vais attendre que ta mère ou ton père arrive.

Il s'avança vers l'entrée, reprenant sa place d'origine et s'écroula sur le sol de tout son long. Kaporal n'était pas entré, il était juste devant, ça devrait suffire pour le "chien de garde", non ? Il souffla de nouveau, du sable s'écarta sous l'expiration. Son attitude montrait clairement qu'il se fichait de l'air menaçant du jeune loup. Intérieurement, il n'était pas serein, son cœur battant vite sous l'effet du stress. Peut-être que l'inconnu l'attaquera, ou pas, en tout cas, s'il ne le fait pas, ça lui permettra de se reposer.

Le jeune loup ne dit rien et ne fit rien quand Kaporal s'écroula, résolu à attendre, devant l'entrée. Il avait son regard posé sur lui, pour savoir ce qu'il comptait faire. Il aurait pu l'attaquer, mais au contraire, le gardien se détendit, bâilla et s'assit, si reprenant même une nouvelle fois pour bien se placer. Quand il changea de position, le russe vit une malformation d'aile sur son corps. Le petit était donc prévu avec des ailes, mais ça ne c'était pas fait finalement. Sa mère, son père et/ou des frères et soeurs potentiels devaient en avoir. Kaporal ne fit pas de remarque et se contenta de détourner le regard. Il ferma même les yeux. Il n'avait plus rien à craindre du jeune.

L'air marin couplé avec le sons des vagues le bercaient. Il pourrait s'endormir, mais le froid ambiant l'empêchait de complètement sombrer dans ses songes. Allongé dans l'ombre de la falaise, sur le sable sans chaleur, il somnolait profondément. Il avait l'occasion de récupérer de toute sa marche, en attendant le retour d'un parent. D'un côté, heureusement qu'il manquait quelqu'un pour pouvoir entrer, ça lui est bénéfique. Il ne sut combien de temps il était resté entre le conscient et l'inconscient, mais quelqu'un vint l'en tirer.

J'imagine que vous êtes Kaporal. Il est arrivé quelque chose à mes petits?! Dites-moi !

Il sursauta quand la phrase dite près de lui commença. Il ne l'avait pas entendu arriver. Il releva la tête vers cette nouvelle personne tandis qu'elle terminait sa phrase. Son visage était inquiet. Elle connaissait son nom, elle l'avait prononcé. Or, il ne la connaissait pas. Il s'attarda un moment sur elle, rassemblant ses esprits embrumés par la somnolence profonde.

Mijaw, j'ai laissé ma proie en arrière, va la chercher s'il te plait.

Mijaw. Le jeune loup s'appelait donc Mijaw. Il avait déjà entendu ce nom. Mijaw, c'était l'un des fils de Nansaa, le seul qu'il n'avait pas vus sur l'ensemble de la fratrie. Du moins, jusqu'à maintenant. S'il s'agit bien du même Mijaw, cela voudrait donc dire que la femelle est Mya. Il se redressa, se mettant en sphinx. Petite, crème et marron, des tâches léopards et une carrure à la fois canine et féline. Pas de doute.

Vous êtes donc Mya. Rassurez-vous, vos petits n'ont rien. Notre rencontre est une coïncidence. Quelque chose m'appartient dans cette tanière.

Nansaa avait-il eu le temps de la prévenir de ce qui s'était passé ? Il savait de par Pyrrha, que Nansaa et les petits devaient faire un choix à cause de la menace Akui : devenir clanique ou rester solitaire. En revanche, il ne savait pas ce que les petits avaient préféré : être clanique, protégé par un clan et rester avec leur père ou rester solitaire avec leur mère et s'exposer à la menace d'Akui et ses adeptes. Si jamais Nansaa n'avait pas encore pût ou eut le temps de venir, alors il profitera de l'occasion pour le faire.

Nansaa est revenu vous voir depuis qu'il est allé au camp avec les enfants ?

Mijaw était parti, suivant l'ordre de sa mère. Il le suivit du regard. Le petit était obéissant, pas comme Zelvect qui n'écoutait pas son père. Quel insolent. Son insubordination lui faisait dresser le poil. Son père était son supérieur, il devait lui obéir. Kaporal secoua doucement la tête pour chasser Zelvect de son esprit. Il avait failli grogner en regardant Mijaw, ce qui aurait eu une très mauvaise interprétation pour Mya. Il ne restait que les deux adultes maintenant.

Mya se détendit, soulagée, quand il lui annonça que ses petits n'avaient rien. Elle s'inquiétait pour sa progéniture, c'était tout à fait normal. Quand il mentionna la caverne, Mya se retourna vers celle-ci et l'observa interloqué. Visiblement, ils n'avaient rien trouvé en s'installant, ce qui ne l'étonna guère. Kaporal savait bien cacher son précieux trésor. Il n'y avait que Xia et des amis aimant tout aussi la boisson qui pourraient en trouver certaines. Mya ne semblait pas opposé à sa demande indirecte. Elle restait calme. Il pourra sans doute rentrer très bientôt.

Quand il mentionna Nansaa, son air changea. Elle reposa le regard sur lui, mais celui-ci s'était fait plus dur. Elle s'assit, tendue de nouveau comme au départ, et d'une voix plus sèche lui répondit :

Il n'y avait rien quand je suis arrivée, mais vous pouvez chercher si vous y tenez. Quant à Nansaa non, je n'ai pas de nouvelles de lui depuis son départ, mais il avait l'air plutôt mal en point, donc j'imagine que si vous me dites que les petits vont bien, c'est simplement qu'il est resté se reposer.

Bon, la question ne l'avait pas mis en bonne disposition. Elle acceptait cependant qu'il fasse un tour dans sa tanière, ce qui fut un bon point. Il acquiesça simplement de la tête à sa dernière phrase. Oui, Nansaa était mal en point et s'y reposait. Visiblement, le médecin avait jugé bon qu'il se repose quelques jours de plus. Ça ne lui fera pas de mal, au contraire, c'était même mieux. Il n'avait jamais vu Nansaa aussi mal physiquement. Nansaa ne pouvait cependant que s'en prendre à lui-même pour ce coup. Il avait négligé son corps et ses besoins naturels. Il en payait maintenant le prix. Kaporal espère que ça lui servira de leçon.

Kaporal se leva et entra dans la tanière. Du regard, il inspecta les lieux, s'étant poussé de l'entrée pour que la lumière du jour emplisse au mieux l'habitation. Il leva le museau vers les parois humides, observant avec soin les bordures entre le sol et les murs. Il bougea finalement après avoir repéré la cachette. Celle-ci était cachée par une carcasse posée par la famille. Il alla la pousser, dévoilant un trou. Un trou fait par deux plaques de roches, laissant entrevoir cet espace quand elles s'étaient assemblées. Un trou assez grand pour ne laisser passer qu'une patte adulte. Trou totalement anodin, sauf pour Kaporal. Il s'allongea juste devant et passa entièrement sa patte avant restante dedans. Il la fit glisser jusqu'à la base de son épaule. La tête contre la paroi à cause de sa proximité, il afficha une mine sérieuse et attentive que Mya ne pourrait voir. Il tâta de la patte l’intérieur et afficha un air victorieux quand il sentit l'objet de ses désirs. Il l'agrippa et recula en se poussant de ses pattes arrières et en remuant son corps. Sa patte sortit complètement de la petite cavité avec en son bout, une ficelle entre les griffes. Il se leva et tira encore jusqu'à ce que l'objet qui venait facilement fut dévoilé. Il s'agissait bien évidemment d'une gourde en cuir. Le cuir avait perdu son odeur, depuis le temps qu'elle était utilisée par le russe. Celle-ci devait bien faire environ un litre et demi. Il passa la lanière à son épaule et ressortit de la caverne. Il adressa un regard à Mya avant de reprendre sa place initiale et de s'asseoir.

Ça aurait été désastreux si l'un de vos petits l'avaient trouvé.

La phrase pouvait être tournée dans le sens qu'il s'inquiétait de l'état dans lequel ses "petits-enfants" auraient pu être en buvant le breuvage. Mais il n'en était rien. Toute personne connaissant Kaporal savait que cette phrase signifiait : ça aurait été désastreux, si je n'avais pas trouvé mon alcool ! Son alcool l'importait bien plus que l'état de jeunes ayant bu son élixir. Si les petits avaient bu sa boisson, eh bien, tant pis pour eux. Ils n'avaient pas qu'à s'y frotter, ses petits cons ! Oui, ça lui était déjà arrivé. En allant chercher une cachette, il avait vu trois adolescents bourrés. Il ne les avait pas aidé. Il les avait laissés là. Ensuite, quand ils étaient revenus à la normale, il avait empiré leur cas en les engueulant et les punissant, tout ça en profitant méchamment de leur douleur provoquée par leur gueule de bois. On ne touche pas à son précieux.

Puisque Nansaa n'a pas pu venir vous avertir, je vais le faire.

Comment lui annonçait ça ? Y aller directement ou y mettre les formes ? Remarque, il allait bientôt mourir, au diable les formalités et allons-y pour le direct ! Même s'il choisit la voie sans détours, il soupira quand même et fut gêné de le lui annoncer.

Il s'agit d'Akui... Akui est arrivé le lendemain de leur arrivée à notre clan. Encore une fois, ils n'ont rien. Précisa-t-il pour ne pas qu'elle se remette à s'inquiéter sur leur état. Seulement, vous comprendrez notre situation : le clan est en état d'alerte. Le conseil... Enfin, mes bêtas et des nobles importants, ont fermé nos frontières. Elles sont étroitement surveillées tout comme l'intérieur des terres. Vos petits n'ont pas pu vous être remis. Pyrrha, ma bêta, a jugé bon de les garder chez nous pour leur sécurité. Ils sont dans le campement et ne peuvent en bouger tant que Nansaa n'est pas rétablit. Je sais aussi que vos petits vont devoir faire un choix : devenir clanique ou rester solitaire. Je n'en sais pas plus. Je ne sais pas s'ils ont choisit. Je sais que ça devait se faire dans la semaine.

Il ne dit plus rien pour l'instant, laissant Mya digérer cette grosse information. Nansaa le lui avait dis qu'elle n'aimait pas les clans et que c'est pour cela qu'ils avaient une relation à distance. Prendrait-elle mal le fait que Pyrrha ait imposé aux petits de rester au campement ? C'était avant tout pour leur sécurité et non pas pour les lui enlever. Ils devaient choisir entre solitaire et clan. Ce choix serait arrivé tôt ou tard, ayant une mère solitaire et un père clanique. Il arrivait sans doute plus tôt que prévue. Ils avaient sans doute choisit, il verra bien à son retour au campement.

Mya fronça ses sourcils, encore. Ils froncèrent d'autant plus quand il introduit la nouvelle. Quand il se mit à parler, elle ne le coupa pas, mais il vit son expression se durcir, encore. Décidément, leur rencontre n'est pas dans le meilleur jour. La mention d'Akui énerva tout particulièrement la femelle, soit dès le début de la nouvelle. Tout l'énerva. Il le voyait bien. Plus ça allait et plus son expression se faisait colérique. Elle allait lui exploser au museau. Il espéra qu'elle puisse se contenir. Il n'y était pour rien après tout. Il ne faisait que lui annoncer ce que Nansaa n'avait pas pu faire. Quand il finit de parler, elle se mit à feuler. Sous le coup de la surprise et l'instinct, il sursauta et recula d'un pas. Elle avait feuler ? Vraiment ? C'était la chose la plus étrange qu'il ait vu de toute sa vie. Comment c'était possible qu'un canin puisse feuler ? C'était une chose propre aux félins !

Disparaissez avant que je ne perde complètement mon calme. Vous n'êtes plus le bienvenu ici maintenant que vous avez ce que vous étiez venu chercher ici.

Il resta quelques secondes interdit, le temps que la surprise passe. Quand ses esprits se calmèrent, il soupira doucement. Il haussa des épaules machinalement. Il reprit son air fatigué et blasé. D'une voix teintée de tristesse, il annonça de but en blanc :

De toute façon, c'est la première et dernière fois qu'on se voit "belle-fille". Je vais mourir dans trois semaines à cause d'Akui.

Il se racla ensuite la gorge. Il ferma un instant les yeux, puis d'un ton cette fois-ci très sérieux, il conseilla :

Réfléchissez à rejoindre le clan, même si vous détestez les meutes. En solitaire, vous êtes une proie très facile pour les adeptes d'Akui.

Kaporal était sûr et certain que ces deux dernières phrases énerveront davantage la louve-chat. Seulement, il fallait tout de même qu'elle l'envisage. Trois de ses enfants seront peut-être des claniques, si ce n'est pas déjà le cas. Elle se retrouvera seul avec Mijaw, s'il ne part pas lui aussi. Bien que leur entente fut négative avec cette rencontre, elle faisait comme parti de sa famille. Akui ne devait pas l'atteindre.

Il posa le regard sur le fils. Ses yeux luisaient, particularité qu'il trouvait toujours étrange. Vu les gênes de sa mère, ça ne l'étonnerait pas que ça vienne d'elle. Ses crocs étaient dévoilés, il était prêt à attaquer. Par rapport à tout à l'heure, il était bien plus intimidant avec cette conviction d'attaque. Il ferait sans doute un bon guerrier, s'il rejoint le clan de l'Eau. Il sera fort imposant une fois adulte. Le petit obéissait parfaitement à sa mère. Pour l'instant, il n'avait donc pas à le craindre plus que ça. Comme il ne fera rien à Mya, il ne devrait pas attaquer sans un ordre. Par contre, Mya étant très énervée et ne voulant plus le voir, elle serait capable de lui ordonner de l'attaquer. Kaporal reposa les yeux sur la mère et lui dit pour terminer :

M'attaquer est la chose la plus stupide que vous pourrez faire...

Il n'ajouta rien de plus. Ce n'était pas une menace, mais peut-être le prendrait-elle comme cela. Mya comprendrait sans doute le sous-entendu. Enfin, pour cela, il fallait déjà qu'elle sache qu'il est alpha. Si tel est le cas, alors elle tiltera que ses voisins viendront chez elle. S'il meurt aujourd'hui et maintenant, peut-être ne viendront-ils pas riposter. Après tout, il est maudit. Seulement, une partie du clan voudra venger sa mort. De plus, au pied des falaises, ce n'est pas le meilleur coin pour attaquer quelqu'un avec les sentinelles postées...
Mya comprendrait sans doute le sous-entendu, mais ce sera le mauvais sous-entendu. Ce n'est pas à cela que Kaporal faisait allusion. Il faisait une allusion que Mya ne pourra pas envisager. En le tuant, son pouvoir se transmettrait peut-être. Akui avait peut-être prévu un revers destiné au meurtrier qui se verra maudit à son tour ? Ou alors, le tueur mourra prochainement, d'une manière ou d'une autre, faisant de lui le dernier touché par le Destin funeste. Il est aussi probable que sa mort ne renvoie rien au tueur.

Kaporal hocha la tête en signe d'au revoir et n'attendit pas de réponse. Il pivota vers la plage et partit sans dire un mot de plus. Mya n'avait plus envie de le voir, mais ça lui était égal. Lui, il était fatigué et voulait se reposer. C'est tout ce qui l'importait. Il avait pu récupérer son précieux médicament et c'était très bien. Une chose est sûre, s'il avait su qu'elle était aussi hargneuse, il n’aurait autrefois jamais souhaité la rencontrer. Certes, la situation n'était pas en leur faveur pour une bonne entente, mais il partait avec un mauvais apriorité. Nansaa avait tiré le gros lot... Enfin, il ne la reverra plus. D’ailleurs, il ne reverra plus les autres mioches non plus et c'est tant mieux. Mentalement, il dressa un portrait de cette famille. Famille qui, le désespéra et fut détestable vue ainsi : Saladem est une sournoise qui fugue sans cesse, Zelvect est désinvolte et son insubordination le mènera à sa perte, Nephtys est une princesse à la soif de pouvoir, Nansaa est un parent irresponsable et Mya est une hargneuse inhospitalière. Il n'y a peut-être que ce Mijaw au final pour sauver le tout.

Longeant le bord de mer, il s'éloigna de plus en plus. Quand il fut bien loin d'eux, suffisamment pour ne voir que des points à leur place, il alla se poser sur une dune. Contemplant les vagues s'échouant et l'horizon, il ouvrit sa gourde et s'enfila une gorgée de rhum.

Tandis qu'il contemplait l'horizon, pivotant doucement de temps en temps la tête, il vit du coin de l’œil quelqu'un s'approcher. Il tourna le regard vers cette personne. Il s'agissait du presque adolescent. Pourquoi venait-il vers lui ? Il ne semblait pas agressif pour l'instant, Kaporal en conclut qu'il ne venait pas pour lui faire du mal. L'ex-chef d'armée et alpha resta allongé, l'observant approcher. Mijaw s'assit au pied de la dune et lui adressa :

T'as mis les pattes en plein dedans. Maintenant elle est en rage, je sais pas ce que tu lui as dit, mais maintenant je vais l'avoir sur le dos.

Ça pour être en rage, elle l'était. Kaporal n'en avait que faire au final. Il ne la connaissait pas et il ne la côtoiera plus. Puisqu'elle vit au pied de la falaise, ils se verront de loin sur la plage, mais c'est tout. Elle enragera probablement à chaque fois qu'elle le verra, même de loin, et lui, il s'en foutra éperdument. Maintenant qu'il avait une échéance, les quelques barrières qu'il avait dans son langage avaient volé en éclat. Il parlait à présent sans filtre, sans se demander s'il devait atténuer ses propos ou non. Déjà qu'il était de nature plutôt directe, là, il le sera encore plus. Il pivota la tête vers Mijaw. C'est donc de cet état d'esprit, qu'il lui déballa :

Akui est venu chez nous. Tes frères et sœurs sont cloitrés dans le clan pour leur sécurité et doivent choisir entre être clanique ou solitaire. S'ils deviennent claniques, vous les reverrez très peu. Akui rassemble des adeptes. Il passe dans les clans et rencontre des solitaires. Un jour, vous serez vous aussi sur la route d'un de ses sbires et vous mourrez probablement. Si ce n'est pire. Ta mère est une vraie bornée. Elle a peut-être affronté des ennemis puissants, mais elle se trompe : Akui est bien pire que ce qu'elle a pu affronter. Il est bien plus dangereux et féroce qu'un monstre des marais. Bien plus sanguinaire qu'Adès. Ses adeptes aussi seront tout aussi terrible que ce qu'elle a pu affronter. Elle ne gagnera pas.

Son verdict était sans appel. Si Mya restait solitaire, elle mourra un jour ou l'autre. À moins qu'elle ait extrêmement de chance. Le fait qu'elle habite maintenant proche des terres de l'Eau et loin du regroupement des terres neutres, pourrait jouer en sa faveur. Nansaa pourrait aussi vivre avec eux pour la protéger. Vu son implication dans l'éducation de ses mioches, il serait tout à fait capable de les laisser en plan dans le clan. Seulement, si Nansaa quitte le clan, ça ne fera assurément pas plaisir à Pyrrha, Hasuo et sans doute aussi Gaor qui était devenu plus dur et plus froid. Et Mya lui grognerait dessus du matin jusqu'au soir pour qu'il aille chercher les mioches, il en est sûr. Kaporal soupira et but une nouvelle gorgée. Il demanda ensuite :

Pourquoi t'es là ?

Qu'est-ce qu'il lui a pris d'être venu à lui ? Kaporal était partie. Certes, il est encore sur la plage, mais loin de cette tanière et cette louve-chat. Il a tout à fait le droit d'être sur la plage. Enfin, bien que le courant ne passe pas bien avec la famille de Nansaa, il pouvait bien faire un effort...

Visiblement, le jeune se fichait de savoir tout ça. Son indifférence décontenança quelque peu Kaporal. Aucune émotion ne transparaissait sur son visage, rien qu'une neutralité sans failles. Il ne se faisait aucun souci pour ses frères et sœurs, ni son père . Il devait être très détaché de sa famille dans ce cas. Au moins, le gosse était prévenu, même si ça n'avait pas d'importance pour lui au final.

Ensuite, Mijaw lui annonça que sa mère lui avait ordonné de le surveiller. Le pirate se mit à rire et prononça quelque chose en russe. Ben tiens. Ah quoi bon le surveiller ? Il allait passer le reste de son temps à se dorer sur la plage, ronfler dans la caverne crystalline et picoler encore et encore en se parlant à lui-même. Avait-elle peur qu'il vienne la tuer dans son sommeil ? Ridicule.

Et tu comptes me surveiller pendant trois semaines ? Parce qu'autant le dire de suite, je ne vais pas quitter cette plage.

Il s'enfila une autre gorgée. Ce rhume était sucré, c'était un délice pour lui. Il ne manquait plus que la chaleur de l'été pour que ce soit parfait. Il enchaîna :

Tu ne devrais pas m'approcher autant, surtout si tu dois me surveiller, et c'est stupide, jusqu'à ce que je meurs. Jugea-t-il bon de prévenir.

Il y avait son pouvoir, si Mijaw avait pour ordre de le surveiller jusqu'à ce qu'il meurt, alors il devra le faire de loin. Son avertissement sonnait comme quelque chose de dangereux. Mijaw pourrait croire par là que s'il l'approchait trop, le vieux se mettrait à l'attaquer ou que des claniques se chargeront de son cas. Mais c'est une chose bien plus vicieuse et sournoise qui s'occupera de son cas.

Mère a dit de te suivre, pas de te surveiller. Elle n'a pas précisé de durée. Si tu ne bouges pas je vais me mettre dans l'eau.

Effectivement, il y avait une nuance à cet ordre. Kaporal n'y avait pas fait attention, se voyant déjà avec une paire d'yeux le surveillant à chaque fois qu'il met une patte à la plage. Le petit n'allait donc pas le surveiller. Tant mieux. Il sera loin de la nuisance de son pouvoir. Sans doute, allait-il le suivre le reste de la journée, pour faire plaisir à sa mère. Dès que Kaporal quittera la plage pour la caverne cristalline, le jeune devrait arrêter de le suivre à cause des sentinelles de la steppe.

Il observa Mijaw, qui est à présent dans l'eau. Il soupira de bien-être. Non, il n'allait pas bouger. Ce n'était pas prévu au programme. Il voulait profiter du calme de l'endroit. Peut-être dormira-t-il ici. Tout dépendra si ce soir, il a la flemme de parcourir le chemin jusqu'à la caverne ou non.

Il posa le regard sur sa gourde. La boisson alcoolisée et sucrée l'appelait. Il ne résista pas à son chant et but une autre gorgée avant de poser la tête sur ses pattes et de fermer les yeux. Le soleil du printemps chauffait doucement son corps et le bruit des vagues le berçait.