En ce moment le temps était capricieux. Tantôt il était ensoleillé, auquel cas les occupations du noble étaient une promenade suivie d’une agréable baignade rafraîchissante - tantôt il était venteux et très froid, alors le noble tolérait mal la rechute. Et ça faisait plusieurs jours que ça alternait ainsi, empêchant le mâle de planifier ses journées. Alors aujourd’hui, il avait décidé de prendre les choses en patte : il irait en promenade, qu’il vente, qu’il pleuve ou qu’il fasse chaud. Quoi de mieux pour cela que le territoire de la Terre ? Couvert, humide, mystérieux, terre d’aventure typique pour ceux qui n’avaient pas froid aux yeux. Et puis, par alliance, ce devait être une terre hospitalière pour ceux de l’Eau. N'est-ce pas... ?

Jusqu’alors, les lieux l’avaient conquis. Parti en fraîche matinée, il était arrivé tout gai dès l’aube en forêt sous une fine pluie après deux heures de marche le long de Naïgma et des plaines, et alors que le climat commençait à se réchauffer, il entendit le bruit de l’eau. Un petit sourire vint se ficher au coin de son museau. Il se pointa comme une fleur, détalant à toute allure vers le grand bassin - il bondit gracieusement et plongea en éclaboussant tout autour. Sa tête ressortit, un joli petit poisson barbotait dans sa gueule. Il y a des belles écailles sur ces terres aussi. La seule chose qui semblait manquer était un peu de compagnie.

Mais il s’arrêta net, sans bouger. Il y avait là au bord des rochers des carrés d’étrange couleur qui les recouvraient partiellement. Il les fixait, les yeux ronds. Du tissu ? Le loup traversa l’eau, venant vérifier. Il zyeutait curieusement les étranges étoffes. Le poisson quant à lui en profita pour glisser des babines du grand pourpre et regagner abruptement son milieu, courroucé. Un air de malaise vint se coller au visage du noble alors qu’il constata que les éclaboussures n’avaient pas tant épargné les textiles.

Qu’est-ce que ça fait là ça ? Non de non, si cela séchait au soleil, je suis dans de beaux draps…

Il les regardait pensivement. Qui aurait donc l'idée de mettre une chose pareille ici ? Et puis, ça ne ressemblait même pas à des parures... L'utilité restait un mystère aux yeux du curieux noble. Il ne s'attendait pas à bientôt en avoir la réponse...

Le grand pourpre était encore plongé dans sa contemplation, mille questions harcelant son esprit intrigué, quand il entendit un bruit soudain juste derrière lui. Enfin, un bordel monstre, pour être plus exact... En un grand sursaut, le noble s'était subitement retourné, l'air abasourdi : au son, il n'aurait pas su déterminer s'il s'agissait de la cavalcade d'un animal sauvage en fuite ou de l'arrivée d'une quelconque créature pressée par la faim. Il semblait en réalité que ce n'était ni l'une, ni l'autre, car ce qu'il découvrit n'était ni bien farouche, ni bien menaçant...

Il dévisageait la brave petite renarde qui lui faisait face. Dans sa maladresse, elle avait amassé quelques brindilles - mais même avec ce détail, elle restait d'une délicatesse sublime aux yeux du bourgeois. Son pelage blanc avait encore toute sa clarté, elle était fine et harmonieuse dans ses proportions. Les traits du noble s'étaient rudement radoucis. Il avait fermé de moitié ses yeux dorés toujours posés sur la femelle de la Terre au visage rayonnant. Vraiment mignonne comme tout cette petite maladroite. Un sourire amusé se dessina sur son museau.

Désolé pour cette entrée "fracassante", ne vous étonnez pas c'est souvent comme ça, mais par pitié, qui que vous soyez, ne détruisez pas mes trésors.

Le grand loup pencha un instant sa tête sur le côté, un peu d'eau finissant de goutter de sa barbe rousse. Ces morceaux de tissu lui appartenaient donc ? Oups. Il rejeta un bref coup d'œil derrière lui vers les étoffes étendues sur les rochers. Des trésors... ? Pourtant, ces carrés ne semblaient rien avoir de bien précieux... Le mâle haussa un sourcil, un peu perplexe, avant de reposer son regard sur la renarde blanche. Ses oreilles s'étaient légèrement pointées vers l'arrière : il espérait que l'eau qu'il avait malencontreusement envoyé sur les bouts de tissus ne serait pas d'une quelconque gravité aux yeux de la femelle ! Il tenta tant bien que mal de cacher sa culpabilité :

N'ayez crainte, je ne ferai de mal à personne.

Ni à... quoi que ce soit d'autre, aussi précieux cela soit-il, pensa-t-il bêtement. D'un ample mouvement révérencieux, il vint lui tendre la patte pour l'aider à se relever et l'inviter à lui. Mais bien vite, sa curiosité prit le pas sur ses bonnes manières, et sans même penser à se présenter, il revint rapidement sur l'objet de son attention. Il avait une obstination enfantine et était bien décidé à lever le mystère sur sa singulière découverte. Il demanda de sa voix chantante :

Mais dites-moi donc, de quoi s'agit-il ? Ces trésors, comme vous dites, aussi étincelantes soient en effet leurs couleurs... Enfin, que prévoyez vous donc d'en faire ?