Cela devait bien faire un moment qu'il n'y avait rien à faire de particulier. À part une ou deux réunions de routine qui se terminaient très vite, car il n'y avait pas grand chose à signaler ou dire. Il y avait aussi les rapports des sentinelles qui rentraient. Mais de ce côté-là aussi, pas grand chose à signaler. Autant dire qu'au moins, l'été, c'était très calme. Et tant mieux ! Tout le monde profitait de la plage ou d'autres endroits pour se prélasser et ne rien faire. Ce n'était pas pour déplaire à Kaporal qui profitait pleinement de ce calme général. Il y avait toujours Lester et Gaor pour faire des siennes, mais il commençait à passer au-dessus. À quoi bon s'énerver toujours plus contre cet abruti de Lester alors qu'on ne peut pas le frapper ? S'il ne se soucier pas de Gaor, il le ferait. Gaor avait donc de la chance que l'alpha l'apprécie bien. Enfin, pour l'heure, Kaporal était dans un état d'esprit de vacances.

Accompagné d'une gourde remplis de vodka pouvant contenir environ deux litres, il partit en direction de la caverne crystaline. Ce coup-ci, il n'était pas tout seul. Il était en compagnie de deux autres chefs d'armée avec qui il était ami. Ils avaient décidé de passer du temps ensemble, une fois de plus. Il fallait bien profiter que les escadrons soient en vacances. Les trois comparses avaient choisi la caverne crystaline parce que c'était leur zone, leur squat, leur coin de rencontre et de glandage. Et puis en été, il y faisait frais, c'était parfait pour supporter les fortes chaleurs. Ils passèrent donc toute l'après-midi là-bas, allongés à l'entrée de la caverne, parlant, picolant, flemmardant et jouant à quelques jeux. Se battre faisait aussi partie de leur jeu. Au final, aucun d'eux n'avait envie de partir d'ici. Ils décidèrent de passer la nuit-là et de ne repartir qu'au lendemain. Au bout d'un moment, l'un partit faire un tour à la recherche d'un peu de nourriture. Un autre alla se dégourdir les pattes dans la caverne tandis que Kaporal resta à sa place et finit par s'endormir.

Quelques heures s'écoulèrent, peut-être trois. Entre temps, les deux autres étaient sans doute partis faire les cons dans la caverne sous l'effet de l'alcool et Kaporal pionçait toujours. Sa gourde était encore pleine, il devait resté un litre ou un peu moins. Mais bien entendu, par le bien des deux autres, il avait bu plus d'alcool qu'un simple litre. Lui, il était allongé sur le côté, la gueule ouverte expulsant une haleine alcoolisée, et ronflant bruyamment. Peut-être à cause de l’écho de la caverne. Soudain, il sentit quelque chose. On le réveilla. Il ouvrit doucement les yeux tout en fermant la gueule.

Hum, quoi ? Furent les premiers mots qu'il prononça d'une voie endormie.

Il redressa le haut de son corps et bailla. Bien qu'il est bu plus d'alcool que sa gourde le faisait paraître, le bougre tenait bien la boisson. Et fort heureusement d'ailleurs, comme ça, il avait encore les idées à peu près claire et il restait lucide. Il leva la tête pour y croiser le regard de son fils. Qu'est-ce qu'il faisait là ? Depuis quand il est rentré ? Quelle heure il est en fait ? Et ils sont passés où les deux autres ?

Il s'est passé quelque chose ?

S'il y avait un rapport quelconque avec le clan, pas sûr qu'il soit apte à prendre une décision réfléchie. Il avait beau être lucide et claire, il n'en restait pas moins sous l'influence de l'alcool. S'il fallait prendre une décision importante, sans aucun doute qu'il prendrait celle qui lui passe par la tête et qui lui semble la meilleure sur le moment, même si ça veut dire punir quelqu'un ou répondre de façon négative à la demande d'un clan.

Thanatos était assis juste devant sa tête. Il ne répondit pas tout de suite à la question du russe. A vrai dire, il l'esquiva. En fait, l'avait-il prononcé ou l'avait-il juste pensé ? Kaporal n'en était plus sûr.

Wah t’as une haleine de chien quand tu parles de prêt.

Face à cette remarque, il ne put s'empêcher de rire. Ce n'était pas très gentil pour les chiens, mais c'est vrai que certains d'entre eux pouvaient pulvériser n'importe qui rien qu'en expirant sur la truffe. Une vraie arme. C'était peut-être dû à l'alcool, mais il eut un fou rire. Il se rallongea sur le côté en reposant sa tête sur le sol, le corps à demi sur le dos. Son rire fut accentué par l'écho de la caverne. Avec sa patte avant en suspens, il vient donner un léger coup à Nansaa. Elle était bien bonne celle-là. Il faudra qu'il pense à la ressortir à ses deux amis. Le loup-ailé les évoqua justement. Son rire se tarissant, Kaporal lança un petit oui. Il ajouta ensuite que : Ces deux guignols sont sans doute quelque part dans la caverne. Le sourire encore aux babines, mais le rire arrêté, il prit une grande inspiration. Tandis qu'il plongea son regard sur des stalactites de cristal de roche, son fils répondit finalement à sa question jusque là sans réponse.

Oui, tu es grand-père depuis hier après midi.

L'information ne lui arriva pas tout de suite au cerveau. Il était trop absorbé par la contemplation de ces pointes. Un instant de flottement s'installa alors. En réalité, il était probable que Kaporal n'est rien capté. En tout cas, il ne semblait pas avoir écouté son fils. Finalement, le loup russe quitta sa position et se replaça convenablement. Toujours allongé, il se mit en position sphinx, si ce n'est ses pattes arrières placées sur le côté. Il posa le regard sur son fils, interloqué.

Quoi ? Je suis grand-père ?

Nansaa ne mit pas longtemps à acquiescer. Il était tout excité d'être devenu père. Il piétinait limite le sol. Kaporal afficha un grand sourire et le félicita. Il se leva tant bien que mal, titubant un peu. Contrairement aux autres, il n'avait pas quatre pattes pour supporter son corps alcoolisé. Il partit s'écrouler entre les pattes de son fils, s'installant confortablement contre lui et lui donna un coup de tête amicale quoique brusque dans le poitrail.

Y en a combien ? Faudra que tu me présentes ta petite famille, j'connais même pas... Mya.

C'est vrai qu'il connaissait l'existence de cette louve, mais mit à part une description physique et du caractère, il ne l'avait jamais vu. Il savait beaucoup de choses sur elle par le biais de Nansaa, mais le beau-père et la belle-fille ne s'étaient jamais rencontrés. C'était peut-être l'occasion de le faire. Quand il aura décuvé.

Tandis que Kaporal était affalé sur Nansaa, celui-ci lui révéla la naissance de quatre boules de poils. Deux filles et deux garçons : une parfaite mixité. Il espérait que les petits mâles ne soient pas aussi turbulent que lui le fut. Ce à quoi Kaporal répondit du tact au tact :

Et moi j'espère que si comme ça tu sauras ce que ça fait.

N'ayant pas de frère ou de sœur pour monter des coups à deux contre Kaporal, même s'il était turbulent, Nansaa fut globalement gérable. Kaporal afficha un sourire que l'on pourrait qualifier de sadique. Nansaa allait connaître les joies d'être parent de gosses turbulents. En tout cas, l'ancien chef d'armée aimait à penser que son fils allait en baver. Quand on décide d'être parent, au fond de nous, on sait bien qu'un jour ou l'autre, on sera inévitablement confronté à notre propre caractère de mioche à travers sa descendance. Après tout, il est commun que le gosse ait le même caractère que l'un des parents. Ou un mixte des deux. Sur quatre, il allait bien y en avoir au moins un qui serait un parfait petit Nansaa. Et si ça arrive, Kaporal ne manquera pas de le lui faire remarquer.

Nansaa poursuivit la conversation, précisant que les petits ne pouvait être transportés. Mya veut rester solitaire, c'est ce qu'il en déduit. Dans ce cas, cela allait se révéler problématique. Dans le sens où les petits resteront sans doute avec leur mère une grande majeure partie de leur première année. La famille risquerait d'avoir peut d'occasion de se voir au complet. Il ne savait pas où cette Mya habitait, mais même si Nansaa volait vite, les aller-retour entre chez elle et le clan pour assurer son rôle de chef d'armée, pourrait le fatiguer à la longue. Car il en était sûr, son fils resterait un clanique. En tout cas, il l'espérait. Il avait besoin de lui. D'ailleurs, le nouveau père profita d'avoir l'alpha avec lui pour lui demander un mois de congé. Il assura au chef du clan que Gaor était apte à diriger en son absence. Comme il le souligna ensuite, il n'y avait rien à signaler pour l'instant. L'été allait bientôt se terminer, mais le pays était relativement calme. Du moins, depuis que Kaporal est en fonction d'alpha, il ne se passe rien sortant du commun. Sans batailler, il accorda cette requête. Demain, il faudra qu'il en touche deux mots à Gaor et aussi au conseil, s'il n'oublie pas entre temps. Ce qui risque d'arriver...

Après ça, le vieux bailla et n'écouta pas son fils. Son regard s'était plongé dans le vide, son esprit était absent. Il savait que Nansaa lui parlait, mais il n'écoutait tout simplement plus, se contentant d’acquiescer d'un Hum. Puis, reprenant ses esprits après un clignement d'yeux, il se dégagea du loup-dragon et s'avança doucement vers la gourde. Sa patte manquante et l'alcool l'obligeaient à marcher moins vite qu'à l'accoutumé pour ne pas risquer de faux mouvement en oubliant son handicap. Bien évidemment, sous l'emprise de cette boisson fermentée, il lui est déjà arrivé d'oublier sans manque de patte et de se rétamer par terre à cause de la précipitation.

Pour fêter ça, on va s'en boire une petite !

Il appuya sur la gourde de cuir déjà ouverte, laissant une partie du liquide translucide et à l'odeur forte s'en échapper. Il ne restait plus qu'à laper le tout. Il s'accroupit et n'attendit pas plus longtemps son fils draconique pour fêter cette merveilleuse nouvelle. Après quelques mots incompréhensibles, Kaporal s'écroula, endormie de nouveau.