LAÏDA

Il hocha et la suivit dans la cavité suivante. Ici, la lumière n'était plus suffisante pour admirer les peintures. Laïda avait longtemps cherché comment faire avant de trouver la solution au lac souterrain. Elle y avait trouvé plein de champignons bioluminescents qu'elle avait rapporté et entreposé sous une peau de markhor, les champignons s'étaient bien plu ici car ils s'étaient enracinés en quelques jours.

Elle n'avait pas eu le temps d'en mettre dans toutes les cavités plongées dans le noir, c'était en partie pour ça qu'elle n'avait pour l'instant étudié que dans les deux premières salles.

Si tu veux je peux te dire ce que ma mère m'a raconté. Ça peux aider à comprendre les peintures.

Elle ne répondit pas tout de suite, elle venait de trouver la peau de markhor. Elle tira dessus de toute ses forces, dévoilant les champignons qui illuminèrent la pièce, dévoilant les ocres et bruns des Ytens dessinés. Elle ne le remarqua pas encore, alors qu'elle se tournait vers le mâle pour lui répondre, mais derrière elle se trouvait les premiers Oshurs peints sur les murs.

Ça me plairait bien oui. A partir d'ici je n'ai pas encore étudié les peintures, je préparais la lumière, c'est la première salle où les champignons font suffisamment de lumière pour que je puisse observer les peintures.

Elle montra sa petite culture fongique de la patte avant de regarder ce que les murs représentaient. Sur un pan de mur était dessinée le sommet dans lequel étaient les cavernes troglodytes. Plusieurs Ytens y étaient représentés dans des situations de la vie de tous les jours. Il y avait des louveteaux, un groupe chassant le markhor, des guerriers qui s'entrainaient. En avançant le long du mur, elle vit ce qui ressemblait à une délégation, un groupe en formation en V derrière le chef Yten de la salle précédente. Et en face de cette délégation, une autre.

Des Oshurs !

La voix de la louve était surexcitée. Ça y est, il apparaissaient enfin. Contrairement aux Ytens qui avaient adopté une formation assez martiale, les loups mouchetés et colorés étaient en t'as derrière un loup ou une louve, difficile de savoir comme ça.

C'est une rencontre regarde, euh... Regarde!

Elle avait encore une fois voulu dire son nom, mais il n'avait toujours rien dit et elle n'osait pas vraiment le demander, ce n'était plus le moment. Elle repris son exploration. Sur le mur suivant, on voyait plus ou moins le miroir de la première. Des Oshurs étaient représentés dans des scènes de vie quotidienne mais dans la savane. Au contraire des Ytens, il n'y avait pas de scène d'entraînement, mais ce qui ressemblait à une école. Elle caressa la pierre sous le dessin.

Alors nous ne sommes pas une seule et même race ? Regarde ils se sont rencontrés, c'est donc que nous n'avons pas toujours été un seul et même peuple ! Les Oshurs venaient de la savane et les Ytens des montagnes, c'est pour ça que nos morphologies sont si différentes !

Elle comprenait mieux pourquoi les loups comme Jeremiah étaient si puissants, parce qu'ils affrontaient des proies qui se battaient alors que les loups comme elle et sa mère étaient plus agiles et plus fins parce que leurs proies étaient du genre à fuir. Que s'était il passé après cette rencontre ?! Ses yeux petillaient d'excitation, enfin, enfin elle était sur la piste de l'histoire de leurs ancêtres!

-Heindrick-

La louve l'emmena près d'une peau, qu'elle retira d'un coup. Dessous, des champignons phosphorescents illuminaient la grotte d'une lumière bleutée. Heindrick haussa les sourcils : c'était la première fois qu'il voyait de tels végétaux. C'était toxique ? Pas dangereux de respirer l'air en même temps qu'eux ? Il se décida à seulement ne pas les gouter, ça suffirait bien.

Les murs de la grotte à présent éclairés dévoilaient de nouvelles scènes : des Ytens, en délégation ordonnées, et des Oshurs. La présence des loups plus fins semblèrent ravir la louve, qui expliqua que les deux races étaient très différentes. Les Ytens étaient les loups des montagnes, ce qui expliquait leur pelage épais comme celui d'Heindrick, alors que les Oshurs étaient plus légers et adaptées à la savane. Heindrick regarda les fresques, avant de répondre, l'air un peu absent :


Deux meutes s'alliant avec un mariage, ce n'était pas si commun que ça, mais plausible. Cependant, Kuma n'en avait pas plus parlé que cela, comme si ... Comme si les oshurs n’existaient pas à ses yeux. Il tourna les yeux vers Laïda, éclairée d'une douce lumière bleutée. Ses yeux brillaient d'excitation, et il sourit alors qu'elle ne le voyait pas. Il était heureux de trouver quelqu'un avec qui partager ces choses là. Depuis que Kuma était morte, il avait du rester seul avec cette partie là de son histoire.

LAÏDA

Ma mère m'a dit que Yogrenn avait pris pour épouse une louve Oshur ... Peut-être que c'était une alliance ?

Le mâle n'avait pas l'air aussi enthousiaste qu'elle, mais il était un Yten, et il avait déjà des connaissances sur leur race grâce à sa mère, donc ça ne l'a surprenait pas. Le regard toujours tourné vers les silhouettes crème et bleu, elle ne le voyait pas sourire alors qu'elle réfléchissait à ce qu'il venait de dire. Sa grand-mère... Elle savait qu'elle était Oshur puisque son père en arborait certaines couleurs, mais elle n'avait même jamais pu obtenir son nom. Les loups du clan a qui elle avait posé la question lui avaient dit qu'ils n'étaient même pas sûrs de l'avoir jamais vue, les cavernes avaient leur propre espace dans le clan et la reine Oshur semblait n'en être jamais vraiment sortie. Ça ne ressemblait pas vraiment à une alliance...

ma grand-mère était une Oshur, ça c'est certain oui. Mais je ne crois pas que leur mariage ait été une alliance... Enfin, au clan personne ne l'avait jamais vue on dirait. C'est pas comme ça que règne un couple allié si ?

Cette idée là mettait mal à l'aise... Peut être que l'oshur n'avait pas aimé être au milieu d'une foule ? Mais c'était peu probable. Et le fait que le crâne de son grand-père soit exposé au camp mais pas celui de sa compagne, s'ils avaient règné d'une même volonté, pourquoi le crâne ne l'a louve n'y était-il pas ? Elle pensait que tous les cavernes étaient revenus le jour de la bataille qui avait coûté sa voix à son père et sa vie à son grand-père...

Quoi qu'il en soit, ces peintures sont largement antérieures... Elles datent de bien des générations, avant que nos ancêtres ne rejoignent le clan de la Terre. Peut être était-ce une alliance à l'époque oui, mais pourquoi ? Chacun avait son territoire, ses proies, qu'est-ce qui a pu les pousser à s'unir ?

Elle tourna le regard vers le mâle, peut-être que sa mère lui en avait parlé, ou peut être que ce savoir avait été perdu ? La réponse se trouvait-elle dans l'une des salles encore plongées dans le noirs ?

-Heindrick-

Laïda parla de sa grand-mère, et le rayé réalisa : oui, Yogrenn était son grand père ... Donc elle aussi avait du sang Yten. C'était peut-être pour ça qu'elle avait l'air si forte. Ou peut-être que c'était simplement son caractère qui déformait la vision qu'Heindrick avait d'elle, après tout, Nephtys aussi était forte mais elle n'avait pas fait le poids contre Rahawk. Il secoua la tête : il fallait qu'il arrête de penser à elle.

La louve reprit son discours, essayant de réfléchir à la place des Oshurs. Un peu pour lui faire plaisir, et aussi parce qu'il était curieux, Heindrick se mit également à chercher. Sa mère ne lui en avait jamais parlé, à part pour cette femelle qui s'était alliée à Yogrenn ... Pourquoi ? Elle ne lui parlait que des guerriers Ytens, de leur force et de cette force qui coulait à présent dans les veines d'Heindrick. Par contre, elle lui avait parlé des femelles, et de son propre parcours. Toujours neutre, Heindrick se mit à raconter ce qu'il n'avait jamais raconté à personne :


Il se tut, cherchant ses mots. Il avait du mal à s'exprimer, les souvenirs remontaient à loin dans son enfance, et maintenant qu'il le disait à voix haute, cela lui semblait étrange. Les femelles pouvaient être bonnes guerrières, mais elles étaient faite pour avoir des petits, c'était logique. Il n'avait jamais questionné ce que sa mère lui avait transmis. Il continua :

Sa mère avait donné sa vie pour son clan. Est-ce que c'était juste, ça ? Heindrick baissa les yeux. Jamais il ne ferait ça à sa propre femelle, si un jour il en avait une. Mais sa vie sentimentale semblait être aussi bien partie que celle de sa mère, comme si la poisse était de famille.

LAÏDA

Le mâle prit un air soucieux, il réfléchissait. Il était peu probable que la tradition orale ait conservé le souvenir de cette première rencontre entre les deux familles de leur race, tous les cavernes qu'elle avait croisé jusqu'à présent, tous Ytens, l'avaient toujours considérée comme une caverne elle aussi. C'était probablement trop ancien pour que quiconque s'en souvienne, et ces salles étaient plongées dans le noir depuis des générations personne n'avait pu voir ces dessins avant eux.

Je sais que les femelles étaient souvent faites pour avoir les petits et les éduquer. Certaines étaient guerrières mais ...

Il s'interrompit, comme s'il n'y avait jamais vraiment songé jusqu'à présent. Laïda, elle, le regardait avec un air mi furieux, mi horrifié. Elle savait que sa race était un peu mysogine, mais elle n'avait jamais songé que c'était à ce point, les femelles reléguée à une simple tâche de nourrice ?! Elle comprenait mieux le comportement parfois condescendant de Makani, il avait été élevé à penser que les louves étaient des utérus sur pattes. Mais il n'avait pas fini.

Elle croyait être stérile, ma maman. Elle était avec le bras droit de Yogrenn pendant un temps, mais n'a jamais réussi à lui donner de petits. Alors, il l'abandonnée pour une autre. Alors qu'elle était une très bonne guerrière. Je ne crois pas que les couples régnaient en égaux, même si les deux étaient forts.

L'indignation de la fille de Gaor ne fit qu'enfler. Sa mère n'avait pas eu d'enfant du bras droit de Yogrenn alors c'était forcément elle qui était stérile ?! La femelle était responsable, probablement parce qu'elle avait été guerrière hein ? Elle faisait une tache de mâle alors comment aurait elle pu accomplir ce pour quoi elle était née.

Ça me rend furieuse ! Je suis plus qu'un utérus sur pattes ! J'ai un cerveau, et je sais me battre et... Et... Et..

Elle était si en colère qu'elle n'arrivait plus à trouver ses mots, des larmes de rage lui piquaient les yeux. Dans la lumière bleutée des champignons, les larmes donnaient à ses yeux des reflets brillants. Elle prit plusieurs profondes respirations pour essayer de calmer les battements furieux de son cœur. La mère du loup brun semblait avoir tiré une grande fierté d'être une caverne, de subir le supplice du rocher, et s'était probablement senti honteuse parce qu'elle n'avait pas réussi à porter les petits du bras droit du roi... Et pourtant, lui ne l'avait pas traité de haut, il n'avait pas écarté ses réflexions pour lui faire la leçon, il avait simplement partagé avec elle. Elle ravala sa rage.

Je suis désolée, ce n'est pas ta faute...

La colère un peu apaisée, son cerveau put recommencer à travailler. Les femelles n'avaient pas été que des mères, lors de la bataille des Cavernes, il y avait eu autant de louves que de loups sur le champ de bataille, elle en était sûre, les anciens le lui avaient dit. Mais il avait probablement raison en disant qu'elles étaient quand même moins considérées que les mâles. Et puis il y avait Wydis, elle avait été médecin, bien avant que son père n'unisse l'Eau et la Terre.

Après réflexion, les louves étaient probablement moins considérées que les mâles tu as raison. Mais elle ne faisait pas qu'être mère je pense. A la bataille des Cavernes il y avait beaucoup de louves dans les rangs de Yogrenn. Et ma... Génitrice est médecin, elle l'était bien avant ma naissance, donc elle avait bien un rang sous le règne de mon grand-père. Et elle nous a eu tardivement... Si les louves n'avaient été que des incubateurs, elle aurait eu des portées dès ses deux ans je pense.

Elle se rapprocha du loup nimbé de bleu. Il avait partagé les souvenirs de sa mère avec elle alors qu'il ne l'a connaissait pas. Elle ne connaissait même pas son prénom. Mais il avait quand même essayé de l'aider à comprendre qui étaient les cavernes. Ils ne savaient toujours pas pourquoi les deux familles s'étaient unies, mais elle avait le temps de le découvrir. Les clés de ce savoir n'attendaient que la lumière des champignons pour être révélées.

Euh... Merci de partager ça avec moi.

-Heindrick-

Sur le visage de la louve se peint une expression indignée, qu'elle confirma avec ses paroles. Heindrick coucha légèrement les oreilles, regardant les peintures. Il était ... d'accord avec elle. Il avait été élevé dans les traditions cavernes, et sentait confusément que les femelles n'avaient pas forcément les mêmes rôles que les mâles, surtout dans l'éducation des petits. Mais sa mère, il se souvenait, de ses mots. Il se souvenait qu'elle parlait sans cesse d'Amiria, et de lui comme un miracle : elle se pensait stérile, à cause de ce type, et elle ne l'était pas.

Le rayé tourna la tête et aperçu Laïda pleurer. Un peu pris au dépourvu, il détourna le regard, gêné, en lui laissant le temps de se calmer. Il n'était pas forcément doué pour réconforter les autres. Finalement, la louve s'apaisa et s'excusa. Heindrick lui fit un signe de tête : ce n'était rien. Lui aussi parfois s'énervait. La dernière fois, il avait même tué quelqu'un. Il entendit un petit bruit, et en tournant la tête vit la louve se rapprocher d'un pas. Les champignons l'éclairaient d'une lumière bleutée, relevant son pelage crème et azur et faisant briller ses yeux. Il releva le regard, avant de secouer la tête :


Il regarda de nouveau les peintures, soudain moins intéressantes que la louve à ses côtés. Tourna de nouveau les yeux vers elle, avant de demander, d'une voix égale :

LAÏDA

Ça me fait plaisir d'en parler. Il n'y a plus grand monde qui comprend.

Elle releva le regard vers lui, il ne regardait plus les peintures à présent, mais elle. Ses yeux bleus brillaient d'un éclat chaleureux, elle hocha la tête. C'était vrai, les cavernes étaient devenus rare, la majorité de ceux qui restaient avaient quitté El ou rejoint le petit groupe du sud sous la houlette de Jeremiah.

Tu feras quoi, quand tu auras fini ici ?

Elle avait toujours aimé les sciences, quand elle était petite, elle pouvait passer des heures à observer une espèce d'oiseau, une grenouille, n'importe quelle proie... Aujourd'hui, l'idée de les étudier ne l'intéressait plus vraiment. En effet, elle avait découvert ici sa nouvelle vocation, l'histoire. Elle avait envie de continuer dans cette voie.

Je pense que je reviendrais toujours ici, mais je voudrais étudier les légendes d'El, lesquelles sont vraies, lesquelles sont pure invention ?

-Heindrick-

Il attendit la réponse, qui ne tarda pas à venir : elle voulait étudier les légendes d'EL. Il hocha la tête avant de sourire doucement. Des légendes, il n'en connaissait pas beaucoup, à part celles liées aux Dieux. Mais il aimait bien cette idée. Peut-être que d'autres avaient eu la même, et qu'il existait d'autres grottes cachées dans ce monde, remplies de peintures et d'histoires.

Il resta un moment sans rien dire, appréciant le moment comme suspendu dans le temps. Ils étaient dans leur bulle, et pour une fois, Heindrick appréciait la compagnie d'un autre sans trop s'en préoccuper. Il savait que la louve et lui partageaient quelque chose, cette histoire peinte sur les murs. Il n'avait pas envie de repartir, pas tout de suite, il aurait voulu que ce moment dure encore et encore. Alors, son oeil s'éclaira d'une lueur légèrement joueuse, et il demanda :


Les mots sonnaient mal. Il détourna le regard, un peu gêné, avant d'ajouter :

LAÏDA

Il resta un moment sans rien dire, comme s'il réfléchissait à l'idée qu'elle avait. Elle se laissa aller confortablement dans la bulle de silence qui les englobait, le regard porté sur la parole graphique de ses ancêtres. S'immergeant dans l'espoir d'en apprendre plus.

On va plus loin ?

Elle tourna la tête vers lui, peu sure de ce qu'il lui demandait. Elle avait connu plusieurs périodes de chaleurs mais elle était tout de même relativement peu expérimentée dans les relations avec les membres de l'autre sexe. Il détourna le regard.

Dans la grotte jveux dire.

Elle sera les babines et leva la tête pour réfléchir. Elle avait commencé sa culture de champignons dans les autres salles, enfin une bonne partie, mais elles n'étaient pas encore assez développées pour fournir un éclairage suffisant.

hmmm mes cultures ne sont pas prêtes pour voir les peintures dans les salles suivantes, mais je peux te montrer le lac si tu veux ?

Elle se leva et l'entraîna dans le dédale de grottes, toujours plus en profondeur dans la montagne. Petit à petit, une lueur bleue apparaissait et elle la suivit. Le lac souterrain donnait l'impression d'un lac sous les étoiles. Les champignons bioluminescents se reflétait sur la surface immobile de l'eau comme sur un miroir. Laïda sourit.

-Heindrick-

La louve regarda le plafond, avant de lui expliquer que ses champignons n'étaient pas suffisant pour voir au fond de la grotte. Heindrick ne le montra pas, mais il sentit une pointe de déception lui étreindre le cœur : il avait prit gout à cette exploration. Mais Laïda lui parla d'un lac : il n'avait jamais vu de lac, il n'était jamais allé aussi loin ! Il hôcha la tête, les yeux plus brillants.

Il suivi la louve à travers le dédale de grotte qu'elle semblait bien connaître. La lumière bleue disparu d'abord, mais une autre apparu, plus loin. Heindrick avançait sans un autre bruit que le son de ses pattes sur le sol humide, avant d'enfin arriver devant le lac. Il ouvrit des yeux impressionnés : le ciel semblait se refléter sur l'eau lisse, et les champignons luminescents du plafonds rendaient la chose encore plus irréelle. Il dévora des yeux le lieu pendant de longues secondes, comme s'il était témoin d'une sorte de magie divine. Les Dieux avaient créés cet endroit, il n'y avait pas d'autres solution. Il finit par s'asseoir, ne pouvant quitter le lac des yeux. Il murmura d'une voix absente une arrière-pensée, prononcée avec un certain émerveillement :


Cette grotte était si cachée, si secrète que son corps disparaitrait à jamais, décomposé par les champignons et les bactéries. Il lui semblait qu'ils n'étaient que deux à avoir jamais posé leurs yeux ici, du moins depuis plusieurs années. Comme une sorte de secret partagé entre eux. Son regard fut alors attiré par une longue stalagmite au centre du lac, éclairée par une lumière plus naturelle. Il la désigna du museau avant de demander :

LAÏDA

Elle détourna le regard du lac pour en observer l'effet chez le mâle. Il regardait cet espace magique, ébahi. Elle aussi avait réagit comme ça la première fois qu'elle était arrivée ici. Cet endroit était magique, enfin peut-être pas littéralement, mais c'était probablement le même genre de beauté naturelle que la caverne crystalline sur les terres de la Source. Il s'assit et elle s'assit à côté de lui. Elle réalisa d'ailleurs que ça n'aurait pas dû être ainsi, ils n'avaient quand même pas passé toute une journée devant les peintures, la lumière du soleil aurait dû inonder en partie la grotte par la cheminée naturelle...

Si tu voulais, tu pourrais me tuer ici, et personne ne le découvrirait jamais.

Elle écarquilla les yeux et le regarda. Il avait sérieusement dit une chose pareille ?! Elle n'en croyait pas ses oreilles. Du reste si elle était parfaitement pragmatique, déjà il aurait fallu qu'elle puisse le tuer, ce qui n'avait rien de certain et le cas échéant, quelque soit l'endroit où elle l'aurait fait, ça n'aurait probablement dérangé personne... Mais il continuait de regarder le lac, émerveillé.

c'est quoi ?

Encore en train de le regarder avec un air halluciné, la louve ne comprit pas tout de suite qu'il lui posait une question. Elle secoua la tête, essayant de faire abstraction de sa remarque étrange de tout à l'heure.. Il pointait la stalagmite au centre du lac.

Elle était à peine plus éclairée que le reste du lac, mais d'une lueur plus terne, ce qui la ramena à son questionnement anterieur: pourquoi n'était elle pas baignée de la lumière du soleil. Un éclat de lumière vive, suivie d'un fracas retentissant lui donna la réponse. Dehors l'orage faisait rage...

Elle détacha son regard de la cheminée et du fracas de l'orage pour le reposer sur l'éperon de pierre. Elle sentait un truc bizarre mais elle ne parvenait pas à mettre la patte sur ce que c'était et malheureusement son père ayant peur de l'eau, il ne les avait jamais vraiment encouragés à apprendre à nager

Je ne sais pas... Ce truc a une énergie étrange mais je n'ose pas m'aventurer dans les eaux du lac pour voir, et ce n'est pas ma priorité.

-Heindrick-

Alors qu'il essayait de détailler pourquoi la lumière au centre de la grotte était différente, un fracas retentit, le faisant se crisper. Le plafond de la grotte était en fait ouvert, et au dessus, un orage faisait rage. D'ailleurs, la pluie ne tarda à venir, arrosant la tour de pierre d'eau, et Heindrick coucha légèrement les oreilles sur son crâne. S'il voulait explorer l'extérieur aujourd'hui, c'était raté ...

Laïda lui expliqua que la stalagmite avait une étrange énergie, aussi le loup se releva lentement pour s'approcher, jusqu'à ce que ses orteils touchent l'eau, la faisant frémir. Il avait envie d'aller voir, mais en même temps avait senti un certain inconfort chez la louve. Cependant, plus il regardait, plus il avait l'impression que c'était cette pierre qui donnait un air mystérieux au lieu. Il tourna la tête pour regarder la louve crème et bleue, toujours neutre. Elle n'avait pas l'air d'avoir d'idée. La seule que le rayé avait était en rapport avec les Dieux, mais il savait que les cavernes ne vénéraient pas les même que les Source. Il reprit, d'une voix calme :

LAÏDA

Il se releva doucement, comme hypnotisé par la stalagmite, Laïda s'agita, incertaine. Dehors, l'orage craquait avec de plus en plus de violence, ajoutant la pluie à l'eau du lac. Elle plaqua ses oreilles sur sa tête, maintenant elle avait juste envie de s'éloigner du lac.

Si on avait été dans les terres, j'aurai pensé aux Dieux. Mais je sais que les cavernes n'avaient pas les même Dieux que les autres claniques.

Il avait les pattes dans l'eau et soudain, la fourrure de la louve se herissa. Elle attrapa sa queue et le tira en arrière alors qu'un éclair frappait la colonne de pierre au centre du lac. Son cœur battait de terreur et l'adrénaline lui brûlait les veines. Elle cligna des yeux totalement éblouie par la lumière intense, assourdie par le craquement terrible qui secoua la grotte.

Elle réalisa qu'elle avait encore sa queue dans la gueule et la recracha, reculant doucement, la queue entre les pattes. L'orage se déchaînait et elle commençait à avoir vraiment peur.

-Heindrick-

Le regard fixé sur le dolmen, Heindrick avait pris un risque. Tout se passa ensuite très vite : d'abord, son poil gonfla, comme électrifié, alors que l'eau se mit à crépiter. Il voulu reculer, mais Laïda fut plus rapide : elle le chopa par la queue et le tira en arrière. Un éclair déchira alors l'espace, frappant le dolmen en plein centre, l'illuminant comme un soleil blanc. Le son du tonerre déchira l'air, et toute la salle fut comme électrifiée. L'eau sembla crépiter comme l'air autour, et pendant une fraction de seconde Heindrick se demanda si un Dieu avait fait son apparition.

Mais non, tout retomba très vite. Toujours tendu, le poil gonflé d'électricité et deux beaux acouphènes dans les oreilles, Heindrick se tourna vers la louve, les oreilles couchées et un air soucieux dérangeant son habituelle neutralité. Il fit un signe de tête à la caverne : il fallait partir d'ici, et vite.

Il marcha en sens inverse, lentement. Le son déchirant lui avait déséquilibré l'oreille interne, et mettait un peu de temps à revenir. Lorsqu'il sentit le souffle d'air frai venant du dehors, l'odeur le renseigna immédiatement : ils n'avaient pas rêvé, un bel orage venait de se déclencher, comme souvent dans les montagnes. Il s'assit dans la première grotte, sous le son de la pluie diluvienne au dehors. Il secoua la tête avant de dire :

LAÏDA

Lorsqu'il se tourna vers elle, elle put voir qu'il était aussi secoué qu'elle. Leur fourrure était ebourrifee à cause de l'électricité dans l'air. Il lui fit un signe de sortir vite de la salle. Elle prit quelques secondes pour se ressaisir avant de le suivre.

Quand elle arriva dans la première salle, elle put voir l'orage se déchaîner sur un ciel noir de colère. Il était assis, les oreilles légèrement couchées. Sous le bourdonnement sourd qui emplissait encore ses oreilles elle parvint à comprendre ce qu'il lui disait. Elle haussa les épaules. Elle ne savait pas si les dieux étaient responsables de l'orage, seulement le hasard et la malchance. Mais ça ne l'a dérangeait plus qu'il soit là.

Tu peux venir dans ma tanière, mais je n'ai plus rien à manger. Je sortais pour chasser tout à l'heure...

Grâce à sa présence elle avait évité de se trouver dehors au pire moment. Même si ça n'avait pas été volontaire de sa part, ce moment qu'ils avaient partagés, baignés dans les souvenirs de leurs ancêtres communs lui avait épargné une journée et une nuit sous la fureur des éléments.

Elle lui fit un signe de tête pour l'inviter à la suivre. Elle traversa les deux premières salles et, au lieu de continuer tout droit comme pour poursuivre la visite des cavités peintes, elle tourna à gauche. Le passage rocheux s'ouvrit sur une immense cavitée creusée de dizaines de tanières spacieuses quoique spartiates. La sienne était confortablement tapissée d'herbes fraîches et odorantes.

Tu peux rester ici ou dormir dans l'une des autres tanières, comme tu veux.

-Heindrick-

La louve le rejoint, avant de l'inviter dans sa tanière. Il regarda dehors encore une fois, pas tellement tenté à l'idée de rentrer chez lui sous cette pluie battante, avec les éclairs qui illuminaient la montagne. Mais en même temps, il se voyait mal squatter chez Laïda jusqu'au lendemain. Enfin, le choix fut vite fait: il se leva, et finit par suivre la femelle dans les méandres des grottes qu'elle semblait bien connaître.

Là, ily trouva un endroit adapté pour y vivre, avec de nombreuses pseudo-tanières inoccupées. L'une d'entre elle était clairement habitée -celle de Laïda- tapissée de feuilles et d'herbes. Il hocha la tête, avant de se diriger vers une des cavités vides. Il était grand, il dormirait seul. Il s'y installa sur le sol dur et froid, posa la tête sur ses pattes et regarda la louve avant de dire, simplement :


Il préférait dormir maintenant, attendre que l'orage passe pour rentrer de nuit si c'était possible. De toute manière, il savait que lui et Laïda se reverrait, sauf si elle faisait une erreur qui lui coûtait la vie, elle aussi.