Le voyage dans les souterrains était moins pire que ce à quoi Horace s'attendait, mais la présence d'Odine, qui semblait parfaitement savoir où elle allait, y était pour beaucoup. Le solitaire ne s'imaginait pas devoir les arpenter tout seul, et espérait ne jamais être confronté à cette situation...

Après plusieurs jours de marche, il fallut retrouver la surface et la lumière du jour pour se ravitailler et reprendre quelques forces. Le bleu fut soulagé de retrouver le monde extérieur, lassé des conduits humides et sombres dans lesquels ils progressaient. Pourvu qu'ils soient bientôt au bout de leur voyage, et qu'il n'ait plus jamais à y remettre les pattes !

La clairière dans laquelle ils débouchèrent était lumineuse et accueillante aux yeux d'Horace, même si elle ne foisonnait pas de proies à première vue. Alors que le jeune loup était prêt à proposer une chasse en duo à sa guide, celle-ci lui annonça qu'elle devait reporter leur voyage pour le moment, lui proposant de l'attendre ici ou de continuer seul. Pris de court, le solitaire s'accorda un petit moment de réflexion, et à sa propre surprise, choisit de se prendre en patte seul et d'assumer la suite du voyage. Après tout, il était plus que temps qu'il apprenne à se débrouiller...

Après avoir distribué ses derniers conseils, Odine partit de son côté, et Horace se mit en quête de nourriture, concentré comme rarement auparavant dans sa jeune vie. La chance lui sourit et lui permit d'attraper un lapin sans tomber / marcher sur ses cheveux / sur sa queue / se ridiculiser [18/100]. Bref, il allait pouvoir être repu et réfléchir à la suite !

Maintenant, il ne restait plus qu'à reprendre la route. Jetant un coup d’œil au ciel et aux environs, le bleu estima la direction juste pour retrouver les souterrains, puis se mit en route. Les indications de la louve verte résonnaient dans sa tête, et il tâchait de ne pas perdre le fil de ses pensées pour se donner toutes les chances d'arriver vivant au bout de son périple... lorsqu'il aperçut une silhouette devant lui.

Surpris, le solitaire fit halte, jaugeant l'individu en face. Ami, ennemi ? Maintenant, il savait qu'il valait mieux se méfier des rencontres. Tous les loups n'étaient pas des Odines bienveillants. Ne sachant trop quelle attitude adopter, Horace resta en retrait, observateur. Jusqu'à ce qu'il plisse un peu les yeux et remarque les coloris bruns du pelage, les rayures. Un caverne..?

Cette information lui donna le courage de s'avancer un peu plus vers le nouveau venu - la nouvelle venue, en fait. Elle était plus grande et bien plus massive que lui, et même s'il conservait son air détaché, il se sentait plutôt intimidé par sa présence. Pourvu qu'elle soit dotée de bonnes intentions...

« ... Bonjour ? »

Avec un frisson, il réalisa qu'il ne savait absolument pas quoi lui dire, mais il se fit violence pour lancer autre chose. Une autre occasion de récolter des informations ne se montrerait peut-être pas de sitôt, il devait dénicher des indices, faire avancer sa situation, tout en subtilité !

« ... Caverne ? »

Horace ressentit un réel soulagement lorsque la grande louve brune lui confirma qu'elle était bien Caverne. C'était donc la deuxième Yten qu'il croisait sur ces terres, même si le premier avait a priori changé de groupe ? Bah, après tout ce n'étaient pas ses affaires. Avec un peu plus d'enthousiasme, le bleu accueillit l'examen rapproché de sa comparse, mais esquissa une légère grimace lorsqu'elle mentionna les "autres".

« En fait... je suis aussi à leur recherche. » Pour anticiper la potentielle déception de sa vis-à-vis, il s'empressa d'ajouter : « J'ai croisé une louve dans la savane, Odine, qui m'a dit qu'ils étaient aux sud et qu'il fallait passer par les souterrains ! »

Il était comme un bon élève qui récite sa leçon apprise par cœur, avec une ferveur touchante. Au fond de lui, il se sentait soulagé et heureux d'avoir trouvé quelqu'un avec qui partager sa quête. Tout lui semblait plus simple s'ils étaient deux avec le même objectif... et moins dangereux. Chassant une mèche bleue de son front, il pencha légèrement la tête sur le côté pour poursuivre son exposé.

« Je suis arrivé ici avec elle. Elle a dû repartir, et moi j'ai dû aller manger... Je retournais vers le trou dans la terre quand je t'ai vue. »

Redressant les oreilles vers la brune, il la regarda un peu mieux, une étincelle de curiosité dans le regard.

« D'ailleurs, comment tu t'appelles ? »

Le bleu vit son interlocutrice se tendre, et craignit un instant d'avoir dit quelque chose qu'il ne fallait pas. Connaissait-elle Odine ?? Ou avait-elle rencontré quelqu'un de déplaisant ? Peut-être avait-il beaucoup de chance d'être encore en un seul morceau... Horace se rappela la louve cornue du cimetière, qui l'avait mis en garde ; il avait encore du mal à réaliser qu'il pouvait tomber sur des loups hostiles et y laisser sa peau. Cependant, la conversation reprit rapidement, la brune embrayant avec les présentations. Le jeune fut soulagé de voir qu'il ne l'avait donc pas froissée.

« Moi c'est Horace. Je viens de... »

Levant un instant les yeux vers le ciel dans une pose réflexive, le bleu hésita sur la réponse à donner. Non pas qu'il ne faisait pas confiance à Runa... il ignorait juste totalement quoi lui répondre.

« En fait, avec ma mère, on voyageait en compagnie d'un groupe de solitaires. Ça fait... quelques lunes que je suis par ici. Mais j'ai eu du mal à trouver la bonne route... »

Depuis combien de temps traînait-il ses pattes sur ces terres ? Il n'aurait su le dire avec précision, et finit par hausser les épaules, ramenant ses prunelles bleues sur sa congénère. Maintenant qu'il était moins impressionné, il avait des tas de questions en tête à lui poser !

« Et toi, comment tu es arrivée là ? » Il y eut une petite pause, et il fronça légèrement les sourcils, en pleine réflexion. « Ma mère m'a expliqué l'histoire des Cavernes dans les grandes lignes... mais ça me fait étrange de me dire qu'on est tous éparpillés. »

Hochant la tête, Horace emboîta le pas de Runa, maintenant soulagé et sincèrement heureux d'avoir fait sa rencontre. Sa crainte de mourir seul et perdu dans les souterrains venait de s'évaporer, et il se sentait léger ! Son visage lunaire affichait un petit sourire doux tandis qu'il suivait sa nouvelle guide, imitant scrupuleusement ses faits et gestes pour se montrer à la hauteur de leur périple.

Le retour dans les tunnels sombre s'accompagna d'un frisson et un légère sensation de malaise au creux de l'estomac, mais le récit de la brune put rapidement distraire le solitaire. À dire vrai, il se trouva tellement captivé par son histoire et ce qu'elle lui apprenait sur ce monde et les siens qu'il buta plusieurs fois contre une racine ou une pierre, sans aller jusqu'à se vautrer cependant. Absorbé par sa comparse, il ne pensait pas vraiment à regarder où il mettait les pattes, mais comment le lui reprocher ? Il apprenait beaucoup plus de détails qu'avec sa mère, qui avait dû connaître trop d'angoisse dans cette partie de sa vie pour avoir envie de la restituer à sa progéniture. Leurs terres ancestrales, oui il les avait vues, et acquiesça donc en conséquence, avant de s'arrêter net juste avant la collision contre une paroi.

Le bleu s'empressa de suivre Runa dans son trajet, savourant la suite de son récit. Il ignorait qu'un groupe de Cavernes était parti aussi loin ; mille kilomètres ! Des proies inconnues et un nouveau groupe de semblables ! La gueule entrouverte, il buvait les paroles de la brune, les yeux plein d'étoiles malgré la pénombre du lieu. Quelle aventure extraordinaire !

« Ça alors..! D'autres Cavernes... vous deviez être heureux de cette découverte ! Qu'est-ce que tu as appris là-bas ? »

Ainsi, elle ne connaissait pas les dernières péripéties des loups restés ici. Elle avait dû arriver sur EL à peine un peu avant lui ; à peu de choses près, ils se seraient sûrement épargnés quelques dérives s'ils s'étaient trouvés plus tôt ! Enfin, c'était chose faite maintenant au moins. Horace attendit silencieusement que sa guide détermine leur itinéraire avant de reprendre, tentant de lui apporter le peu d'éclaircissements que sa mère lui avait transmis.

« Je n'étais pas encore né, mais ma mère m'a raconté que sur la fin, ils ne restait plus qu'une dizaine des nôtres, alors le leader - Jeremiah ? - a décidé de... libérer les Cavernes ? Le groupe s'est séparé. »

Jetant un coup d’œil aux parois, le solitaire prit notes des fameuses inscriptions dont Runa se servait pour se guider, et observa avec curiosité les symboles qui apparaissaient de-ci de-là au rythme des croisements. Il secoua sa longue chevelure bleue pour chasser le frisson qui ne semblait pas disposer à quitter sa nuque, comme des serres glacées en permanence posées sur son cou.

« C'est pour ça qu'on s'est retrouvés à partir vivre avec des solitaires. Et qu'on est tous un peu dispersés, je suppose. En tout cas, ç'a été une sacrée déchirure pour ma mère. »

Son ton restait neutre, mais il regardait droit devant lui, sourcils légèrement froncés. Il réalisait que la vie avait été tout sauf aisée pour sa génitrice.

« C'est aussi pour ça qu'elle veut que je retrouve le groupe. Enfin... voulait. »

C'était aussi la première fois qu'il semblait réaliser que sa mère avait dû s'éteindre seule quelque part en lui léguant son histoire pour qu'il renoue avec ses racines ; une boule d'émotion lui enserra la gorge, et il serra un peu plus les mâchoires, se plongeant dans le mutisme.

Personne ne parla pendant un moment, la quiétude du lieu étant seulement troublée par le léger bruit de leurs pas sur le sol de terre battue. Horace accueillit avec soulagement ce silence, qui lui permit de digérer son trop-plein d'émotions plus sereinement. Il n'avait pas spécialement envie de pleurer sa mère devant Runa, et la trouva bien gentille de lui laisser un peu d'espace et de temps pour se remettre.

Il lui était aussi très reconnaissant de les guider dans ce dédale souterrain ; seul, il ne serait jamais arrivé aussi loin, ou du moins pas aussi vite. Peut-être même n'aurait-il jamais remis une patte à l'air libre, condamné à errer dans les sombres galeries jusqu'à mourir de faim... Ses yeux s'en écarquillèrent d'horreur, mais il retrouva une expression neutre et tranquille lorsque la brune relança la conversation.

« Hmm, on n'avait pas vraiment d'accroches avec les autres, c'était plus utilitaire, pour voyager sereinement. Quand on est revenus par ici, ma mère m'a dit qu'elle serait rassurée si elle me savait de retour sur nos terres, parmi les miens. »

La mélancolie était passée, ne laissant qu'une pointe d'amertume au fond de la gorge du solitaire. Il ne faisait aucun doute que sans elle, il aurait sûrement été chassé du groupe quoi qu'il arrive, vu son efficacité au travail commun...

« J'avoue que ça me plairait bien aussi... Vivre sur un lieu fixe. Avec des têtes connues et sympathiques. J'en ai un peu marre de marcher partout. »

Il n'avait jamais eu l'occasion de tester, mais Horace se voyait bien casanier, et attendait avec impatience le jour où il pourrait se dire "je suis arrivé à la maison". Jetant un coup d’œil aux différents tunnels qui béaient autour d'eux, offrant mille possibilités de s'égarer au visiteur imprudent, le bleu se rapprocha quelque peu de Runa, qui marchait avec assurance en avant.

« Et toi, tu voyages toute seule ? Depuis longtemps ? »

Une lueur admirative dansa dans ses prunelles limpides ; il aurait beaucoup à apprendre de sa comparse en termes de survie.

Horace fut surpris d'apprendre qu'elle voyageait seule depuis si peu de temps ; enfin, elle avait a priori eu son lot d'aventures avec ses comparses cavernes, mais elle semblait tellement aguerrie ! Voyant qu'elle s'était aperçue de son regard intense, le bleu ramena ses prunelles vers le sol, se contentant de faire attention où il mettait les pattes, pour une fois. Il réalisait que sa propre route pour devenir aussi autonome que Runa était encore bien longue, et son but bien plus loin que les Cavernes.

« J'espère qu'on trouvera bientôt une maison. »

Il avait parlé tout bas, plus pour lui-même qu'autre chose, n'attendant pas de réponse de la part de la brune. Des maisons, elle avait dû en connaître d'autre, et elle avait eu assez de force pour les quitter et reprendre la route. Lui n'avait qu'une hâte : trouver sa place, et la garder.