L'humeur d'Horace avait tourné au maussade, et il arpentait une plaine sèche - qui lui disait vaguement quelque chose - sans aucun entrain. Il faut dire que la journée avait mal commencé. La nuit avait été plus ou moins confortable dans le mozolé, comme l'avait recommandé la louve rencontrée la veille ; par contre, aux premières lueurs de l'aube, il avait été réveillé par des voix ! Se rappelant les mises en garde sur son inconscience, le solitaire n'avait pas beaucoup réfléchi. Il s'était éclipsé discrètement sans chercher à connaître les intentions des nouveaux venus, et avait couru pendant ce qui lui avait semblé une éternité pour laisser cet endroit morne aux pierres sales derrière lui.

Et pour un loup qui n'avait pas mangé autre chose que des racines et quelques baies ces derniers temps, ç'avait été très long comme course. À présent, il était vidé de ses forces, et ne savait plus à quel dieu se vouer pour retrouver les siens. Sûrement qu'il était même parti dans la mauvaise direction, dans sa fuite. Ou peut-être pas... Le problème c'est qu'il n'en savait rien.

Le bleu fit encore un pas, puis laissa son corps fin s'effondrer dans les herbes, avec un "frouf" discret seulement trahi par le petit nuage de poussière qui s'envola lorsqu'il atteint le sol. Au milieu des tiges rigides, il resta immobile, dépité. Et il ne paniqua même pas lorsqu'il entendit des pas non loin de lui. Sa lassitude n'en fut que plus grande à l'idée qu'il était peut-être encore exposé au danger, et il ne put que geindre dans sa barbe la clémence de l'arrivant.

« S'il vous plaît, je voudrais revoir les miens avant de mourir seul et bête... »

Il y avait maintenant quelqu'un à côté de lui. Les yeux fermés, Horace attendit le verdict, des insultes ou un coup de croc dans la nuque, radical. Il était étrangement serein pour un loup possiblement exposé au danger, mais en même temps sa fatigue était trop intense pour qu'il continue de s'inquiéter de son sort. Contre toute attente, le seul contact qu'il perçut fut une patte légère sur son front, puis quelqu'un fourragea à côté de lui. Intrigué, le solitaire rouvrit un œil, se trouvant truffe à truffe avec un bouquet de plantes. De l'autre côté, une voix féminine - douce, mais ferme - lui intima de se repaître de ces quelques végétaux.

Horace n'était pas difficile - c'était même tout l'inverse. Et puisqu'on lui disait de manger, il mangea, se redressant juste pour attraper délicatement l'offrande, avant de la mâcher avec lenteur. Ce n'était pas très bon, mais après tout, ça ne pouvait pas lui faire de mal. Les joues pleines d'herbes, certaines pendant au-delà de ses babines - pas facile à avaler tout ça - il osa enfin regarder à qui il avait affaire.

Une louve a l'air soucieux se tenait au-dessus de lui, son pelage délicatement vert se détachant du ciel bleu, et fusionnant avec les quelques brins d'herbes qui n'avaient pas encore cuit sous le soleil. Elle avait quelque chose de maternel dans le regard qui mit immédiatement le crème en confiance, et il fixa ses prunelles aux siennes, affichant une émotion sincère - et pour une fois un peu plus intense que la normale.

« Merci pour ce repas. Merci beaucoup. »

Heureusement que les dieux lui avaient envoyé cette sauveuse ! Rasséréné par sa présence amicale, Horace déplia ses longs membres et s'assit en face de la nouvelle venue, tâchant de chasser les restes de son repas qui s'accrochaient à ses babines et ses gencives.

« Vous êtes la première personne sympathique que je croise depuis que je suis arrivé. »

Sa sauveuse ne se laissa pas distraire de la tâche qu'elle s'était fixée, et poursuivit son examen d'Horace en l'observant sous toutes les coutures. N'ayant aucune raison d'interrompre son auscultation, le solitaire se prêta volontiers à son ménage et ne bougea pas d'un iota, la suivant des yeux où qu'elle se déplace. Tel un louveteau bien éduqué, il répondit à son aînée avec politesse, curieux de savoir où elle allait en venir.

« Tu n'as pas mal ? Pas de maux de ventres, à la tête, aux yeux ? Tu t'es battu ? »
« Non, non plus, et heu... non, rien de tout ceci. » Il arqua un sourcil, surpris par l'intensité de l'interrogatoire. « Encore moins ! Je suis un piètre guerrier, d'après ma mère. Le dernier effort que j'ai fourni, c'est une petite course pour partir du cimetière. »

Soudain plongé dans une grande réflexion, Horace adopta un air absent, relevant les yeux vers le ciel. Sa fuite était-elle d'ailleurs justifiée ? Sur le coup, il avait paniqué, mais peut-être qu'il s'agissait seulement des premiers loups qu'il avait rencontré au cimetière, ou d'autres énergumènes tout aussi sympathique. Avec le recul, il n'arrivait plus trop à comprendre pourquoi il avait fallu qu'il se précipite. Ne pouvant trancher la question maintenant, il haussa les épaules et se concentra de nouveau sur la guérisseuse. Si elle était du coin, elle pourrait possiblement l'aider dans sa quête !

« Vous habitez ici, madame ? Avez-vous connaissance du dernier passage des loups cavernes dans le coin ? »

Face au soupir et à l'air songeur de sa vis-à-vis, Horace crut qu'il allait encore devoir affronter une déception - peut-être que les cavernes étaient morts, ou partis définitivement ? Allait-il se retrouver seul ? Inutile de songer à rattraper les solitaires avec qui il voyageait en compagnie de sa mère, ils devaient être bien loin... Mais alors, que deviendrait ce jeune loup malhabile ??

« Il y a un petit groupe de caverne, là-bas, au Sud. Si tu veux les rejoindre, il te faudra passer par les souterrains. Les as-tu déjà arpentés ? »

Le choc transforma d'abord le visage impassible du bleu, avant qu'un sourire d'enfant ravi ne s'épanouisse sur ses babines, illuminant son regard. Enfin une piste concrète, quelque chose à quoi se raccrocher ! Avec l'espoir, un regain d'énergie afflua dans ses membres, et le solitaire se redressa, focalisant toute son attention sur le début de réponse de son interlocutrice.

« Les cavernes sont au sud !! » Il se tourna dans la direction indiquée par son aînée, cherchant le moyen de fixer cet objectif dans son crâne histoire de ne pas dévier une nouvelle fois de trajectoire. « Le sud, c'est par là ! Au-delà de... heu ! »

Bon, en réalité il n'était pas beaucoup plus avancé, vu l'étendue du territoire qui s'étalait sous son museau. Une vallée gigantesque, des arbres loin, très loin... Il n'avait pas fini de marcher. C'est alors qu'il se rappela qu'une partie des informations lui avait visiblement échappé, et il se retourna vers la louve verte, revenu sur terre, le sourcil légèrement arqué.

« Des... souterrains ? »

Marcher sous la terre, sans la lumière du soleil, sans le ciel pour se guider, pour passer le temps ? (Certes ça le distrayait surtout et lui faisait régulièrement perdre le cap, mais au moins il se sentait à l'aise). La perspective de reprendre la marche dans la pénombre et l'humidité était quant à elle plutôt effrayante...

Horace n'en apprendrait pas plus sur les souterrains aujourd'hui, mais il ne se trouvait pas démuni pour autant ; sa sauveuse lui indiqua fort obligeamment un endroit où il pourrait retrouver des forces, et il suivit son geste avec un vif intérêt. Il avait plus que hâte de dormir en sécurité et de trouver de quoi se restaurer. Se redressant à l'instar de la louve verte, il ancra les détails de son trajet dans sa cervelle - rivière, remonter la rivière, étang, temple. Nourriture. Sommeil. Un programme alléchant !

L'aînée avait l'air fort occupée, ce qui en soi ne surprenait pas beaucoup le bleu. Elle avait l'air savante, et si elle venait en aide à des paumés comme lui, elle ne devait pas manquer de travail ! Désireux de ne pas l'accaparer trop longtemps, il hocha la tête avec allant.

« C'est- c'est d'accord ! Merci. »

Il était presque ému de se voir ainsi aidé par une parfaite inconnue, bien que son visage restât bêtement grave. Incapable de trouver d'autres paroles convaincantes, le jeune loup se mit en route, puis s'arrêta après quelques pas : il ne connaissait même pas le nom de son ange gardien ! Mais quand il se retourna, elle vaquait déjà à ses autres occupations. Bah, il n'aurait qu'à lui demander lorsqu'elle reviendrait. En tout cas, il espérait de tout cœur qu'elle reviendrait. Le contraire serait bien cruel, n'est-ce pas ?

Ce n'était pas de bonnes pensées à avoir, mieux valait se concentrer sur sa tâche. Reprenant son chemin, Horace s'acharna à ne pas dévier sa trajectoire, histoire d'être au moins présent pour leur prochain rendez-vous.

Trouver le temple se révéla plutôt facile ; en revanche, bien que le gibier soit en effet abondant, le solitaire ne se découvrit aucun talent pour la chasse. En fait, ce n'était pas vraiment une découverte, mais plutôt une confirmation. Non seulement il était incapable d'attraper quoi que ce soit, mais en plus il réussit à se froisser le muscle d'une patte en essayant désespérément de débusquer puis attraper des rongeurs (dé 100). Piteux, il claudiqua jusqu'au temple, avec la ferme intention de s'y rouler en boule et d'attendre le retour de la louve verte. Fort heureusement pour lui, sa mémoire lui permit de retrouver quelques plantes qu'elle lui avait fait ingurgiter, et il ne manquait pas d'eau.

Il n'empêche que l'attente risquait d'être longue.

La verte avait dit "dans quelques jours", Horace s'en rappelait bien ; le problème, c'est que c'était très vague comme indication. Combien de temps devrait-il attendre ? Deux jours étaient déjà passés, et si sa patte allait mieux, les herbes commençaient à le rendre malade, en plus d'être insuffisantes pour calmer son estomac grondant. Le solitaire dut donc se résoudre à une nouvelle tentative de traque, en étant en plus affaibli...

Mais il faut croire que la faim lui avait donné des ailes, puisqu'après quelques tentatives hésitantes et donc ratées, il avait réussi à happer un jeune lapin bêtement sorti de son terrier, qui avait préféré fuir plutôt que retourner sous terre (dé 20). Le bleu en avait été tellement surpris qu'il avait failli rester immobile, mais son corps avait réagi pour lui, et avant même qu'il le réalise, il tenait l'idiot animal entre ses crocs. Ce repas fut un délice, et il en savoura chaque miette.

Aussi, lorsque l'aînée fut de retour le surlendemain, il n'était pas à l'article de la mort, mais plutôt confiant en l'avenir - quoi que le régime végétarien des premiers jours avait un peu creusé ses côtés.

« Je suis prêt ! »

C'était vrai, il se sentait déterminé à progresser dans sa quête, surtout en bonne compagnie ! Sa sauveuse - Odine - semblait connaître le territoire, et le jeune loup était heureux de pouvoir marcher avec de la compagnie. Rejetant vers l'arrière les longues mèches bleues qui tombaient devant ses yeux, Horace esquissa un sourire affable.

« On va où ? »

Le duo se mit rapidement en route, Horace étant rassuré par la temporalité fixée par sa guide. Même si deux jours pouvaient sembler long, au moins son périple avait une date de fin, et c'était bien plus positif que la somme de toutes ses errances des quelques dernières semaines. Tandis qu'il chassait de son champ de vision les mèches bleues éparses qui venaient l'embêter, Odine lui posa une question inattendue, qui demanda un petit temps de réflexion au solitaire, ponctué par quelques remarques personnelles à voix haute.

« La médecine ? Oh, euuuhh... » Si c'était pour soigner un mal de tête, il n'y voyait pas d'inconvénient. Par contre, face à une double fracture ouverte, il n'était pas sûr d'être à la hauteur. « Eh bien, je trouve ça très intéressant, mais je connais surtout des plantes... Euh, pas des manipulations. »

Il était quand même assez lucide pour savoir que s'il s'improvisait praticien dans l'immédiat, il occasionnerait plus de mal que de bien. S'il pouvait compter sur sa mémoire pour les plantes et leurs effets, ses pattes restaient des outils très gauches. Ce qui se vérifia rapidement quand, perdu dans ses pensées, il manqua trébucher contre une touffe de mauvaises herbes particulièrement épaisse.

« Je n'ai jamais essayé, mais je ne pense pas être très doué. Je ne suis pas un manuel. »

Après, il est vrai qu'il n'avait jamais eu de maître digne de ce nom pour lui enseigner les bases. Le loup crème tourna des prunelles curieuses vers sa compagne de route.

« Vous vous y connaissez en plantes, mais vous savez guérir des blessures aussi ? »