-Kuma-

Kuma était en train de mourir. C'était une certitude à présent que l'hiver s'était installé. Elle sentait son corps rouillé ployer sous le poids des âges, et chaque était plus difficile que le précédent. Son poil épais de caverne cachait à peine sa maigreur, causée par une mauvaise assimilation des aliments, et une alimentation éparse. La douleur de ses articulation n'était pas forte, mais constante, et chaque jour c'était une nouvelle chose qu'elle ne pouvait plus faire. La vieillesse lui privait peu à peu des bonheur de la vie.

Pourtant, chaque matin, la brune se levait, et se rendait au ruisseau, à son endroit préféré. Là, elle attendait toute la journée, à l'affut. Elle pêchait, longtemps mais pas très efficacement, à l'aide de son ouïe. C'était là sa routine, bien installée, qui la rassurait. Cela faisait longtemps que Kuma était prête à mourir. Depuis qu'elle était morte une première fois, mais que les Dieux l'avaient sauvée, elle savait que ses jours était un cadeau, une bonté divine. Alors elle les considérait comme tel, et passait chaque jours à en être reconnaissante, pour sa vie, pour son fils, pour ceux qui veillaient sur elle alors que sa flamme s'éteignait lentement. Et si elle savait qu'elle mourrait seule, sur ses terres, comme elle en avait fait le choix il y a bien longtemps, la chaleur des autres était un cadeau merveilleux.

Ce matin là, ce fut la voix d'Imryu qui la réveilla. Elle avait probablement trop dormi, son sommeil entrecoupé par la douleur de son corps vieillissant. Elle ouvrit les yeux et perçut l'aura, douce et chaude, de son amie. L'odeur humide des poils à peine séchés emplit ses narines, ainsi que celle de la terre moite, de l'air froid hivernal, du soleil tapant sur les herbes sèches. Et enfin, une odeur délicieuse de proie.


La caverne se leva avec quelques difficultés, avant de répondre :

ça va. Et toi ?

Elle accepta sans un mot le cadeau d'Imryu, se mettant à manger lentement, ménageant ses dents usées. La viande était bonne, peut-être même tuée par la louve elle-même. Kuma prit son temps, appréciant chaque bouchée jusqu'à finire entièrement la proie en silence. Lorsqu'elle eut terminé, elle releva le regard. Il fallait qu'elle parle à Imryu, mais elle n'en avait pas encire. Les deux louves s'étaient toujours comprises presque sans rien dire, et c'est pour cela que Kuma l’appréciait autant. Il lui semblait que leurs âmes, par un parcours étrange et anarchique, s'étaient retrouvées proches, très proches, si proche que leurs chaleurs s'échangeaient sans avoir besoin de communiquer. La vieille louve ouvrit la gueule avant de dire simplement :

Je vais partir. Pas maintenant, mais bientôt. Je veux retourner sur la terre de mes ancêtres, pour y mourir.

Elle baissa la tête, mais aucune expression ne vint altérer la neutralité de son visage. Elle n'était pas triste, avait dépassé ce stade depuis longtemps. Elle savait son fils prêt, il était adulte à présent, et n'avait plus besoin de sa vieille mère. Elle savait qu'Imryu comprendrait son désir.

-Kuma-

La louve rouge et noire baissa son oreille, la seule qui lui restait. Elle était triste, Kuma pouvait le voir de son œil encore valide. Mais elle apprécia la pudeur de son amie. Qu'aurait-elle fait si elle s'était mise à pleurer ? La vieille louve avait passé l'âge de réconforter les autres, ou plutôt, elle n'avait jamais été douée avec ça. Elle accepta simplement le contact de son amie, comme elle avait accepté ce qui devait lui arriver. Elle était simplement heureuse et pleine de gratitude envers les Dieux de lui avoir offert cette fin de vie formidable, un fils, et une amie.


Kuma tourna lentement son regard vers Imryu, et un sourire doux déforma son visage à moitié mangé par les cicatrices. Ses terres ... Son clan, elle n'en avait jamais parlé à Imryu, mais elle n'avait jamais demandé. Il était probable que si elle lui avait demandé plus tôt, elle n'ait pas voulu révéler quoi que ce soit à la solitaire au passé inconnu. Mais maintenant, peu lui importait. Imryu et elle étaient amies, et elle savait que la mère ne lui ferait rien. Perdant son regard blanc dans le vague, elle répondit lentement :

Elles sont très anciennes. La savane est chaude, battue des vents, et les troupeaux y sont rares et difficiles à attraper. Ensemble, on y arrivait bien, mais les proies passaient leur hiver bien plus loin. Les montagnes étaient notre domaine, leurs cavernes étaient grandes et accueillantes. Y sont inscrits l'histoire de notre peuple, nos valeurs, notre mémoire.

Le sourire ne quittait plus les babines de la louve. Elle savait qu'elle rejoindrait bientôt ses vieux parents, et qu'ils seraient fiers d'elle. Elle avait été une bonne caverne. Pourquoi Imryu souhaitait savoir ceci, alors qu'elle n'avait jamais demandé pendant toutes ces années, lui échappait. Mais Kuma ne retourna pas la question, fidèle à son serment intérieur de ne pas chercher à en savoir plus sur la solitaire. Peut-être qu'elle s'ouvrirait d'elle-même.