Fin décembre 268
Déesse Éléonore, jouée par Fracture46

C’était l’heure, l’heure de se montrer. Ce devait être différent de la dernière « apparition » qu’Éléonore avait faite, ne faisant que souffler des indications aux oreilles des mortels concernant la position de l’Artefact. Cette fois, les juges pourraient observer sa splendeur en personne. Ce serait bien mieux que cette statue qui la représentait. Plusieurs de ses filles étaient en salle de prière, tant mieux, ce serait un bon moment pour se dévoiler à leur yeux.
La balance de la justice se mit à cliqueter de façon étrange. La gueule de la statue s’entrouvrit, libérant l’imposant outil qui en sortit avant de s’élever vers le plafond de la salle, restant en suspens. Il se mit à luire d’une aura rouge telle un petit astre alors qu’un éclat de la même couleur apparut dans les yeux de la statue. Puis, la statue referma la gueule et la lumière rougeâtre se répandit partout. Quand la lumière se dissipa, la silhouette rougeoyante de la Déesse de la justice était devenue chair et os et non plus de la roche inerte. Malgré son bandeau, les deux juges présentes dans la salle purent deviner que son regard était sur elles lorsque la divinité baissa le museau. Restant assise sur son promontoire, elle s’adressa aux deux fidèles d’une voix traduisant son impartialité et son humilité toute relative.

« Mes chères filles juges, je n’ai que peu de temps à vous accorder. Si je vous honore de ma présence, c’est pour vous annoncer le retour proche de vos dons. Les religieux seront les premiers, puis viendra le reste des clans. »

Éléonore resta relativement immobile, son regard inquisiteur braqué sur les deux juges présentes et son bandeau volant de façon mystique. Elle voyait l’aura flamboyante d’un orange vif d’Idryss et celle tout aussi intéressante et d’un bleu glacé de Kelekt. Une troisième aura été perceptible, d’un rouge sombre. Sans doute Achlys, l’hôte d’Orochi. Viendrait-elle dans cette salle ?

Depuis que Kelekt avait eu cette altercation légendaire avec Deenos, la blanche n'allait pas bien... Idryss avaient décidé de laisser vivre ses petits sans elle pendant quelques jours. Bien sûr, ils sont surveillés par un membre de la famille qui a accepté de les garder. En tout cas, Idryss n'aurait pas fait cela s'ils ne savaient pas se débrouiller comme des grands. Ils savent se nourrir, ils connaissent l'environnement autour d'eux et puis la plupart de leurs journées durant son absence seront remplis par leur apprentissage.

Idryss arpentait le jardin extérieur entourant la bâtisse flottante. Ça faisait du bien d'être ici et d'y revivre un peu. Le palais d’Éléonore est l'une de ses maisons. Tantôt principale, tantôt secondaire, suivant les périodes.
Fralëth était là, elle aussi, dormant. Depuis la disparition des pouvoirs, la dragonne s'était éloignée de sa mère, disparaissant parfois plusieurs jours, mais revenant toujours. Puisqu'elle l'avait eu petite, la dragonne continuait de suivre Idryss et de respecter ses ordres, sauf quand elle faisait sa têtue. Heureusement, imaginez si l'absence du pouvoir d'Idryss aurait fait radicalement changer de caractère le dragon blanc aux yeux bleus ? Cela aurait été catastrophique ! La langue des dragons étant implantée en Idryss comme une langue maternelle, cette dernière pouvait employer des mots. Même si elle n'en avait pas spécialement besoins, Fralëth étant habituée à certains mots canins et à des intonations.

La juge cornue passa un moment dans le jardin, avant de rentrer. Elle se dirigea vers le tribunal, pièce où se trouvait Kelekt. Lorsqu'elle arriva, la blanche était assise devant Éléonore, la tête penchée vers le bas. Idryss sut directement qu'elle priait. Pour ne pas la déranger, elle s'installa à quelques mètres d'elle. Elle observa la statue.

La balance se mit à bouger. La tête d'Idryss pencha légèrement sur le côté. Il n'y avait pourtant pas de fort courant d'air qui pourrait la mouvoir. La gueule de la déesse s'ouvrit, ce qui étonna un peu plus la Démonia. La balance glissa dangereusement de la gueule. Idryss prit peur et se leva d'un coup pour se précipiter sous la statue afin de rattraper l'objet d’Éléonore. Il ne fallait surtout pas qu'elle se brise ! Seulement, l'objet ne chuta pas plus de quelques centimètres et se mit à flotter. C'est quoi ce délire ? Idryss recula en ayant en même temps les yeux rivés sur la balance de La Justice. Celle-ci, entourée d'une lueur rouge, finit par s'arrêter de bouger. Idryss aurait pu croire à une mauvaise farce si la magie était active. Elle entendit la statue fermer la gueule. La noble juge bascula son regard en suivant sur la statue et une lumière rouge envahit le tribunal. Elle se mit une patte devant les yeux, face à cette lumière soudaine. Lorsque la lumière s'atténua, quelqu'un parla et Idryss en fut sous le choc.

Mes chères filles juges, je n’ai que peu de temps à vous accorder. Si je vous honore de ma présence, c’est pour vous annoncer le retour proche de vos dons. Les religieux seront les premiers, puis viendra le reste des clans.

Les pattes d'Idryss tremblèrent tandis que ses yeux étaient ronds et que sa gueule était ouverte. Elle n'en croyait pas ses yeux. Devant elle, Éléonore se tenait et leur parlait. La surprise était totale ! Bien qu'elle ait déjà eut des visions de sa déesse, notamment lorsque Akui s'incarna, c'était bien la première fois qu'elle voyait sa déesse ainsi. Elle avait l'impression qu'elle était là, physiquement et qu'elle pouvait la toucher. Peut-être est-ce même le cas ? La statue n'est plus là ! Elle l'a remplacé par son corps comme le fit Akui ?! Est-ce qu'elle venait de s'incarner ? Calme toi, elle vient de dire qu'elle n'avait pas beaucoup de temps. Ça ne peut pas être possible. Ou si, plus tard ?

Oh mon dieu, oh mon dieu, oh mon dieu ! L’excitation remplaça la surprise et si elle n'avait pas autant de retenue vis-à-vis de ses émotions, sans nul doute qu'elle pisserait de joie sur place. La rouge ferma les yeux et secoua sa tête. Ce ne servit à rien : Éléonore est encore là. Au moins maintenant, son esprit s'est un peu remis. Spontanément, elle lâcha :

S'il vous plaît, restez encore un peu ! Je vais appelez les autres !

Elle partit précipitamment, laissant un instant Kelekt en présence d’Éléonore, à peine eut-elle fait une dizaine de mètre de la porte du tribunal, qu'Idryss se mit à rameuter tout le monde. Une fois son petit tour fait, elle revint au tribunal aussi précipitamment qu'elle en était partie. Le cœur battant, elle espérait fortement que la déesse aveugle ne soit pas partie. Avant de franchir les portes, elle prit tout de même un instant pour se calmer. Elle franchit les portes calmement et avança tout aussi calmement vers la déesse. Ses oreilles étaient baissées, signe de sa soumission envers sa déesse. Elle se dit aussi que, peut-être, son départ avait manqué de respect... La Démonia rejoint sa place de base et se prosterna devant La Justice. Tête baisse, elle s'excusa humblement :

Je vous prie de m'excuser déesse Éléonore pour ce départ précipité et déplacé. J'ai manqué de retenue face à vous, mais j'ai jugé que votre présence devait être vue par toutes. Aussi, je m'excuse pour vous avoir mis de côté durant la croissance et l'éducation diverse de mes petits. Je suis venue vous voir très peu, vous oubliant même parfois. J'ai failli à mon engagement de juge durant ces six derniers mois. J'en profite également pour vous remercier de nouveau de nous avoir mis sur la voie de l'artefact.

Effectivement, Idryss était revenue très peu dès l'instant où elle avait quitté le palais avec ses petits. Néanmoins, la mère n'avait pas omis de poursuivre l'enseignement des valeurs de La Justice à ses trois dragonnais, tout comme celles de Zexal, confrère clanique d’Éléonore. Sans oublier Solar, le père des dragons. Elle leur avait également touché quelques mots vis-à-vis des autres dieux, mais ces trois-ci sont les plus importants pour la famille Démonia et Idryss.
À présent, la noble juge guerrière attendait que la déesse rouge veuille bien lui dire de se relever.

Éléonore perçut sans la moindre difficulté la surprise des deux juges qui se trouvaient dans la salle. La blanche la regardait avec un air ahuri, la rouge en tremblait même d’excitation. C’était agréable pour son orgueil divin de susciter ce genre de réactions. Kelekt resta de marbre tandis que sa consœur lâcha avec un naturel surprenant.

« S'il vous plaît, restez encore un peu ! Je vais appelez les autres ! »

En suivant, la juge cornue sortit précipitamment de la salle. Elle était une Démonia, même un imbécile l’aurait su. Ce caractère si singulier, cette flamme perpétuelle, c’était ce qui faisait que la divinité appréciait les lignées pures du Feu. Elle entendit bientôt la juge appeler ses consœurs à la rejoindre en exprimant, non sans un grand entrain, ce qu’il se passait.
Pendant ce laps de temps, Éléonore tourna son regard invisible vers Kelekt. Elle se sentait coupable d’avoir mal agi avec un mâle, Deenos. Elle avait été amusé de suivre cette histoire. La Déesse de la Justice lui adressa avec un mince sourire et un air moins neutre que d’ordinaire.

« Ne te morfond pas, Kelekt. Même si tu as été brusque, un mâle qui ne voit pas les avances d’une femelle, d’autant plus si c’est une juge, mérite une petite correction. Je ne t’en tiendrai pas rigueur. »

La juge blanche la regarda avec un air surpris, mais pour une autre raison. Elle perçut la reconnaissance de la mortelle, bien que celle-ci ne répondit rien. Puis, Idryss revint dans la salle avec d’autres juges au regard mêlant déroute et surprise. Elle semblait beaucoup plus calme. Sans doute la juge rouge avait pris sur elle pour faire preuve de plus de mesure. Elle s’arrêta à sa position initiale et se prosterna, tête basse, avant d’adresser à Éléonore.

« Je vous prie de m'excuser déesse Éléonore pour ce départ précipité et déplacé. J'ai manqué de retenue face à vous, mais j'ai jugé que votre présence devait être vue par toutes. Aussi, je m'excuse pour vous avoir mis de côté durant la croissance et l'éducation diverse de mes petits. Je suis venue vous voir très peu, vous oubliant même parfois. J'ai failli à mon engagement de juge durant ces six derniers mois. J'en profite également pour vous remercier de nouveau de nous avoir mis sur la voie de l'artefact. »

La figure de la Justice avait repris un air neutre et porta son regard voilé sur la concerné. Il était vrai qu’elle avait manqué d’engagement ces derniers mois et il était rare que les juges aient des compagnons. Mais son cas était particulière. Elle était l’unique héritière de sa famille sur sa génération, elle avait sans doute été poussée par les Démonias. Aussi la louve rouge à l’aura divine et à l’aspect presque irréel s’exprima.

« Inutile de te confondre en excuses. Je comprends votre surprise et votre excitation à toute. Cependant le temps m’ait compté, cette incarnation a beaucoup coûté à moi et mes confères et consœurs divins. Les autres sont aussi en face de leur fidèles actuellement. »

Elle balaya l’assistance du regard avant de s’adresser de manière plus large et vaguement autoritaire à celles présentes.

« A présent que vous êtes plus nombreuses, je vais me répéter une fois. Les pouvoirs vont vous revenir. Puis le reste de votre clan suivra dans les semaines à venir. Ressentez la clarté de la justice vous envahir. »

Une lueur rouge illumina les yeux voilés d’Éléonore alors qu’une vague d’énergie magique rougeâtre se répandit dans la salle, traversant les juges présentes et les imprégnant de magie. La lueur disparut et elle adressa à l’assemblée sur un ton exprimant toute la neutralité de son jugement.

« Si vous avez des questions, demandez tant que je vous honore de ma présence. Je ne pourrai rester plus d’une ou deux heures. »

L’incarnation de la Justice observait sans bouger la tête ses juges, décryptant les expressions pour voir lesquelles allaient s’adresser à elle. Nul doute qu’Idryss le ferait. Mais qui d’autre ? Kelekt était restée silencieuse jusqu’ici.

Idryss resta la tête baissée devant sa déesse jusqu'à ce qu'elle lui réponde. Pour Éléonore, il fut inutile de s'excuser. La cornue se redressa et releva la tête. Sa déesse ne lui en voulait pas de s'être éloignée de sa voie pendant tout ce moment. Elle en comprenait le motif.

Une information capitale fut prononcée. Il n'y avait pas qu’Éléonore en ce moment, mais tout le panthéon divin. Elle se demanda un instant si le couple Rhéa et Dalnar arpentait les territoires en attendant que tous finissent de parler aux religieux. Après tout, il n'y a pas de religieux spécifiques à ces deux dieux très hauts placés. On pourrait dire que les élémenloupiens sont naturellement affiliés à eux, tant qu'ils ne les ont pas reniés en des actes ou des paroles. Par exemple, brûler un territoire de façon volontaire, est un affront envers Dalnar et tuer un élémenloupiens par plaisir est un affront envers Rhéa.

La Justice répéta à toutes ce qui fut dit précédemment à Kelekt et Idryss. Sur le coup, la noble juge guerrière n'avait pas fait attention à l'information, bien trop clouée sur place. Une puissante vague de magie les traversa et le corps d'Idryss se réchauffa. Il lui sembla aussi que la température ambiante avait augmenté, mais ce devait être elle qui ressentait de cette façon ce qu'il se passait. Les pouvoirs vont revenir, pour tous. Elle allait retrouver tout le vocabulaire de la langue draconique et calmer Fräleth lorsque celle-ci se montre trop têtue. Kelekt, de son côté, va pouvoir refroidir Deenos si elle a encore de la rage envers lui.

Si vous avez des questions, demandez tant que je vous honore de ma présence. Je ne pourrai rester plus d’une ou deux heures.

Eléonore les observa tour à tour. Un bandeau épais couvrait ses yeux, pourtant, elle s'arrêta à chaque fois sur quelqu'un. La déesse était dite aveugle, mais est-ce réellement le cas ? Peut-être qu'elle arrive à voir un tout petit peu à travers son bandeau ? Il est aussi dis que la déesse rouge possède comme un radar qui lui confère une autre vision que celle de tout un chacun.

Les pouvoirs ont disparu avec Akui. Comment avez-vous fait pour nous les rendre ?

Question pertinente. Akui est le dieu des pouvoirs et son absence a conduit à la disparition de ceux de tous les mortels. Les autres dieux sont pourvus de magie et les religieux savent quels pouvoirs ils ont à peu près, sans pour autant tous les connaître. Après tout, sans doute y en a-t-il d'autres secondaires que ceux leur étant totalement connus. Il est intéressant de savoir comment les dieux ont fait pour leur rendre quelque chose venant d'Akui lui-même. Ils ont forcément dû revoir tout le concept et trouver une dérive au processus du dieu aux pattes élémentaires.
Idryss réfléchit de son côté à une question pertinente. Malheureusement, elle avait beau essayer, elle n'arrivait pas bien à penser, encore perturber par la présence de La Justice. Bien qu'elle se soit calmée et remise de ses grandes émotions du début, elle était encore sous l'effet de la surprise et l'éblouissement de sa venue. Néanmoins, puisque le sujet d'Akui est sur le tapis, elle enchaîna sur ça, plutôt que de rester sans rien dire.

Akui a-t-il était jugé pour ses actes ? J'imagine que vous, ou un autre divin, n'aurez pas laissé passer tout ceci. Si nous devons communiquer des choses à notre clan à son sujet, nous sommes tout ouïe.

Idryss, ainsi que les autres juges, attendirent patiemment cette réponse autant que celle de la question lancée par Kelekt.

Après un silence qui avait suivi l’invitation d’Éléonore à lui parler, c’est Kelekt qui prit la première la décision de s’exprimer. Elle demandait comment les divins avaient parvenu à rendre leurs pouvoirs aux mortels. Une question juste et pertinente. Une autre suivie, posée par Idryss cette fois.

« Akui a-t-il était jugé pour ses actes ? J'imagine que vous, ou un autre divin, n'aurez pas laissé passer tout ceci. Si nous devons communiquer des choses à notre clan à son sujet, nous sommes tout ouïe. »

La Justice eut un léger sourire à cette question. Sans plus attendre, elle répondit dans l’ordre des demandes sur le même ton neutre et impassible.

« Quand Akui a été vaincu, l’essence même de ce qui forme les pouvoirs de vous autres mortels a éclaté, faisant disparaître vos dons. Moi et les autres dieux avons uni nos pouvoirs pour rassembler cette essence. À présent, chacun de nous donne de son énergie et en reçoit lors de l’utilisation de vos pouvoirs. Ainsi, les divins sont justes et égaux, Akui ne sera plus le plus puissant des divins en dehors des Créateurs. »

Elle marqua un temps de pause, laissant à ses filles spirituelles le temps d’assimiler l’information. La reconstruction de l’essence des pouvoirs avait été longue et très demandeuse en concentration et en énergie pour chacun des dieux. Tous y avaient mis du leur et la finalité leur profiterait à tous à l’avenir. L’incarnation de la Justice reprit.

« En ce qui concerne Akui justement. C’est moi qui ait été désignée pour le juger. Après tout, ne suis-je pas l’incarnation même de la justesse et de l’impartialité. »

Éléonore afficha un léger sourire, quittant un moment son expression neutre et appréciant les juges qui opinèrent toutes de manière plus ou moins prononcée. Son sourire s’effaçant, elle continua.

« J’ai jugé Akui et il était coupable. Je l’ai condamné à un siècle de privation de ses pouvoirs divins. Notre cher Dalnar s’est occupé de tracer un sceau sur sa belle fourrure blanche qui inhibe totalement ses pouvoirs et qui se brisera de lui-même lorsque la sentence sera levée. Il a tenté de dévaster ces terres après tout, il méritait une punition à la hauteur du préjudice. »

Sur sa dernière phrase, la divinité à la fourrure écarlate prit la position ordinaire de sa statue pour donner un côté un peu plus solennel à la déclaration. Akui avait tenté de détruire cette région, la réponse de La Justice fut de le mettre à bas pour un bout de temps. Il ne méritait aucun pardon, d’autant qu’il avait transgressé la règle tacite des dieux qui était de ne plus intervenir physiquement auprès des mortels.
Éléonore se remit en suivant à observer l’assistance, cherchant dans les regards une lueur de questionnement.

Après Idryss, personne d'autre ne parla. Éléonore avait déjà deux questions auxquelles répondre. Il ne fallait pas toutes les poser d'un coup, sinon ce serait bien trop et surtout, c'était impossible de répondre à tout le monde en même temps.

La déesse rouge répondit dans l'ordre. Elle expliqua que lorsque Akui fut vaincu, la nature des pouvoirs a éclaté, causant ainsi ce qu'ils savent tous : leur disparition. Les dieux se mirent alors en œuvre pour rassembler l'essence de la magie et leur remettre. Ainsi, lorsque que les pouvoirs réapparaîtront et que quelqu'un utilisera sa magie, les dieux bénéficieront d'une partie de cette utilisation sous forme d'énergie. Ce qui signifiait qu'à chaque fois que quelqu'un l'utilisait auparavant, il envoyait de la puissance à Akui ? Idryss, ni personne d'ailleurs, n'avait pensé à cette éventualité logique ne serait-ce qu'une seule fois... En tant que concepteur initial de l'essence des pouvoirs, c'est cohérent qu'il ait implanté un système pour s'en reverser un bénéfice... Maintenant, les dieux trouveront une source d'énergie dans les prières et à chaque fois qu'un pouvoir est activé.

Elle passa à la question d'Idryss. Naturellement, ce fut Éléonore qui s'occupa de le juger, elle qui incarne La Justice dans leur monde. Personne d'autre n'aurait pu le faire, mis à part Rhéa ou Dalnar. La juge cornue acquiesça simplement face à la fausse question. Pratiquement toutes le firent, ce qui étira légèrement les babines de la déesse aveugle.

J’ai jugé Akui et il était coupable. Je l’ai condamné à un siècle de privation de ses pouvoirs divins. Notre cher Dalnar s’est occupé de tracer un sceau sur sa belle fourrure blanche qui inhibe totalement ses pouvoirs et qui se brisera de lui-même lorsque la sentence sera levée. Il a tenté de dévaster ces terres après tout, il méritait une punition à la hauteur du préjudice.

Éléonore prit la pose qu'elle arbore en tant que statue. Droite, fière, le poitrail bombé. On pouvait tout à fait imaginer le bruit d'un balancier de sa balance s'écrasant contre la pierre pour déclarer Akui coupable sans hésitation. Idryss battit de la queue durant quelques instants en voyant La Justice ainsi. Elles avaient l'habitude de la voir en cette position, mais la voir en cette position en chaire et en os, ça ne produisait pas le même effet.
La Démonia était tout à fait d'accord avec leur déesse. Néanmoins, elle ne put s'empêcher de se demander si un siècle était suffisant. Un siècle pour une divinité, ce ne doit pas être le même ressenti par rapport à nous... J'aurai donné une sentence plus longue. Dans l'esprit de la juge rouge, les dieux devaient s'en doute voir les jours, les semaines et les mois défiler plus vite qu'eux. Ou alors, ne pas avoir de réelle notion du temps, puisqu'ils sont immortels. De ce fait, 100 ans lui paraissait peu, mais elle pouvait tout à fait se tromper. Après tout, le Grand Dalnar a inhibé les pouvoirs de son fils, lui qui les chérie tant, donc peut-être que ces 100 ans se révèleront être un véritable calvaire. Une autre chose vint à l'esprit de la louve : la libération d'Akui. D'ici là, ils seront tous morts (mis à part La Mort et La Vie.), mais le cycle ne risque-t-il pas de recommencer ?

Lorsque Akui sera libéré de sa sentence... L'inhibiteur restera-t-il ? Akui pourrait revenir pour semer une nouvelle fois la discorde. Il semble être un enfant récalcitrant qui refait ses conneries malgré les punitions... Cette fois, ce fut la quatrième fois qu'il fit du mal au pays. Sauf s'il y en a d'autres qui ne lui ont pas été attribuées... Il le refera s'il en a l'occasion.

Les louves furent happées par la révélation du procédé employé par les dieux pour rassembler la magie. Toutes semblaient profondément reconnaissante. Certaines priaient silencieusement leurs remerciements, d’autres le lui adressèrent directement. Les juges opinèrent pratiquement toute quand Éléonore flatta son propre égo. Elle était comme ça au fond d’elle. Même si elle était l’incarnation de la Justice, sa personne était divine et elle aimait se faire admirer, tant par ses filles admiratrices que par les autres.
L’annonce de son jugement fut majoritairement appréciée. Cependant, quelques unes semblaient se questionner. Pensait-elle que la sentence fut trop lourde ? Elle pouvait sentir que certaine l’estimaient insuffisante. Malgré une légère bouffée de mécontentement, la Déesse de la Justice fit preuve de compréhension. Les mortels n’avaient pas la même notion du temps qu’elle et ses confrères divins. Un siècle pouvait paraître beaucoup pour un mortel. Pour un dieu c’était une longue période, mais on aurait pu faire pire, surtout concernant le cas d’Akui. Le monstre qu’il ait serait sans doute déchaîné au terme de sa privation de magie. Lui qui s’était distingué parmi les divins grâce à ses pouvoirs n’en avait plus à présent. Cela le rendrait à coup sûr fou furieux. Ils devraient se tenir prêt quand il sera de nouveau capable d’agir. Mais leur Créateur, Dalnar, avait déjà tout prévu. Comme si elle était soudain capable de lire dans les pensées, la juge Démonia, Idryss, lui demanda.

« Lorsque Akui sera libéré de sa sentence... L'inhibiteur restera-t-il ? Akui pourrait revenir pour semer une nouvelle fois la discorde. Il semble être un enfant récalcitrant qui refait ses conneries malgré les punitions... Cette fois, ce fut la quatrième fois qu'il fit du mal au pays. Sauf s'il y en a d'autres qui ne lui ont pas été attribuées... Il le refera s'il en a l'occasion. »

Éléonore eut un fin sourire et rigola légèrement avant de répondre.

« Il ne sera plus incapacité, mais Dalnar ne semble pas vouloir lui rendre complètement son statut de Dieu des Éléments. Il continuera de créer vos dons, mais l’énergie générée par leur utilisation de reviendra plus seulement à lui. Des bribes seront reçues par chaque divin car nous avons tous donné un peu du nôtre pour reformer l’essence de la magie. Aucune chance qu’il puisse revenir de nouveau sur ces terres sans l’accord du reste du panthéon. Ou alors il faudra l’énergie de plusieurs dieux pour l’envoyer sur votre plan. Mais nous sommes tous plus ou moins avares de nos énergies. »

Après un bref silence, elle ajouta.

« C’est pour cela que nous faisons tous honneur à nos fidèles aujourd’hui en nous matérialisant temporairement devant vous. D’ailleurs, mon temps s’écoule et je vais devoir vous laisser. »

Reprenant sa position de statue, la Justice termina.

« Continuez de nous prier et de nous honorer. Croyez-moi, nous vous entendons toujours. »

Puis l’aura lumineuse commença à faiblir alors que la balance massive redescendait du plafond. Éléonore la prit dans sa gueule et revint dans l’exacte position initiale de la statue avant qu’une couleur grise se répande sur sa fourrure rougeoyante. Peu après, elle se figea complètement, redevenant pierre. L’aura magique de la divinité n’était à présent plus perceptible au-delà de l’impression de présence qu’on ressentait constamment dans la salle de jugement.

Éléonore leur annonça que l'inhibiteur ne restera pas, mais dans la foulée, elle les rassura. Dalnar n'allait pas rendre à son fils mauvais la totalité de sa puissance. C'était une bonne nouvelle. Akui sera toujours catégorisé comme le dieu officiel des pouvoirs, mais la source d'énergie que procurera chaque utilisation de magie ne lui sera plus reversée à lui seul. Tout le panthéon en bénéficiera. Les mortels n'avaient pas besoin de connaître plus en détail le procédé qu'ils avaient fixé, ainsi la divinité aveugle n'en dit pas plus. De ce fait, pour qu'Akui revienne sur ce monde, il lui faudra l'aide d'autres dieux, chose qu'il n'aura pas. Le peuple d’Élémenloups et ceux alentour sont donc définitivement tranquilles le concernant.

C’est pour cela que nous faisons tous honneur à nos fidèles aujourd’hui en nous matérialisant temporairement devant vous. D’ailleurs, mon temps s’écoule et je vais devoir vous laisser.

Est-ce que ça fait vraiment deux heures qu'Eléonore est apparue ? Il semblait à Idryss que ça ne faisait que quelques minutes, une demie-heure grand maximum. Néanmoins, si la déesse disait devoir partir, c'est que c'était l'heure. Éléonore ne leur aurait pas annoncé deux heures de présence pour partir avant. Ce serait les tromper. Après la surprise face à cette annonce, la juge Démonia afficha un air déçu, triste. Elle ne voulait pas voir sa déesse partir... Il en était de même pour les autres. Pourquoi les dieux n'avaient que deux heures ? Dalnar et Rhéa, si ce sont eux qui leur ont donné le temps imparti, auraient pu leur accorder bien plus... Ce n'est pas comme s'il y avait couramment des apparitions divines de la sorte. Seulement, les juges ne pourraient rien faire pour avoir du temps en plus. Il était inutile de tenter : La Justice ne dérogerait pas à ses paroles. Éléonore s'était remise sur son socle et s'était petit à petit figée, son pelage rouge éclatant devenant gris et roche. La balance avait repris sa place. Ses dernières paroles furent :

Continuez de nous prier et de nous honorer. Croyez-moi, nous vous entendons toujours.

Une phrase rassurante, car il est vrai qu'à certains moments, les religieux peuvent se poser la question de si les paroles qu'ils leur adressent sont entendues ou si elles se confrontent au vide. Même les non-religieux peuvent se poser la question, et bien plus que les fils et filles spirituels.

Idryss avait les yeux rivés sur la statue de la déesse, l'air triste. Elle ne sentit pas le regard de Kelekt se poser sur elle. Elle avait l'impression que tout ceci ne fut qu'un rêve éveillé. Pourtant, l'empreinte de la déesse rouge était sur elle et elle la sentait parfaitement. Paradoxalement à sa tristesse, elle se sentait plus lucide et à même de déceler la vérité chez autrui. Le tribunal se vida peu à peu tandis qu'elle s'assit et resta là, à observer la statue avec l'inconscient espoir qu'elle se remette à bouger ou parler. Elle ne sut combien de temps elle resta dans cette position, à la même place, à regarder inlassablement la statue et sans prononcer un mot, mais lorsqu'on l'interpella pour la sortir de son état, il faisait nuit dehors. Elle soupira. Éléonore ne reviendra pas. Du moins, pas aujourd'hui. Peut-être qu'elle viendra dans la nuit, s'immisçant dans un rêve. Il était temps de partir, de rejoindre le campement et ses enfants. Doucement, la juge cornue se leva et sortit de la pièce.