La bataille des éléments s'était faite il y a de ça sept jours. Akui n'était plus là, les adeptes tous confondus avaient été tués ou jugés. Les prisonniers traumatisés avaient été rendus à leur clan. Quelques uns n'avaient pas supporté et s'étaient suicidés, mais un groupe s'était mis en place pour les aider dès le lendemain de la bataille, donc tous étaient pris en charge pour se réhabiliter. Elle avait fais partie de l'opération du château où avec bonheur elle avait revu son cher frère. Malheureusement, il ne put revenir au clan. Il fut emmené par le Désert où il avait accepté une offre. Il leur avait promis de venir les voir, en terre neutre du coup, à la frontière du clan. Depuis, elle arpentait pas mal les frontières à la recherche de son frère. Surtout aux marais où il était le plus susceptible d'arriver.

Mis à part ça, un changement de taille eut lieu en chacun d'eux : la disparition de leur magie. Dès cet instant, Cynthia s'était sentie stressée à certains moments de la journée, sans raison particulière. Elle avait sursauté quand on l'abordait par surprise, qu'un fort bruit se faisait entendre ou que quelque chose surgissait devant elle. Elle ne savait pas pourquoi, mais c'était forcément lié à son pouvoir. Lorsqu'il s'était déclenché, jusqu'à son premier anniversaire, elle expérimentait automatiquement et souvent l'effet secondaire de son pouvoir. Dès le lendemain de l'opération du château et pendant trois jours, elle avait fait des cauchemars. Puis plus rien et elle avait cet état de stress survenant de temps en temps. Elle en avait marre de stresser pour rien et elle espérait que son corps se calmera bien vite.

Comme un rituel, Cynthia avait franchi la frontière de son clan, foulant le sol des marais. Dans le côté plaine, elle arpentait un chemin serpentant entre plusieurs points d'eau. Des papillons et abeilles se baladaient. Elle entendit un poisson sauter. Elle regarda tout autour d'elle, à la recherche de la silhouette imposante de son frère. Soudain, elle vit du coin de l’œil quelque chose de verdâtre disparaître derrière un plan d'herbes hautes. Elle y trottina pour voir de quoi il s'agissait. Peut-être son frère ! Lorsqu'elle tomba sur l'animal, elle se figea d'un coup.

Danger. L'instinct de danger. Elle le connait. Cet instinct qui vous dit si telle situation ou tel animal peut se révéler dangereux. Néanmoins, bien que cet instinct fonctionne bien chez elle comme tout le monde en général, elle n'avait jamais eut ce qu'on appelle "la peur" qui peut se lier à cet instinct. Ainsi, lorsqu'elle ressentit une nouvelle émotion, elle ne comprit pas ce qui lui arrivait. L'angoisse l'envahit, elle se rendit compte qu'elle tremblait. Elle se força à arrêter, mais ses pattes refusaient de vibrer. Ses oreilles pivotèrent instinctivement en arrière, sa queue se plaqua à ses pattes et elle s'abaissa.

Qu'est-ce qui se passe ?

Incapable de bouger, elle vit le monstre des marais d'environ quatre mètres de haut se redresser et s'approcher d'elle. Il l'avait repéré. Il émit un bruit ressemblant à un grognement. Il semblait tranquille, mais sa langue sortant un instant de sa gueule, s’apparentait à un lèchement de babines. Alors c'est comme ça qu'elle allait finir ? Incapable de bouger, tremblante, le cœur battant rapidement et des sueurs froides ?

La bestiole s'arrêta quelques pas après. Il observa la créature immobile face à lui. Finalement, il souffla des narines et pivota sur le côté, puis regagna l'eau. Cynthia ne l'avait intéressé plus que ça, sans doute parce qu'elle n'avait pas bougé d'un poil de sa position. Ainsi, cela n'avait pas dû assez titiller son instinct de prédateur et donc il avait jugé la louve sans intérêt. La chasseuse n'en menait pas large : elle était blême. Elle avait déjà vu des monstres des marais (ou des dragons terrestres comme certains le pensent.), mais jamais elle n'avait eu cette réaction face à l'un d'eux. Surtout devant un petit spécimen alors qu'elle n'avait pas ciller face à des spécimens plus gros. Elle ne comprenait pas du tout ce qui se passait. L'adrénaline quitta peu à peu son corps et son cœur se calma. Peu sûre d'elle et les pattes encore un peu tremblantes, elle s'éloigna de ce point d'eau, allant s'asseoir plus loin.

La princesse cauchemardesque, qui n'en menait pas large, sursauta à l'entente de son nom. En voyant son cher frère, elle eut un sourire qui néanmoins s’effaça bien vite. Alors qu'en principe, elle lui aurait sauté dans les pattes, là, elle ne bougea pas et se contenta de le suivre du regard. Il vint lui donner un gentil coup de museau. La présence d'un membre de sa famille sembla l’apaiser : ses pattes arrêtèrent de trembler. Remarque, si ça avait été Akila ou Ruby, sans doute n'aurait-elle pas été rassuré, car ils n'ont pas l'imposante carrure de papa ou Rahawk qui rassurait en cet instant. Si le monstre revient, elle ne devrait plus autant réagir.

Tu es revenue. Je suis venue surveiller ton retour tous les jours depuis la bataille. Maman va être contente quand elle saura que tu es dans les parages.

Elle mit sa tête juste sous le menton de son frère, tout en léchant un instant dans le vide. Puis, sa queue battit quelques instants tandis que sa truffe s'agitait pour humer son odeur. Il lui avait beaucoup manqué, mais elle n'était pas dans son état normal pour lui faire la fête. Normalement, elle lui aurait déjà bondi dessus et se serait basculée sur le côté pour le faire tomber par terre avec elle. Ou elle l'aurait poussé pour qu'il tombe dans la vase juste à côté. Mais il s'était passé quelque chose en elle qu'elle ne s'expliquait pas. Elle venait de vivre une expérience inédite qu'elle espérait ne pas revivre, car ce n'était pas fun du tout.

Pourquoi tu dis ça ? Je n'ai pas utilisé mon pouvoir : ils ont disparu. Seuls ceux qui viennent d'ailleurs ont gardé leur magie... Les gradés supposent que c'est à cause de la disparition d'Akui.

Cynthia ne voyait pas ce que son pouvoir avait à voir avec l'état dans lequel elle se trouvait il y a quelques instants. Cependant, en y réfléchissant bien, elle trouva une similitude avec ce qu'elle ressentait des fois en rêve à cause de son effet secondaire. Mais là où dans ses songes le ressenti était minime et ne l'impactait pas au réveil si elle s'en souvenait, là ça avait été dix fois plus fort et elle l'avait bien ressentie. En prenant cette piste, ça voudrait dire qu'elle aurait eu l'effet secondaire en étant éveillée. Mais son pouvoir a disparu, donc son effet secondaire avec également et surtout elle avait tout ressenti. Elle n'arrivait pas à comprendre...

Finalement, ça fit tilt. Elle releva soudainement la tête, les yeux grands ouverts. Est-ce qu'elle venait... De connaître la peur ? Si c'était ça la peur, alors elle n'en voulait pas ! Elle préférait la procurer aux autres que de la ressentir. Son pouvoir avait aussi le grand avantage, pour elle, de ne pas lui faire ressentir toutes ces sensations : stress, tremblements, accélération cardiaque et sueurs froides qui caractérisent la peur.

Rahawk, est-ce que... Je sentais la peur ?

Sa question fut posée à voix basse, comme pour ne pas que quelqu'un d'autre entende, alors qu'il n'y avait qu'eux deux. La peur a une odeur, comme toute chose. En appliquant son pouvoir, elle la sentait et savait reconnaître cette odeur particulière, mais elle ne voulait pas se sentir elle-même pour savoir.

Ouais tu pues grave, je t'ai sentie à des kilomètres.

Sa tête se baissa encore plus, gênée, et elle fit un grognement de râle. Alors c'était bien ça. Ben, elle détestait totalement ! Mais maintenant qu'elle savait, elle pouvait apprendre à se calmer et se contrôler.

Te moque pas de moi... Dit-elle en bougonnant.

Elle espérait qu'elle saurait rapidement s'adapter à ce nouveau sentiment et que ça ne lui causera pas trop de soucis... Notamment lors de la chasse au gros. Son instinct, signalant un danger, lui avait plusieurs fois signifié qu'il fallait se méfier des cerfs géants ou des bisons, et elle faisait attention, sans jamais avoir eu peur de les affronter. Seulement, ça pourrait changer à présent... Rahawk lui donna un coup de tête affectueux. Elle secoua doucement la tête. Non ! Elle était une Gothic, elle n'allait pas être tétanisée par une proie aussi imposante soit telle ! Elle saurait se ressaisir et prendre le taureau par les cornes !

Bon tu viens, t'es pas ma seule frangine je te rappelle. Ramène ton ptit cul de flippète et escorte moi suffisamment près pour que je puisse voir ceux que j'ai protégé pendant deux putains d'années. Si t'es sage je te racontes deux trois trucs en chemin.

Elle s'était redressée. Il s'était mis en marche vers le campement. Elle se leva. Elle allait l'accompagner et prévenir leurs parents de son retour en terre solitaire. Rahawk ne pourra pas passer la frontière, alors il faudra qu'elle fasse l'aller-retour et que lui attende.

En parlant de Verd...

Elle se racla la gorge et le rejoignit. Elle ne savait pas du tout comment il allait réagir, mais une chose est sûr : ça lui fera de la peine. Peut-être aussi allait-il être choqué par la mauvaise nouvelle. En tout cas, il fallait qu'elle lui dise pour ne pas qu'il le découvre sur le tas. Elle fit un signe de tête, l'invitant à continuer de marcher, comme ça, ils ne perdront pas de temps.

Il y a eut un problème avec son pouvoir... En fait, elle a été obsédée par l'artefact et elle voulait partir à sa recherche. Elle a eut l'idée de fouiller le passer des territoires pour trouver des indices. Elle s'y est entraînée pour ça, et elle arrivait à remonter plutôt loin. Quand ce fut le moment, elle est partie à la quête. Seulement, c'est là que le problème est arrivé. Elle...

Cynthia hésita, se reposant la question : Est-ce que je lui dis ? Elle soupira intérieurement. Il le saura tôt ou tard. Si ce n'était pas par elle, ce sera par papa ou maman et quand ils se retrouveront.

Elle t'a oublié. Elle est remontée très loin dans les souvenirs d'un territoire et ça lui a causé un trou de mémoire. On ne savait pas que son pouvoir avait cet effet secondaire, d'effacer des morceaux de sa mémoire : elle s'était bien caché de le dire. Mais voilà, en rentrant, quand papa, maman et moi, on a annoncé la nouvelle te concernant, elle a demandé qui tu étais... À la suite de ça, ils ont compris. Elle ne possède plus rien te concernant. Désolé... On lui a redit. Elle sait qui tu es pour elle, ton nom et à quoi tu ressembles. Et que nous deux, on était ses gardes du corps étant petits.

Malheureusement, ça ne remplacera jamais véritablement les souvenirs et le vécu. Verd avait beau savoir qui il était pour elle, il restait un étranger.

Son frère arrêta d'avancer. Elle s'arrêta aussi, observant sa réaction. La nouvelle ne l'avait évidemment pas mis en joie, assassinant sa bonne humeur. Son sourire avait disparu. Un simple "oh" franchit ses babines en guise de première réaction. Peu après, il la dépassa pour reprendre la route d'un pas lourd.

J'ai un travail qui m'attends. Je te raccompagne à la frontière. Je reviendrai peut-être dans quelques semaines.

Sa voix s'était faite rude et plus froide. Avec cette condition, il préférait ne plus revoir sa famille, pour l'instant, s'éclipsant en prenant la carte du travail. Un travail qui l'attend, bien sûr. Enfin, ce devait être vrai, puisqu'il avait un engagement vis-à-vis de l'alpha du Désert, mais il y a quelques secondes de ça, il était prêt à repousser son travail. Cynthia n'insista pas, sachant qu'il ne changerait pas d'avis, et se remit en route.

Un peu plus tard, elle avait tenté de lancer une nouvelle conversation en lui disant qu'elle chassait le gros gibier, qu'elle avait eu un bison avec le groupe spécialisé, et qu'elle avait presque eu un cerf géant, mais que la première fois, elle avait eu des côtes cassées. Seulement, Rahawk n'avait soit pas répondu, soit répondait de façon sèche et succincte. Alors, elle n'avait pas insisté et était restée muette tout le reste du trajet. La bonne humeur de son frère s'était envolée avec la nouvelle de Verd et elle n'allait pas revenir de sitôt.

La frontière se fit de plus en plus proche et elle n'avait pas envie qu'ils y soient. Au fil de ses pas, elle avait ralenti l'allure pour rester un peu plus de temps avec Rahawk, bien que sa mauvaise humeur gâchait le moment. Vint le moment où son frère s'arrêta, ne souhaitant pas et ne pouvant pas aller plus loin. Une sentinelle les observait probablement quelque part. La chasseuse soupira et d'un ton autoritaire pour marquer le coup, lui lança :

T'as intérêt à revenir, sinon j'irai moi-même te pister dans les terres. Et je te retournerai sur le dos comme une vulgaire tortue !

Ensuite, ils se saluèrent et se quittèrent. "Je reviendrai peut-être dans quelques semaines." Le peut-être n'était pas permis. Il reviendrait de grès ou de force. Elle lui laissait une trentaine de jours pour repointer son museau. Passé ce délai, elle fera ce qu'elle venait de dire.