Akui était passé. Le soir est tombé, il devait être au alentour de minuit. La plupart dormaient, seule une poignée de garde rodait pour s'assurer que la nuit se passerait bien. Les effectifs n'avaient pas été augmentés suite à la venue d'Akui, car ceux qui veulent le rejoindre sont libres de partir. Ware avait déjà expliqué les conséquences. Il est l'heure. L'heure de partir. Midéro réveilla Skandyème et lui annonça le départ. Sa fille lui adressa un sourire puis après quelques secondes, le temps de bien se réveiller, elle se leva. Les deux femelles partirent de ce qui fut leur tanière, emportant les quelques affaires qu'elles possèdent. Sans mal, elles quittèrent le campement. Midéro habitait bien entendu au quartier des nobles, donc à l'opposé des tanières de la populace. Avec leurs couleurs, il est aisé pour les deux femelles de se faufiler dans les ombres de la nuit.

Bien que la lune ne soit pas brillante cette nuit, leur chemin fut éclairé par les lys de feu dégageant comme chaque nuit, leurs flammes parfumées. Bien que les deux femelles furent impatientes de rencontrer leur dieu, elles prirent le temps de marcher en ce lieu. La noble cornue voulait profiter de l'instant, contempler une dernière fois les lys en feu, illuminant merveilleusement la forêt. Cette forêt fut son lieu de prédilection. Elle y venait tous les jours pour s'y promener ou y passer simplement ses journées et ses soirées. Ce lieu fut aussi le théâtre d'un nouveau sentiment : l'amour, mais aussi de la déchirante mort de celui qu'elle a aimé sans jamais pouvoir le lui avouer. Elle le sait, au côté d'Akui, elle ne pourra plus y venir. Alors elle en profite. La marche fut nostalgique.

C'est après une heure et demi de marche, après avoir traversé un petit pont, qu'elles foulèrent le domaine du château du Crépuscule. Il est alors une heure quarante-cinq du matin. Les deux femelles se faufilèrent dans un bois, puis un jardin et enfin arrivèrent au pas de la porte principale du château. La traversée du domaine leur prit environ une demi-heure. Elles entrèrent et se dirigèrent vers la salle du trône. Il n'y avait personne pour les accueillir, tous devaient dormir à cette heure-ci. Midéro se dirigea aux souvenirs, elles tournèrent un peu en rond avant d'arriver à la pièce recherchée.

Chérie, tu vas rester ici. Je vais y aller seule. Il est l'heure pour toi de dormir. Tu rencontreras Akui demain.

En vérité, Midéro n'avait aucune idée de si Akui se trouvait dans cette pièce ou non, mais il fallait tenter le coup. Peut-être dort-il à l'heure qu'il est. Auquel cas, elles attendront demain. La noble cornue poussa doucement la porte et s'engouffra dans la salle du trône. Au plafond, elle y vit l'ombre d'une immense boule et elle se demanda ce que ça pouvait bien être. Elle continua de s'avancer dans la pièce, mais l'obscurité l'empêchait de percevoir distinctement ce qu'il s'y trouvait. Elle s'arrêta au milieu et attendit en tendant l'oreille et en essayant de percevoir au mieux son environnement. Deux heures trente du matin, il est sans doute trop tard pour venir voir le dieu...

Tandis qu'elle attendait, un frisson lui parcourut l'échine. La température ambiante avait baissé d'un coup. Son poil se gonfla naturellement pour affronter cette subite froideur. Soudain, des ombres apparurent. Elle les observa. Donc, Akui avait remis à neuf le château, mais n'avait pas envoyé les fantômes dans l'au-delà. L'un des fantômes se matérialisa en Pandore et s'avança vers elle d'un air menaçant. Midéro se mit sur ses gardes et fronça des sourcils.

Tu m’as déçu et trahi, Midéro. Il est temps que je te fasse payer ton affront !

Ils l'encerclaient à présent. Face à cette phrase, la noble cornue avait envie de rire. D'ailleurs, un ricanement sortit de ses babines. Déçu et trahi ? Ah ! La bonne blague ! En quoi elle l'avait déçu et trahi ? En rien. Elle avait été parfaite jusqu'à la fin. Si pour cette pâle illusion, intégrer un clan pour sa survie est une trahison, alors qu'elle disparaisse. Ce n'est pas de la trahison, mais de la stratégie !

Peut-être est-ce à cause de son ricanement, mais le fantôme lui sauta alors dessus. Elle aurait pensé qu'il lui serait passé à travers, mais le fantôme était bel et bien matérialisé. Elle se retrouva à terre, l'illusion de Pandore au-dessus d'elle, la bloquant, la tenant au cou. Elle sentit les crocs sur sa gorge comme s'il s'agissait d'une réelle morsure. Midéro eut peur de ce qui pourrait lui arriver, mais avant qu'il ne se passe quoique ce soit d'autre, les fantômes disparurent. Les torches sur les murs s'allumèrent toutes en même temps et la température de la pièce redevint normale. La noble cornue se releva et s'ébroua.

Sache une chose, Midéro : Je ne dors jamais.

Il était devant elle, à deux mètres de sa personne. Midéro se redressa, adoptant une meilleure posture.

J’apprécie que tu vienne te joindre à mes adeptes. Le contraire m’aurait fortement déplu. Tu as amené ta fille en plus, j’en viendrai presque à avoir de la sympathie pour toi.

Il tournait autour d'elle, la jugeant sans doute sous tous les angles.

Tu as tenu un rôle important à l’époque de Pandore. Tu auras sûrement apprécié ce petit numéro que j’avais prévu spécialement pour toi. Il a eu l’effet escompté. Mais Pandore n’est plus. Toi cependant, tu peux encore servir mes desseins. Acceptes-tu d’être plus qu’une simple adepte comme j’en ai déjà des dizaines ?

Midéro se sentait flattée qu'Akui reconnaisse l'importance qu'elle a eut durant Pandore. Comme elle l'avait pensé, il la voulait dans son équipe. Il lui proposait d'être plus qu'une simple adepte. Elle ne savait pas à quoi s'attendre, mais une chose est sûre, l'optique d'être plus importante que les autres lui plaisait fortement. Elle serait au-dessus d'eux, elle aurait plus de pouvoir et sans doute une meilleure proximité avec leur divinité. Elle arbora un grand sourire et fit une révérence avant de répondre :

Seigneur Akui, je serai ravie et honorée de vous servir. Je vous jure fidélité et je suis prête à faire ce qu'il faut pour vous satisfaire.

La noble cornue connaissait l'importance de ces mots. Elle était là pour rejoindre ses rangs et il lui offrait déjà une promotion. Elle ne pouvait pas être plus ravie. Cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas ressentie ça.

Sa réponse solennelle satisfit grandement Akui comme elle put le déceler à son sourire, mais aussi en réponse à son allégeance. Ensuite, ses yeux devinrent rouges. Elle n'avait aucune idée de ce qui allait se passer, mais elle ne tremblait pas. Akui n'allait pas lui faire du mal, ce serait stupide de sa part. Donc, elle savait qu'elle n'avait rien à craindre. Ses cornes prirent soudain feu et face au bruit caractéristique d'un brasier s'allument, la cornue sursauta. C'était une chose inattendue. Ses oreilles se baissèrent et elle se ratatina légèrement, ne savant pas du tout ce qui se passait. Elle ne sentit aucune douleur, elle sentait la chaleur émanant du feu. Elle n'osa pas bouger pour ne pas faire dévier les flammes. Allait-il... lui couper les cornes ? Elle espérait bien que non ! Elle perdrait un point d'équilibre et une défense naturelle. De plus, pourquoi la mutiler ? Les flammes disparurent enfin et Midéro se redressa. Elle regarda Akui d'un air interrogateur.

Ton pouvoir a changé de propriétés. Maintenant, quand tu t’en serviras, ceux qui seront proches de toi pourront être victimes de diverses maladies. Bien entendu, tu y es immunisée. Je te conseille de ne pas t’en servir contre les autres adeptes, ou ça ira mal pour toi.

Véhiculer... des maladies ? C'est maintenant ça son pouvoir ? La mine de Midéro se déconfit d'un coup et son poil se hérissa. Ce n'était pas beau, ce n'était pas élégant et c'était tout l'inverse de son précédent pouvoir ! Elle possédait à présent quelque chose de sale, répugnant et écœurant. Rien que d'imaginer des gens tousser et morver sur son passage la faisait frémir d'horreur. Pourquoi ? Est-ce une façon de la punir pour avoir commis des choses qu'elle a oublié ? Pour ne pas avoir été fidèle à Zal jusqu'à la fin ? Pourtant le dieu avait lui-même remercié le clan du Feu pour sa mort. Ça n'a pas de sens ! Elle était quelqu'un d’exemplaire et de fidèle aux grandes causes démoniaque. Alors, pourquoi un tel châtiment ? Elle voulut demander pourquoi elle avait hérité de ce don horrible, mais elle en avait la voix coupée tellement, ce fut un choc. Personne parmi les fidèles ne doit apprendre qu'elle possède ce pouvoir. Ce serait la honte de son existence ! Elle venait de passer de Midéro, La Tentatrice à Midéro, La Pestiférée.

Tu peux partir maintenant. Tu fais officiellement partie de mes adeptes.

La noble cornue leva les yeux vers son dieu. Elle eut le temps de le voir que pendant quelques instants. Il venait de disparaître dans un courant d'air. Accablée par ce nouveau pouvoir, elle avait à présent besoin de dormir ! Enfin, arrivera-t-elle à dormir ? Elle fera probablement les 100 pas en ruminant son passé et en se répétant que ça ne doit pas être possible, que c'est une blague. Ce, jusqu'à ce que la fatigue prenne le dessus. Les oreilles et la queue tombantes, elle sortit de la salle et suivit l'odeur de Skandyème jusqu'à la pièce d'à côté où sa fille s'était logée.