Pêche s'était levée de bonheur, aussitôt pleine d'une énergie fringante. Cependant, n'ayant trouvé personne capable de suivre son humeur torrentueuse, elle se lassa rapidement de sa matinée au camp. C'est dans l'après-midi, après un repas copieux de geai et de campgnols, que la jeune louve décida de quitter le camp, pour entraîner sa rapidité au combat et peut être chasser quelques petits gibiers.
C'était une belle après-midi d'été, le soleil couvrait les plaines d'une lueur éclatante et le ciel était d'un bleu immaculé, seuls les silhouettes de quelques nuages se dessinaient à l'horizon de la mer lorsque Pêche arriva au sommet de la falaise Haute-Perchée. Une brise marine fraîche et chargée d'iode qui soufflait dans le pelage rosé de la jeune louve rendait la température saillante de cette belle journée douce et agréable.
Pêche se mit alors en position. Les pattes fermement encrées au sol, les yeux fermés, le dos courbé et les oreilles à l'affut, humant l'air face au vent, à plat ventre, cachée par les hautes herbes, prête à recevoir un premier signal. Après un court instant d'immobilité, un bruit se fit entendre entre les broussailes, et les yeux dorés de Pêche s'ouvrirent aussitôt. Lentement, elle se déplaça, à pas feutrés vers la destination du bruit. Un second bruit d'entre les broussailles, Pêche se raprochait alors dangereusement de celles-ci, et lorsqu'elle fut assez près pour apercevoir le plumage de jais d'un merle, il eut à peine le temps aux deux créatures de croiser leur regard que la prédatrice bondit, les crocs brillants au reflet du soleil, que sa proie ne reverra jamais.
Fière de sa capture, Pêche se redressa, sa proie à la gueule, l'oeil brillant, sa queue valsant de gauche à droite, lorsque soudain une odeur familière vint chatouiller ses narines. La novice se retourna vivement, et perçut alors le pelage brun et fauve d'un loup de son Clan, d'un geste de tête elle le salua. Elle crut reconnaître un assassin de son Clan dont elle ignorait le nom, peu accoutumée à croiser les individus de ce rang. Par politesse elle déposa sa proie, et dit d'un ton enjoué, avec une certaine excitation à la vue de faire la connaissance d'une nouvelle personne et de présenter sa prise :

- Je viens de le chassé à l'instant ! dit-elle en poussant le merle du bout de son museau vers le loup du Clan de l'Eau, Si tu veux, tu peux le prendre ! J'ai assez mangé ce matin, je comptais le rapporter au camp.

- J'ai vu ça! Tu es très agile! Je le prendrai volontiers mais je reviens de la clairière de chasse malheureusement, j'ai l'estomac plein.

Pêche se mit à arborer un grand sourire, facilement flattée par les compliments qui félicitent sa dextérité. Elle accepta alors sans difficulté le refus du loup de goûter à sa prise et se mit à enterrer rapidement l'oiseau dans sous le sol chaud, où la terre est plus fraîche pour conserver sa proie avant de rentrer au camp.

- J'étais venu voir la mer, depuis la falaise c'est plus agréable, comme ça je ne me mouille pas. Et avec mon sous-poil je met beaucoup de temps à sécher, même en plein soleil, c'est pas très agréable. Au fait je suis Gaor, je crois qu'on ne s'était pas encore vraiment croisés.

Prenant soudainement conscience qu'elle ne s'était même pas présentée, la louve colorée se redressa vivement, elle-même surprise de son impolitesse, trop occupée par le souci de son dîner fraichement capturé. Elle s'empressa alors de répondre.

- Oui ! Effectivement ! Echantée, pour ma part on m'appelle Pêche.

Elle profita de cet instant de présentation pour considérer plus en détail son interlocuteur. Plus au moins de la même taille de Pêche, il paraîssait cependant bien plus imposant du fait de ses muscles anguleux et de la crête bleue électrique qui étoffait le loup de la tête jusqu'au milieu de son dos. Sa fourrure, principalement d'une couleur brunâtre, le rendait d'autant plus corpulent. Il dégageait cependant une aura protectrice qui mettait Pêche en confiance, et sans le connaître vraiment, elle pouvait déjà sentir en lui quelque chose d'agréable. Elle avait pourtant remarqué que ce nommé Gaor boittait légèrement, gênée mais au moins autant curieuse, des yeux interrogateurs posés sur la patte qui semblait le faire souffrir, elle demanda poliment :

- Il semble que tu as une douleur au niveau de ta patte, il t'es arrivé quelque chose ?

Pêche écouta l'histoire du mâle téméraire, les yeux écarquillés, comme happée par l'histoire, et aussitôt qu'il eut finit de répondre à sa question audacieuse, elle l'interrogea de nouveau d'un souffle, bondissant sur ses pattes, trop aguichée par ces histoires de combat pour contenir son enthousiasme :

- Ça t'as fait mal ? C'était comment ??

Se rendant compte soudainement de s'être trop emportée, elle se rassit hâtivement et se racla la gorge, embarassée. Elle laissa s'échapper un petit rire gêné et poursuivit plus calmement :

- Excuse moi... J'ai tendance à me laisser aller aux histoires de bagarres et tout ce qui est dans le genre. Je suis en plein entraînement pour devenir guerrière, et si tout vas bien, je vais aussi rejoindre l'escadron de Kaproal bientôt, donc forcément ça m'intéresse !

Pêche sourit, fixant Gaor, ses yeux ambrés toujours plus intrigués, comme si elle en demandait plus tout en restant muette. Le soleil était encore haut, et la brise marine toujours plus fraîche, carressant le pelage des deux canins en train de converser, tranquilles, à l'ombre des évènements qui frappaient les terres des Élémenloups, comme éloignés de tout soucis.

- Kaporal est un bon chef, j'ai beaucoup d'affection et de respect pour lui. Tu ne pourrais être mieux formée que par lui. En plus agile comme tu es les premiers entraînements devraient te plaire! Ils sont communs à tous les rangs, je ne te dis pas comme moi j'ai eu du mal, je suis plutôt du genre lourd et brute. Avec ma carrure, faire les choses en finesse m'est un peu difficile.

À ces mots la novice se mit à frémir, imaginant les moult entraînements à venir, où elle pourrait enfin exercer ses talents et en apprendre de nouveaux. Les combats, d'hiver ou d'été, pour défendre son Clan, se battre pour ce qui est juste et se battre, tout court. C'était là son véritable rêve, et on pouvait voir dans ses yeux la passion qui y brûlait à l'idée de ces glorieuses ambitions, du long chemin éscarpé qui lui restait à parcourir. Elle trépignait d'impatience, et son air euphorique paraîssait presque inadécquat pour ces rêves de combats de crocs et de griffes. Pêche était authentique.
Elle revint soudain à la réalité du moment, elle était en face de Gaor, loup ayant combattu et vaincu, faisant partie des troupes qu'elle voulait rejoindre, exhibant une cicatrice le long de son épaule. Lorqu'elle prit conscience de l'occasion cocasse d'écouter les paroles d'un Assassin de son Clan, elle se raprocha un peu et demanda, presque en chuchotant, comme si ces histoires de combats étaient des secrets bien gardés :

- Ça a doit être exaltant de se retrouver face à un adversaire aussi mystérieux ! Pourquoi t'a-t-il attaquer ? J'ai eu vent de rumeurs sur le Clan de la Terre, on dit que tous les Clans sont en danger, tu en sais plus ? Le Clan de l'Eau est affecté ?

Prise dans un tourbillon de questions, subitement soucieuse du sort de son Clan et des récents évènements, Pêche se demandait quel serait l'aboutissement de ses questions, et se trouva brusquement inquiète. Elle lança un regard vers la mer. Le soleil l'éblouissait encore, et ses ondulations scintillaient sous les rayons. La tombée du soir semblait se faire de plus en plus proche, et la brise plus fraîche, lançant comme un vent d'inquiétude soudaine peser dans le coeur de Pêche.

- Exaltant? Je ne sais pas, dans ce genre de situations tu n'as pas le temps de ressentir une quelconque émotion, tu réagis instinctivement. Tu peux ressentir de l'excitation dans une bataille rangée, par anticipation. Mais quand on te prend par surprise ton sang se glace et seul ta volonté peut te faire bouger. Puis vient la colère. Je ne peux pas en dire plus malheureusement, la louve de l'air qui était présente m'a chassé avant que je puisse en savoir plus. Je ne sait pas ce qu'elle a fait de lui, j'espère qu'elle a fait appel à des guerrier pour s'en occuper. Oui les terres d'El sont en danger, mais le clan de l'Eau a Kaporal pour guider ses guerriers. Nous sommes forts.

La jeune louve buvait ses paroles, comme si elle prenait note de ces mots pour s'en rappeler à l'avenir. Si la réplique du mâle rassurait à moitié Pêche, elle se sentait tout de même quelque peu brumeuse, les yeux perdus dans l'horizon de l'océan. L'idée d'un danger quelconque pour ses proche la fit frissonner. C'est à ce moment là que Gaor vint se blottir contre elle, discrètement, sans un bruit. Il appuya la joue de Pêche du bout de son museau, et poursuivit :

- Le clan est fort. Frostbite est un bon Alpha, il a Wakaru et Kaporal pour l'appuyer, et nous avons la Terre pour aliée. Elle est affaiblie mais avec Karara à sa tête, ça ne durera pas.

Pêche posa ses yeux ambrés sur le mâle, presque intimidant maintenant qu'elle le voyait de près. Elle sentait ses muscles raidit contre son flanc, et son pelage terne par rapport à la pâleur de celui de la jeune lupine lui donnait un air énigmatique. Pourtant, ses paroles rassurantes et cette figure puissante, donnait à Pêche un sentiment de sécurité pleine et elle fut surprise que son inquiétude fut si vite envolée. Gaor dégageait une présence réconfortante, et pour la première fois depuis leur rencontre, Pêche se laissa aller à d'autres pensées qu'à celles du combat ou de la guerre.
Elle prit une grande inspiration, humant l'air marin. Elle appréciait beaucoup les saisons chaudes, et l'odeur de la mer au moins autant. Cependant, elle n'était jamais allée outre les territoires du Clan de l'Eau, et n'avait donc eut l'occasion de voir la plage qu'au sommet des falaises Hautes-Perchées. Elle se leva alors soudainement pour faire face à son nouveau camarade, et lança d'un ton subitement enthousiaste :

- Un jour, il faut absolument que j'aille voir la mer de près ! Je sais que tu as dis que tu n'aimes pas te mouiller, mais peut être que tu voudras bien m'accompagner à un moment où tu as le temps ?

Elle s'assit en face du loup brun, la queue remuant légèrement, l'oeil vif et impatient de connaître la réponse.

- Tu veux y aller ce soir? Tant que je n'ai pas à me baigner, ça devrait aller. J'ai peur de l'eau depuis le jour de mon arrivée au clan mais pas au point de ne pas m'en approcher.

- Maintenant ?

Demanda Pêche, surprise. Gaor se dirigea alors vers les sentiers rocheux qui descendaient jusqu'aux plages Naïgma. La jeune louve aux teintes pastelles s'avança à son tour en riant, le pas enjoué.

- Fais attention, les rochers sont un peu glissants à cause des embruns. Je suis un loup des cavernes donc j'ai l'habitude de crapahuter dans les montagnes enneigées, mais toi tu devrais faire attention, suis bien mes pas. Dans tous les cas je suis en dessous, si tu glisses, je te rattrape.

Pêche ralentit aussitôt. Elle était certes impatiente mais pas inconsciente non plus, et elle n'avait aucune envie de finir le crâne ouvert au bout du sentier. Elle observait attentivement à quel endroit le mâle, qui avait prit les devants, posait les pattes, et elle reproduit au mieux ses pas.

Après avoir crapahuter le long du sentier rocheux, Pêche put enfin apercevoir le sol sableux de la plage, et à la vu des pattes de Gaor s'enfonçant dans celui-ci, elle fut toute excitée. Cependant elle s'arrêtait devant les premier grains de sables qu'elle rencontrait, les renifla rapidement, posa une patte, puis l'autre, sourit de l'aspect granuleux qui chatouillait ses coussinets, et se mit à courir vers la plage en riant. Mais elle fut stoppée net par la grande étendue d'eau.
La mer était calme et couverte des lamelles d'argent de la Lune, toujours présente sur la plage Naïgma. Le doux son rythmé des vagues et l'air salé charmaient la jeune louve de leurs musique, et ses yeux étincelaient devant la vaste étendue d'eau. Elle était bouche bée.

- Le spectacle te plait? j'aime beaucoup la voix de la mer, elle est douce et reposante.

Sans une réponse, trop absorbée par ce paysage inexploré, la jeune louve intrépide se précipita vers la mer sans l'once d'une hésitation, laissant derrière elle une vague de rires surexcités. Le fracas de son corps contre les vagues qui bordaient le rivage sablonneux éclaboussa les environs. La jeune louve, soudainement prise d'une euphorie juvénile sautait dans l'eau, goûtant le sel sur ses babines. Bonne nageuse, elle plongeait et nageait, riant à tue-tête. Après un court instant, elle sortit de l'eau, s'ébroua frénétiquement et s'empressa de rejoindre son compère, assit à quelques mètres de la mer. À bout de souffle et trempée, mais les yeux pleins de joie, elle lui dit d'un ton réjoui :

- C'est... C'est incroyable ! elle reprit sont souffle, Toutes cette eau, et le sable ! C'est chatouilleux, agréable. Regarde ! On pourrait nager des jours là dedans !

Dit-elle, habituée aux courants et à l'espace moins spacieux des rivières qui bordent les territoires de l'Eau. Elle s'assit auprès du mâle et prit une grande inspiration pour se calmer. Elle plongea ensuite ses prunelles dans celles de Gaor, un grand sourire encré sur ses babines.

- Merci de m'avoir emmené ici, quelque part ça me rassure que tu sois avec moi, je reviendrais c'est certains. dit-elle, reposant ses yeux pétillants sur la mer, rêveuse.

- Pour tout te dire, jamais je ne me serai autant approché si tu n'avais pas été là. Je me contentais de la regarder de la falaise. Je crois que... Je crois que pour toi je pourrait surpasser mes plus grandes peurs. Pour te protéger.

Pêche prit une grande inspiration, les yeux fixés sur l'horizon noir de la nuit tombée. La lune carressait les dunes d'une lueur nacrée et les remous de l'eau scintillaient, reflétant le ciel couvert d'étoiles. La température était douce, et le chant des grillons se faisait entendre au loin lorsque celui des vagues devenait plus éteind. Le spectacle était splendide.

- Honnêtement j'ai du mal à comprendre cette peur qui t'anime. Le paysage est magnifique.

Sur ces mots la jeune louve se coucha avec légèreté dans le sable qui accrochait son pelage encore humide. Il semblait qu'elle était insensible aux sentiments de son compère, mais Pêche avait toujours été médiocre pour déceler les sentiments amoureux qu'on pouvait avoir pour elle. C'était un réflexe inconscient, et les mots tendres que portait Gaor à son égard n'atteignaient visiblement pas ses oreilles.
La jeune louve fermait lentement les yeux, bercée par le son des vagues. La fatigue prenait doucement le contrôle de son corps, et le frais de la nuit qui traversait son pelage détrempé la fit frissoner. Il allait bientôt être temps pour les deux loups de rentrer au camp.